Les Alouettes de Montréal ont malheureusement baissé pavillon face aux Eskimos d’Edmonton en demi-finale de l’Est dimanche. C’est un résultat décevant parce que personnellement, j’aimais beaucoup les chances des Als.

De par la réaction des joueurs et le nombre de gars qui pleuraient dans le vestiaire, on voyait que c’était un moment particulier. Les gars n’étaient pas juste contents de faire les éliminatoires, ils croyaient vraiment qu’ils pouvaient réussir quelque chose de spécial en 2019. Après le congédiement de Mike Sherman, le départ de Kavis Reed et un mauvais début de saison (0-2) dont une défaite gênante de 41-10 à Hamilton, le groupe s’est resserré. Les gars ont appris à se connaître et il y avait quelque chose de spécial, donc je n’ai pas été surpris de voir leurs réactions après le match et les accolades qu’ils se sont données. Le moment télévisuel de la saison s’est produit quand Kristian Matte est allé réconforter Vernon Adams qui était en larmes.

Eskimos 37 - Alouettes 29

C’est ça le sport, c’est pour ça qu’on aime ça même s’il y a des moments tristes. Ça nous rappelle à quel point les joueurs ont travaillé fort, qu’ils se sont investis, qu’ils ont fait des sacrifices. C’est le côté intense du football en éliminatoires : ce n’est pas un 4-de-7, ça se joue sur un seul match et il ne faut pas manquer son coup. Sauf que les Alouettes ont manqué leur coup et c’est ce qui était décevant.

Nos attentes ont complètement changé au fil de la saison. Si j’avais osé dire au début de la campagne que les Alouettes allaient se battre en demi-finale de l’Est, on m’aurait trouvé fou. C’est pour ça que la défaite est encore plus dure à avaler pour les joueurs. Ils y ont cru jusqu’au bout. C’est une équipe qui avait le pouvoir d’être dangereuse, qui avait battu tous les clubs durant le calendrier régulier sauf les Roughriders de la Saskatchewan. Hier, les gars ont senti qu’ils ont gaspillé une occasion en or de finir en beauté. Ils savent qu’ils viennent de bousiller une chance de laisser leur marque et d’accomplir quelque chose que personne dans la Ligue canadienne n’anticipait.

C’est ça le football, c’est dur d'atteindre les éliminatoires puis de se rendre jusqu’au bout. Mais tout ce qui est arrivé cette saison, c’est prometteur pour la prochaine, même s’il n’y a aucune garantie non plus.

Un match signé Trevor Harris

Pour revenir au match plus précisément, il faut souligner le travail du quart-arrière des Eskimos Trevor Harris. Je savais qu’il avait le potentiel de bien jouer, mais pas à ce point. Je ne me souviens pas en match éliminatoire d’avoir vu un quart aussi dominant. Il a bien exécuté, il était précis, ses receveurs ont tout attrapé et ont absorbé tous les plaqués pour éviter les passes incomplètes. Harris a bien fait, ses receveurs et sa ligne à l’attaque aussi, bref toute l’attaque a super bien fait.

Combinez cela aux lacunes des Alouettes en défense et on a le résultat qu’on connaît. Toutes les petites lacunes qu’on a vu ici et là au cours de la saison en défense ont ressurgi, particulièrement le manque de pression. C’est revenu hanter les Alouettes et c’était bien frustrant.

Khari Jones louangé par ses joueurs

Je me suis mis à m’inquiéter dès le deuxième jeu du match alors que les Alouettes venaient de forcer les Eskimos en situation de deuxième et long. J’étais curieux de voir ce que le coordonnateur défensif Bob Slowik allait faire comme stratégie. Quitte à donner un jeu, j’aurais aimé qu’on blitz plutôt que de mourir à petit feu. Mais Slowik a encore pris le pari de jouer en couverture de zone, avec une pression à trois et beaucoup d’espace. Les Eskimos ont alors converti et Trevor Harris a complété ses cinq premières passes. Il a été 5-en-5 avec des gains de 78 verges sur la première séquence qui a mené à un touché.

Je me suis alors mis à douter. Tous les quarts deviennent meilleurs quand ils commencent à trouver finalement leur rythme tôt dans le match, mais encore plus dans le cas de Harris. S’il y en a un qu’il faut déranger, c’est lui. Pourquoi n’a-t-on pas fait entrer la cavalerie dès le début pour le frapper et lancer un message? Même s’il réussit à lancer le ballon, l’important est de se rendre à lui, le frapper, le faire déplacer, l’empêcher de bien s’ancrer pour lancer avec précision, l’embêter. On n’a rien fait de tout ça.

Si ça ne fonctionne pas, vaut mieux effacer le plan de match et changer de tactique. Certains joueurs ont dit qu’il y a eu quelques ajustements, mais ils étaient à mon avis très subtils et je pense qu’on a été polis du côté des joueurs. Ç’a été un peu mieux en deuxième demie, les Alouettes ont donné un peu moins de points et ils ont forcé quelques séquences de deux jeux suivis d’un botté, mais le mal était fait.

Sur papier, les Alouettes permettaient 74 % de passes complétées et ç’a grimpé à 92 % hier. Harris n’a eu que trois passes incomplètes dans tout le match. À un certain moment, les Eskimos ont réussi à produire au moins un point lors de huit séquences offensives de suite. Il n’y avait pas de pression, Harris complétait toutes ses passes et on ne forçait pas les bottés de dégagement. Cette saison, en plus d’être derniers pour le taux de passes complétées, les Alouettes étaient derniers pour les sacs et derniers pour provoquer deux jeux suivis d’un botté. Les statistiques ne veulent pas toujours tout dire, mais dans le cas d’hier, c’était très révélateur. Ç’a permis aux Eskimos de contrôler le ballon et le chrono. En première demie, les Alouettes ont eu le ballon pendant 17 jeux offensifs pour un total de 10 minutes. C’est dur d’établir ton plan de match dans ce temps-là. Plus tu accumules des jeux, plus tu peux déployer tes deuxième et troisième niveaux de stratégies, parce que chaque stratégie cache quelque chose d’autre derrière pour tromper l’adversaire. Tu ne peux pas faire ça si tu n’as pas beaucoup de jeux, et effectivement, Montréal n’a pas déployé tout son plan de match en attaque.

Entre parenthèses, le fait que Trevor Harris a été parfait a mis de la pression sur l’attaque et pas juste sur la défense qui était surtaxée et qui commençait à rater beaucoup de plaqués en deuxième demie. Quand tu vois que l’autre équipe a toujours le ballon, ça peut te rendre impatient et te pousser à presser le jeu les rares fois où tu as le ballon en ta possession.

C’est prouvé que de mettre de la pression sur le quart, c’est pas mal le meilleur moyen d’affecter le jeu de passe et d’affecter le quart avant que le ballon soit dans les airs. Je le dis tout le temps, c’est dur finir une passe quand tu es couché sur le dos et que tu regardes au ciel… Il y a deux façons de mettre de la pression : en gagnant ses 1-contre-1, sinon il faut faire de la pression stratégique. C’est-à-dire qu’avec tes blitz, tes déguisements et tes stratégies, tu peux essayer de berner l’adversaire. On n’a rien vu de ça hier. Loin de moi l’idée de prôner la violence, mais il aurait fallu ébranler Harris en partant. J’étais prêt à accepter une pénalité pour rudesse avec un bon coup d’épaule sur le tard, mais rien de vicieux, juste pour faire sentir sa présence et mettre l’adversaire sur ses gardes. Ça aurait été ma philosophie que de tester son courage pour savoir si le quart est prêt à payer le prix.

Mauvaise journée au travail pour Vernon Adams

En attaque, c’était le fun au début parce qu’on avait de l’équilibre avec du jeu au sol et des passes. Mais à un moment donné, on a commencé à vouloir forcer le jeu parce qu’on ne savait pas quand on allait ravoir le ballon.

Les Alouettes soudés par l'adversité

Vernon Adams a mal choisi son moment pour connaître une mauvaise journée. Il a à peine complété 52 % de ses passes et a été victime de trois interceptions. Sur la première, il était sous pression. C’est une passe qui manquait de force parce qu’il ne pouvait faire son transfert de poids et qu’il y avait de la pression juste devant lui. Je peux donc excuser que la passe ait manqué de mordant. Le problème, c’est qu’il y avait deux joueurs complètement libres au centre du terrain et il ne les a jamais vus. Sur la deuxième interception, en retard à 34-29 dans les trois dernières minutes de jeu, tout le monde pensait que la magie des Alouettes allait encore opérer pour espérer l’emporter. En premier essai et 10 au milieu de terrain, Adams a lancé vers son receveur qui courait vers la droite. Adams a vu que quelqu’un courait après son receveur, mais il n’a jamais vu qu’il y avait quelqu’un d’autre devant. Ce dernier n’a même pas eu à bouger, le ballon est tombé directement dans ses mains. Mais surtout, il y avait là encore un autre joueur complètement seul ailleurs sur le terrain. Avec une petite passe facile, il pouvait courir au moins 10 verges. Adams n’a rien vu. Pourtant, en premier et 10, on n’avait pas besoin de forcer le jeu. Sur la troisième interception, alors qu’il ne restait que 50 secondes en deuxième et 10 et qu’on avait besoin absolument d’un touché, Adams s’en est remis à sa cible préférée en Eugene Lewis. Il espérait le voir réussir un attrapé spectaculaire. Malheureusement, Dante Absher a semblé faire un mauvais tracé de passes et il s’est retrouvé dans la bulle de Lewis. Le gars qui surveillait Absher est celui qui a intercepté le ballon aux dépens de Lewis, qui se retrouvait à 2-contre-1. C’est rare qu’on voit ça. C’est une erreur de receveur, il faut se répartir le terrain, il est assez grand…

On a souvent dit que Vernon Adams a été béni cette saison, qu’il a été sauvé de plusieurs interceptions. Dans le match contre Edmonton en juillet, il a subi deux interceptions mais il y a eu des pénalités sur le jeu qui les ont annulées. Ça l’a rattrapé hier, à un bien mauvais moment, alors qu’Edmonton, l’équipe la plus punie du circuit, a eu seulement trois pénalités. D’ailleurs, il faut quand même donner du crédit aux Eskimos là-dessus.

Par ailleurs, les unités spéciales ont été bonnes. Le seul côté négatif du long retour de botté de Mario Alford, c’est qu’on a remis plus rapidement le ballon dans les mains de Harris. Les Als ont passé presque tout le deuxième quart sur le banc. C’est un match où c’était dur de soutenir nos séquences et d’aller chercher du rythme. Il aurait fallu que ce soit le festival du gros jeu. On en a eu quelques-uns avec le retour de botté de Mario Alford, l’interception Woody Baron suivie d’une séquence et le touché de Vernon Adams qui était de toute beauté. Tout d’un coup, c’était rendu 34-29 et on y croyait, mais malheureusement ont a été victime de deux interceptions.

Un bilan positif malgré tout

Je ne m’attendais pas à ce que les Eskimos gagnent, mais Harris a réussi quelque chose de spécial dimanche. On a même vu Khari Jones qui, en tant qu’ancien quart-arrière, avait un petit sourire admiratif sur les lignes de côté. Il a vu que Harris était dans sa zone, ce qui aurait dû suffire à tout chambouler le plan de match en défense si rien ne fonctionnait.

Mais voilà que le parcours des Alouettes s’arrête. Les joueurs se sont réunis pour la dernière fois de la saison hier et se sont adressés aux médias. On aura dans les prochains jours la chance de s’exprimer davantage sur ce qui se passe avec les propriétaires, les entraîneurs et le directeur général.

On peut quand même féliciter les Alouettes pour leur belle saison. L’édition 2019 nous a tous surpris et nous a redonné une perspective positive de l’équipe, autant aux yeux des partisans qu’aux yeux de la LCF. On a surtout retrouvé de l’espoir. Kristian Matte l’a bien dit, on a commencé à construire des fondations solides, même s’il n’y a rien de garanti pour l’année prochaine. Chaque saison a sa propre histoire. L’histoire de 2019, ç’a été du football excitant, de la résilience et une équipe unie qui nous a fait vivre des émotions fortes. Souhaitons qu’ils puissent recréer ça l’an prochain.

* Propos recueillis par Audrey Roy.

« Difficile de prendre une décision »
« Un moment spécial » avec Kristian Matte