De mémoire, dans toute ma carrière de joueur dans la Ligue canadienne, je n'ai jamais été impliqué dans un jeu blanc. Il faut dire que ça n'arrive pas souvent : le dernier réussi par les Alouettes remontait à 1976!

Le football de la LCF est axé sur l'attaque. Le terrain est tellement grand que même si les offensives n'ont que trois essais plutôt que quatre pour atteindre leur objectif, elles sont capables d'aller chercher des points assez facilement. Pour empêcher l'adversaire de s'inscrire au tableau dans une ligue où il est possible de marquer un point, par exemple, sur un jeu comme un botté raté, il faut toute une performance de l'unité défensive et je lève mon chapeau à celle des Alouettes, qui a réussi l'exploit vendredi contre Toronto.

Pendant 60 minutes, la défensive montréalaise a été super intense, elle n'a rien laissé passer et a joué avec beaucoup de fierté. Souvent, une équipe plus talentueuse va commettre l'erreur de s'abaisser au niveau d'un rival plus faible, mais les Alouettes ont refusé de tomber dans ce piège face aux Argonauts. C'était l'objectif et il a été atteint. Les membres de la défensive des Oiseaux ont pu sortir du stade la tête haute, fiers de leur performance.

Avant la rencontre, j'avais lancé à la blague que si jamais la défensive des Alouettes avait perdu un peu de confiance dans la défaite de la semaine précédente contre les Eskimos d'Edmonton, l'attaque des Argos était le tonique idéal pour la retrouver.

Je vais tenter de rester poli, mais disons que l'unité dirigée par le quart Kerry Joseph a offert une prestation un peu gênante. Après tout, on parle ici de football professionnel! Il n'est pas question d'une école secondaire avec une longue tradition de succès qui affronte un programme nouvellement mis sur pied. Pourtant, c'est un peu ce à quoi ça ressemblait vendredi soir sur le gazon du Stade Percival-Molson.

Je ne veux absolument pas enlever le mérite à la défensive des Alouettes, mais quand on commence à évaluer le talent à chaque position au sein de l'offensive des Argonauts, on a de la difficulté à trouver des joueurs qui sont meilleurs que ceux des Alouettes. Qui, dans la formation offensive des Argos, ferait le club à Montréal? Pour moi, il y a Dominic Picard et ça s'arrête là.

Le football, ça commence avec du talent. Ensuite, il y a ce que ces joueurs talentueux peuvent faire une fois qu'ils sont habitués de jouer ensemble. À Toronto, il n'y a ni l'un, ni l'autre. À la défense des Argonauts, la ligne à l'attaque a subi des changements - qui n'ont pas fonctionné - juste avant le match contre Montréal. On n'a pas joué une seule partie cette année avec le même groupe de receveurs. Dans ces circonstances, il ne faut pas s'attendre à des miracles.

Je ne me suis pas gêné pour critiquer quelques décisions du personnel d'entraîneurs des Argos lors de la retransmission du match sur les ondes de RDS. Il me semble qu'il y aurait eu de nombreux ajustements à apporter en cours de rencontre, mais on ne les a jamais vus. Je donne en exemple la façon dont on utilise Kerry Joseph.

C'est prouvé, Joseph n'est pas un quart très précis - habituellement, il complète environ 55% de ses passes dans un match - et il n'est pas le meilleur pour lire les défensives adverses. Il n'est pas à l'aise dans sa pochette protectrice. Il faut qu'il sorte, qu'il court. Tu lui donnes un demi-terrain et si ses cibles ne sont pas découvertes, tu le fais courir. On n'a rien vu de la sorte vendredi. Ça fait quelques matchs des Argonauts que je regarde et Joseph est toujours immobile dans le milieu de sa zone de protection.

Je ne suis pas un entraîneur et je n'ai certainement pas la science infuse, mais je sais une chose. Ce n'est pas ça, le style de Kerry Joseph. Je me souviens de lui lorsqu'il a été nommé le joueur par excellence et a remporté la coupe Grey avec les Roughriders de la Saskatchewan en 2007. On ne le restreignait pas à sa pochette protectrice 90% du temps à cette époque. Encore une fois, je n'ai pas la prétention de dire que je pourrais chausser les souliers de Bart Andrus, mais c'est le rôle des entraîneurs de trouver des bonnes stratégies et d'utiliser ses gars de façon à ce que leurs forces soient mises en évidence et que leurs faiblesses soient camouflées.

Des statistiques impressionnantes

Ceci étant dit, je ne voudrais pas qu'on croit que je veux diminuer le travail accompli par les Alouettes. Joseph a été plaqué sept fois derrière sa ligne de mêlée. Jamal Robertson n'a amassé que 20 verges au sol. Les Argonauts ont cumulé 126 verges d'attaque nettes. C'est 31,5 verges par quart... En comptant les courses de Joseph, les Argos ont obtenu 47 verges au sol, mais avec les sept sacs du quart, ils ont perdu 65 verges. Ça n'a aucun bon sens!

L'intensité qui faisait défaut à Edmonton, les Alouettes l'ont certainement retrouvée vendredi. Contre les Eskimos, on avait été incapable d'appliquer de la pression sur le quart Ricky Ray et les couvertures sur les receveurs n'étaient pas assez serrées. Tout ça a été corrigé en l'espace d'une semaine.

C'est bien beau blâmer Joseph, mais le pauvre a été laissé à lui-même contre Montréal. Sa ligne était une vraie passoire et ses receveurs étaient incapables de se démarquer. De mon poste sur la passerelle, aussitôt que je voyais l'étau se resserrer sur Joseph, je déplaçais mon regard sur ce qui se passait dans la tertiaire et je pouvais comprendre pourquoi il s'obstinait à garder le ballon si longtemps. Il n'avait personne à qui le lancer.

Si vous avez écouté le match à RDS, vous savez que j'ai bien aimé le travail de Ramon Guzman, le secondeur qui a obtenu le départ en raison d'une blessure à Diamond Ferri. Il était toujours près du ballon, il était impliqué, il a fait de bons plaqués. Un sac du quart, une passe rabattue... Sur certaines stratégies, il semblait être l'espion qui avait la mission d'épier les gestes de Kerry Joseph. Chaque fois que celui-ci sortait de sa zone de protection, le 52 était là, le suivait comme son ombre.

D'une certaine façon, la perte de Ferri était presqu'un mal pour un bien. Comme les Argonauts ne représentent pas une grande menace par la voie des airs, il était important de pouvoir arrêter le jeu au sol. Guzman est plus imposant physiquement que Ferri et quand vient le temps d'absorber les bloques des gros joueurs de ligne et de s'en débarrasser pour réussir les plaqués, il est mieux outillé pour le faire.

Un groupe à prendre au sérieux

J'avais bien hâte de voir à l'œuvre le fameux front défensif des Argonauts. J'avais pu l'observer à l'ouvrage deux fois contre les Blue Bombers de Winnipeg, mais justement... Il avait connu du succès, mais je me disais que c'était contre Winnipeg. La défensive torontoise se classe première ou deuxième dans plusieurs catégories de statistiques, mais je me demandais toujours si ces données étaient fiables ou si elles étaient biaisées par la faible opposition rencontrée jusque-là.

Ma conclusion après le match contre Montréal : il faut prendre ce groupe au sérieux.

La ligne défensive des Argonauts a vraiment brassé la ligne offensive montréalaise. Même s'ils ont été capables d'en faire assez pour gagner, aucun joueur des Alouettes n'a été épargné et je crois qu'ils ressortent de ce duel avec beaucoup de respect pour le groupe des Argonauts. J'ai déjà hâte de voir le prochain match entre les deux équipes...

Du côté de l'attaque, il est intéressant de noter le succès rencontré par les Alouettes profondément dans le territoire des Argonauts. À l'intérieur de la ligne de cinq adverse, les Alouettes ont fait appel à leur formation jumbo, composée de deux ailiers rapprochés et du gros plaqueur Eric Wilson comme centre-arrière, et ont marqué trois touchés de cette façon.

Wilson, une véritable brute, a d'ailleurs surpris tout le monde sur le dernier jeu de la première demie en quittant sa position pour aller capter une passe de touché d'Adrian McPherson. Ce plaqueur avec un petit côté « homme des cavernes » a démontré qu'il possédait des mains délicates quand vient le temps d'attraper le ballon! C'est toujours le fun de voir un gars comme ça impliqué en attaque. Ça démontre sa polyvalence, et en plus c'est toujours amusant pour ses coéquipiers et les partisans.

Je suis de ceux qui trouvent qu'un bon petit play action (une feinte de course suivie d'une passe) a toujours sa place à la ligne d'une verge de l'adversaire. C'est sûr qu'il faut que l'exécution soit là, mais comment voulez-vous que l'adversaire ne respecte pas la menace du jeu au sol quand vous amenez une formation aussi musclée à la porte des buts!

Un peu de gris dans mes lunettes roses

Quand une équipe gagne 25-0, il n'y a pas grand-chose qu'on puisse lui reprocher. J'aimerais tout de même ressortir deux petits points qu'il faudrait corriger pour le prochain match.

Le premier, c'est le trop grand nombre de pénalités dont ont écopé les Alouettes : douze pour des pertes de 132 verges. Dans un match plus serré, ça aurait pu faire la différence en faveur de l'adversaire.

L'autre concerne Damon Duval. Le botteur des Alouettes a connu un début de match très, très ordinaire. Un de ses bottés de dégagement a fini sa course dans la zone des buts alors qu'on tentait de repousser l'adversaire de le plus creux possible dans son territoire. Il a aussi raté une tentative de placement de 25 verges.

Le prochain match est samedi prochain contre les Blue Bombers de Winnipeg. D'ici là, portez-vous bien!


*Propos recueillis par Nicolas Landry.