La semaine de l'East-West Shrine Bowl, une opportunité unique pour Régis Cibasu
Football samedi, 20 janv. 2018. 17:31 dimanche, 15 déc. 2024. 06:29Au moment d’écrire ces lignes, la 93e édition de l’East-West Shrine Bowl – cette rencontre regroupant les meilleurs espoirs du football américain – s’amorce au Tropicana Field, à St. Petersburg en Floride. Et comme ce fut le cas à quelques reprises au cours des dernières années, on avait droit à une représentation québécoise, alors que le receveur des Carabins de l’Université de Montréal Régis Cibasu était de la formation de l’Est.
Pour ma part, ça demeure encore à ce jour un moment particulier de l’année, ayant moi-même participé à ce match en janvier 1988. À l’époque, la partie avait été disputée sur le terrain de l’Université Stanford, en Californie. Laissez-moi vous dire que c’est tout un honneur de faire partie de cette expérience en tant que seul joueur canadien sélectionné. J’en conserve d’excellents souvenirs qui me sont encore chers.
À lire également
Tout comme Cibasu, je m’étais aligné avec la formation de l’Est, étant un produit de l’Université Western Ontario, à London. Année après année, il s’agit d’un calibre de jeu hyper relevé. On parle ici après tout d’un match d’étoiles. Pour un joueur canadien, c’est donc une vitrine exceptionnelle de pouvoir se mesurer à des joueurs de grand talent.
Rappelons que Laurent Duvernay-Tardif et Antony Auclair ont les deux participé à ce grand rendez-vous. On peut dire que les choses se sont plutôt bien déroulées pour eux depuis! Le premier est devenu un garde d’élite dans la NFL, tandis que le second s’est fait une niche avec les Buccaneers de Tampa Bay et a obtenu des répétitions en tant que partant à sa saison recrue.
Je souhaite donc à Cibasu de profiter de cette opportunité pour se faire remarquer, parce qu’en réalité, c’est la première réelle occasion qui s’offre à lui. Les joueurs collégiaux américains ont été scrutés à la loupe durant le calendrier de la NCAA, mais ce n’est pas le cas du joueur canadien, qui souhaite faire bonne première impression. À partir de ce moment, les équipes intriguées par ton potentiel tenteront d’en savoir plus à ton sujet.
Peut-être les techniques d’évaluation ont-elles évolué depuis mon passage au Shrine Bowl, mais je peux vous assurer que le processus pouvait ressembler à certains moments à l’encan animalier de Saint-Hyacinthe!
Ce que je peux vous dire, c’est que chacun des gestes des participants est épié avec une grande attention. En début de semaine, les athlètes sont conviés à une salle dans un hôtel, et ne portant qu’un sous-vêtement, se soumettent à des tests physiques. Ils sont mesurés, pesés, tournés de tous les côtés. Les recruteurs, présents dans les premières rangées, sont à la recherche d’informations sur la morphologie des joueurs. Ils veulent tout savoir : comment se tient-il les épaules? A-t-il des cicatrices visibles? Déjà, cette première étape est particulière et peut s’avérer intimidante pour les joueurs.
Par la suite viennent les différents entraînements, durant lesquels les lignes de côté sont complètement bondées de dépisteurs et de membres de l’état-major des équipes professionnelles. Ils sont continuellement en train de prendre des notes ou de parler dans leur enregistreuse vocale, que ce soit pendant l’échauffement, les étirements ou la période d’exercices à un contre un. En tant que joueur, on en vient à se demander : « Qu’est-ce que je peux être en train de faire qui ait causé une réaction ou qui puisse avoir affecté mon évaluation? »
Au retour des séances, les joueurs font des rencontres avec les représentants des différentes équipes. C’est le moment pour ceux-ci de décortiquer leur compréhension du football et de dresser un profil psychologique des jeunes hommes auxquels ils ont affaire. « À quel système de jeu es-tu habitué? Quels sont tes jeux favoris? Comment t’entraînes-tu? » L’interrogatoire peut aussi être très poussé.
À mon époque, il y avait le fameux test que faisaient passer les Giants de New York aux participants. Si ma mémoire ne fait pas défaut, c’est un questionnaire de près de 500 questions auquel devaient se soumettre les joueurs. Des questions aussi banales que : « quelle est ta préférence entre les chats et les chiens? »
Comme les joueurs n’obtiennent que très peu de répétions en situation de match, ce sont surtout les exercices à l’entraînement qui peuvent peser lourd dans l’évaluation. Pour un receveur comme Cibasu, les évaluateurs chercheront à savoir s’il a réussi à se démarquer de son couvreur, s’il a bien capté les ballons lancés en sa direction, s’il s’est montré hargneux dans ses confrontations à un contre un. Ce sont des détails qui sont plus importants que le match lui-même, même s’il est vrai qu’une belle prestation durant la rencontre elle-même ne peut pas nuire, loin de là.
Pour un joueur, la richesse de l’expérience, c’est aussi la belle camaraderie qui s’installe durant la semaine. Tu rencontres toutes sortes de joueurs issus de dizaines de programmes différents. Ça peut paraître impressionnant au début de voir un joueur se présenter comme étant un produit de Notre Dame ou d’USC, mais cet effet s’estompe. Tu t’aperçois que ce ne sont quand même pas des robots, et que tu peux tenir tête à ces athlètes.
Les plus jeunes de nos lecteurs risquent de ne pas les connaître, mais j’ai moi-même passé cette semaine au Shrine Bowl à côtoyer des joueurs qui allaient devenir des visages bien connus de la NFL. Du lot, trois d’entre eux avaient été sélectionnés en première ronde. Le plus connu était probablement Lorenzo White, un porteur de ballon issu de Michigan State. Il y avait aussi Randall McDaniel, un joueur de ligne offensive qui a connu une grande carrière avec les Vikings du Minnesota l’ayant mené à une place au Temple de la renommée.
Un de ceux avec qui j’ai passé beaucoup de temps durant cette semaine-là avait été Bill Romanowski, un futur secondeur vedette ayant évolué avec les Broncos de Denver, les Raiders d’Oakland et les 49ers de San Francisco. Il était mon voisin de casier dans le vestiaire, et nous avions rapidement appris à nous connaître. Loin d’être un enfant de chœur sur le terrain, je peux vous assurer que c’était tout le contraire lorsqu’il retirait les épaulettes. J’ai rarement vu un tel chic type à l’extérieur du terrain, à des années lumières de sa réputation d’athlète qui joue à la limite de la légalité.
On dit souvent les joueurs changent de personnalité dans le feu de l’action. Je n’ai que très rarement vu de changement aussi flagrant que Bill Romanowski!
Je me souviendrai toujours du moment où on avait fait appel à mes services durant le match, à quelque part au deuxième quart. Positionné au centre, j’avais levé les yeux pour la première fois à la ligne de mêlée pour constater que je me mesurais à nul autre que Chad Hennings. Il venait de mettre la main sur le trophée Outland remis au joueur de ligne par excellence aux États-Unis. Toute une première assignation! Par la suite, Hennings s’est joint aux Cowboys de Dallas, avec lesquels il a remporté trois fois le Super Bowl… Quand je vous dis que c’était du gros football qui s’y jouait!
À jouer contre l’élite des joueurs admissibles, non seulement ça t’ouvre les yeux, mais c’est aussi une expérience d’apprentissage sans pareil. Tu ne peux faire autrement que ressortir de là gonflé à bloc, prêt à t’améliorer. Je souhaite donc à Régis Cibasu que son expérience au Shrine Bowl soit aussi enrichissante que la mienne l’a été.
Un mot sur le dossier Giguère
D’un jeune receveur canadien, passons à un vétéran, alors que la décision des Alouettes de libérer Samuel Giguère a retenu l’attention. On raconte que Giguère en aurait été informé il y a quelques semaines, mais l’équipe a attendu que la machine à rumeurs s’active avant de confirmer le tout, vendredi.
Avant de faire un commentaire sur l’aspect football, permettez-moi de déplorer cette manière de faire des Alouettes, une philosophie qui ne date pas d’hier. Pour une raison que j’ignore, les transactions restent secrètes, et c’était comme ça aussi durant l’ère Jim Popp.
La majorité des équipes sont transparentes à cet égard. Les signatures et les fins de contrat ne sont pas faites en catimini.
Par respect pour les partisans qui suivent l’équipe avec assiduité, pourquoi ne pas rendre des décisions publiques plus rapidement? À mon sens, l’argument selon lequel ça serait fait dans le but de « protéger » le joueur est plutôt bidon. On parle ici de football professionnel, et de toute manière, ça se saura tôt ou tard.
À mon sens, l’annonce faite vendredi ne signifie pas nécessairement que Giguère ne reviendra pas avec l’équipe. Mais clairement, Kavis Reed a jugé qu’à 32 ans, et compte tenu de son historique récent de blessures et de performances (plusieurs matchs ratés et quelques échappés malheureux), le salaire du receveur québécois n’était pas en phase avec son rendement, soit une production de 11 réceptions pour 107 verges et un touché. Quand vient le temps d’aller grappiller des dollars à gauche et à droite relativement au plafond salarial, Giguère est un candidat tout désigné.
D’une part, il est un joueur national. Mis à part les quarts-arrières et quelques vedettes américaines, ceux-ci sont souvent parmi les joueurs les mieux rémunérés par leur équipe. Cela s’explique par le phénomène de rareté. Il n’y a pas une infinité de talents canadiens disponibles. C’est encore plus facile d’opter pour cette stratégie lorsque le joueur est un « petit gars de la place ». Les équipes tentent de voir s’il est possible d’obtenir un « rabais local ». La pression est sur le joueur, qui souvent n’a pas envie de déménager pour des motifs familiaux, notamment. En gros, c’est un peu comme si l’équipe présentait la situation ainsi au joueur local : « Si tu es prêt à aller jouer en Saskatchewan pour 10 000 $ de plus par saison, fais-toi plaisir! » Toutes les équipes de la LCF jouent cette carte.
C’est donc une situation classique dans le football canadien, un circuit dans lequel les contrats ne sont pas garantis. Pour une entente de trois ans, l’équipe se donne le droit de conserver le service du joueur pendant la totalité du pacte, mais le joueur, lui, vit dans l’incertitude.
C’est la raison pour laquelle on voit souvent des restructurations de contrat, ou des joueurs être libérés à la suite de leur refus de restructurer. C’est fort possiblement ce qui s’est produit avec Giguère : il a fait le pari qu’une autre équipe lui offrira davantage. De son côté, l’état-major montréalais lui a sans doute présenté des paramètres révisés, s’il devait être insatisfait de ce qu’on lui propose ailleurs dans la LCF.
Ce qui m’étonne quelque peu, c’est que les Alouettes ne regorgent pas de talent canadien, et on connaît l’importance de cette facette dans la configuration actuelle de la ligue. J’en déduis qu’on veut confier un rôle élargi au jeune George Johnson, qui avait montré de belles choses en 2017. En tant que joueur de deuxième année, il coûtera moins cher que Giguère. Il est aussi plus grand, et le potentiel est aussi plus élevé. Mais c’est un pari en quelque sorte, étant donné que ça prend un total de sept partants canadiens à tous les matchs.
Ça ne veut pas dire pour autant que Samuel Giguère ne sera pas un membre de l’édition 2018 des Alouettes. Nous ne sommes qu’en janvier; plusieurs choses peuvent se produire d’ici au camp d’entraînement. Ce dossier n’est peut-être pas encore clos.
* propos recueillis par Maxime Desroches