La Ligue canadienne de football (LCF) a annoncé que pour la première fois de son histoire il y aurait un plafond salarial pour le personnel d’entraîneurs et des opérations football. Une décision qui amène son lot de questions, mais qui vise à assurer la santé financière du circuit.

Concrètement, ce que ça signifie pour les équipes de la LCF c’est qu’elles ne pourront employer plus de 11 entraîneurs et 14 employés dans les opérations football. Ces 25 employés devront se partager 2 588 000 $ pour les saisons 2019 et 2020 après quoi les montants feront l’objet d’un réexamen.

À première vue, c’est particulier comme situation, car le football est le sport professionnel où les entraîneurs ont le plus grand impact sur les résultats comme c’est un sport extrêmement stratégique. Les plans de matchs, les techniques utilisées sont enseignés par les entraîneurs. Je dis souvent à la blague que c’est comme Noël pour les joueurs lorsqu’ils reçoivent le plan de match, car c’est à ce moment-là qu’ils voient ce qui va leur permettre de gagner, d’être un bon joueur et de bien faire leur travail. En fin de compte, les joueurs ne font qu’exécuter ce qui est dicté. Le football est un sport très précis qui ne laisse pas place à l’improvisation et on se fie aux entraîneurs pour les plans de match et c’est extrêmement important.

Quand on entend qu’on va mettre un frein sur les dépenses au niveau des opérations football, on se demande donc pourquoi on fait cela. N’est-ce pas une façon de diminuer la qualité du produit ? Est-ce qu’on va avoir moins d’instructeurs de qualité? Est-ce qu’il y en aura moins provenant des États-Unis? Est-ce qu’on va développer moins d’entraîneurs parce qu’on ne pourra plus leur offrir de plus petits postes? Plusieurs pilotes dans les rangs professionnels ont justement commencé avec des postes de contrôle de qualité pour apprendre le métier. Ces questions sont légitimes et valent la peine d’être posées.

D’un autre côté, la LCF a pris cette décision de façon réfléchie. Ce n’était pas un choix facile, mais pour le bien de la santé financière de la ligue c’était une chose à faire. Je me souviens à l’époque où j’étais joueur, nous célébrions au début de saison lors des soupers d’équipe, car nous étions heureux de pouvoir jouer une autre saison, car la ligue n’était pas en santé à cette époque. On avait peur que la LCF tombe à l’eau ou qu’une équipe disparaisse, c’était une blague à l’interne de souligner que nous ayons une saison de plus à jouer.

Si un plafond salarial des opérations football peut permettre d’éviter de revivre ce genre de situation, je vais l’accepter. La LCF demeure une business et à un moment donné, il faut contrôler les frais fixes et il faut que les chiffres fonctionnent. Certaines équipes ne voulaient probablement pas faire de tels sacrifices, mais pour les formations qui n’ont pas le même budget, ça évite une escalade de dépenses qui les mettraient en situation précaire.  Des équipes mieux nanties comme la Saskatchewan ou Edmonton pouvaient se servir comme dans un buffet, mais plusieurs équipes n’étaient pas capables de suivre la cadence des dépenses.

La ligue a pris la décision qu’elle ne serait pas plus avancée si elle devait poursuivre avec moins d’équipes. C’est donc dans le but d’assurer la viabilité des plus petits marchés que cette mesure a été prise. C’est nouveau, on va voir ce qui va se passer, mais la ligue a indiqué qu’elle voulait revoir annuellement les dépenses. Elle est consciente qu’elle ne connaît pas les impacts qu’aura une masse salariale du personnel. La ligue est prête à réagir aux bons et aux moins bons coups et c’est la bonne attitude à avoir. Oui la ligue est un spectacle, mais c’est surtout une business et il faut que les chiffres fonctionnent en fin de compte.  

D’un autre côté, avec la convention collective qui vient à échéance, la ligue envoie un message à l’Association des joueurs. Il y a des années que les joueurs se plaignent qu’ils sont soumis au plafond salarial et qu’ils doivent se serrer la ceinture avec des contrats non garantis. C’est frustrant pour eux de voir des équipes changer d’entraîneurs chaque année et de voir les organisations gaspiller de l’argent, car les instructeurs ont des contrats garantis. Avec l’imposition d’un plafond sur les dépenses des opérations football, la ligue envoie le message qu’elle aussi est prête à se serrer la ceinture.

Un autre point de vue intéressant c’est que la ligue parle d’équipe d’expansion comme Halifax et c’est beaucoup plus simple vendre un plan d’affaire à un futur propriétaire quand tu peux lui chiffrer concrètement ses dépenses. C’est ça que ça coûte pour les opérations football, c’est ça que ça coûte pour les joueurs. Je trouve ça intéressant pour les futures expansions, les futures propriétaires qui sauront exactement dans quoi ils s’embarquent. Et ce n’est certainement pas une mauvaise affaire.

Une chose qui me chicote, c’est que la décision survient au même moment où deux autres ligues voient le jour aux États-Unis. La XFL débutera ses activités en février 2020 et la AAFL, elle, devrait débuter un an plus tôt. Peut-être qu’avec ces nouvelles avenues, certains entraîneurs ne voudront plus passer au nord de la frontière si les salaires sont pour baisser et qu’en plus ils seront payés en dollars canadiens. D’un autre côté par contre, il n’est pas impossible que ça permettre d’ouvrir la porte à des instructeurs canadiens – car nous avons d’excellents entraîneurs dans notre réseau universitaire canadien – ou encore à d’anciens joueurs. Tout cela fera partie de la réévaluation annuelle que la LCF devra faire et si elle s’aperçoit qu’il y a un sérieux problème elle va ajuster le tir.

Fait à noter, le nouveau plafond entre en vigueur le 1er janvier 2019 et le ménage devra être fait avant cette date. Évidemment, si un contrat s’étend au-delà de cette date, les équipes devront payer l’entraîneur, mais son salaire ne comptera pas sur la masse salariale. À partir du 1er janvier, si une équipe remercie un entraîneur qui est encore sous contrat, le coût total de son contrat va aller directement sur la masse salariale. Cependant la ligue ne veut pas menotter les clubs et elle a pris la décision qu’un congédiement serait amorti sur une période de cinq ans. C’est donc dire que si un entraîneur touche un salaire de 100 000 $ pour une dernière année de contrat, son salaire comptera pour 20 000 $ sur la masse salariale pendant cinq ans. En plus, une fois par cycle de cinq ans (de 2019 à 2023), chaque équipe aura le droit à un laissez-passer. C’est-à-dire un congédiement gratuit pour un contrat qui ne sera pas appliqué que la masse salariale. Le but est de permettre aux équipes de commettre des erreurs qui n’affecteront pas le plafond salarial du personnel.

Cette décision avantagera assurément les équipes aux entraîneurs polyvalents comme les Stampeders de Calgary qui comptent sur Dave Dickenson qui agit comme entraîneur-chef et coordonnateur à l’attaque. Les Eskimos et les Roughriders sont dans la même situation et peuvent ainsi sauver un poste d’entraîneur et par extension l’argent qui y est lié. Une telle polyvalence permettra à ces équipes d’aller chercher un autre entraîneur spécialisé ou d’investir l’argent sur un autre membre du personnel. Si ton coordonnateur à l’attaque est également entraîneur des quarts, c’est la même situation. La réduction du personnel d’instructeurs risque de multiplier ce genre de situation où un entraîneur va être appelé à porter plus d’un chapeau afin de sauver un salaire et un poste. Comme le montant d’argent est commun entre les entraîneurs et les postes d’opérations football, assurer une polyvalence aux postes d’instructeurs permet d’avoir plus d’argent pour les opérations football.

Tu ne peux pas avoir plus de personnels, mais tu peux mieux payer tes 14 personnes ou encore avoir des meilleurs consultants aux États-Unis. Les équipes ne seront pas obligées non plus de compter sur 11 entraîneurs, certaines pourraient opter pour moins de personnels et conserver l’argent pour les opérations football ou pour mieux payer neuf entraîneurs par exemple.

Une situation qui sera particulière avec cette implantation c’est que dans le cas d’un congédiement d’un entraîneur-chef, il sera spécial de voir comment celui qui sera appelé à le remplacer gérera la situation. Habituellement, un entraîneur-chef s’entoure de ses propres adjoints, mais si on congédie l’entraîneur et ses dix adjoints, ça va coûter très cher. Est-ce que ça veut dire qu’on va demander à un entraîneur de travailler avec un personnel déjà établi autour de lui. J’ai bien hâte de voir parce que dans le monde du football, les relations sont hyper importantes. On peut passer 18 heures par jour avec les mêmes personnes et si on demande à un entraîneur de travailler avec des gens qu’il ne connaît pas, il ne voudra peut-être pas s’impliquer dans une telle situation. La ligue va-t-elle se priver de bons entraîneurs-chefs parce qu’ils ne veulent pas se mettre dans une situation où ils ne choisissent pas leurs adjoints?

Pour ce qui est du modèle du personnel d’opérations football, c’est sensiblement le même pour les dix premiers postes à travers la ligue. Il y a le directeur général, deux adjoints à celui-ci, un recruteur en chef, un directeur des administrations football, un adjoint à l’administration, deux gérants d’équipements et deux personnes à la vidéo. Déjà là c’est 10 postes qui sont établis. Il reste donc quatre candidatures pour un adjoint à la masse salariale ou même un analyste de données et de statistiques avancées comme il est de plus en plus répandu et d’autres recruteurs. En plus des 14, les équipes pourront compter jusqu’à cinq recruteurs consultants aux États-Unis qui ne comptent pas dans le nombre de personnels, mais leur salaire, lui, comptera sur la masse salariale. Encore là il faudra être imaginatif avec les dépenses et viser des économies.

Propos recueillis par Guillaume Pelletier