Les honneurs ultimes de la Ligue canadienne de football seront disputés entre deux formations au pedigree classique : les Stampeders de Calgary qui, tel un rouleau compresseur, ont dominé semaine après semaine la saison régulière pour terminer avec un dossier étincelant de 15 victoires et seulement trois vers, et les Tiger-Cats de Hamilton, l’équipe aux résultats nettement moins impressionnants, qui a néanmoins terminé la dernière portion de la campagne avec énormément d’aplomb. En ce sens, la progression des Ti-cats en deuxième moitié d’année (sept gains contre deux défaites) s’apparente fortement à celle connue par les Alouettes.

Tout devrait se jouer au sol

C’est en quelque sorte le débat éternel de ce type de duel : l’équipe au rendement époustouflant a-t-elle réellement un avantage marqué sur celle qui s’est mise à jouer son meilleur football tardivement? On n’a pas à regarder bien loin pour recenser la dernière surprise du genre : en 2012, les Stampeders étaient largement favoris contre les Argonauts de Toronto en raison de leur constance, mais ces derniers, auteurs d’une modeste fiche de 9-9, surfaient sur une vague qui les a propulsés à la victoire. Autant les représentants de l’Ouest peuvent puiser dans leurs souvenirs afin d’éviter de tomber dans le même piège dimanche, ceux de l’Est ont tout intérêt à s’en inspirer.

Étrangement, le BC Place de Vancouver sera le théâtre, lors de cette 102e Coupe Grey, d’un affrontement en tout point identique à celui disputé il y a 15 ans jour pour jour, le 28 novembre 1999! Les Ti-cats s’étaient alors imposés au compte de 32-21 aux dépens des Stamps dans ce même stade.

Depuis cette conquête, les représentants ontariens n’ont atteint qu’une seule fois le dernier match éliminatoire – c’était l’an dernier – et ils avaient baissé pavillon 45-23 devant les Roughriders de la Saskatchewan, qui avaient triomphé devant leurs partisans. Notons tout de même une tendance intéressante qui remonte au milieu des années 80. À l’époque, en 1985, Hamilton s’était incliné lors de sa participation à la Coupe Grey, avant de se reprendre et de soulever le précieux trophée en 1986. Transportons-nous une douzaine d’années plus tard. En 1998, les Ti-cats subissaient la défaite contre Calgary, mais se sont ensuite retroussé les manches pour finalement prendre leur revanche contre ces mêmes rivaux dès l’année suivante.

Bien sûr, les éléments en place tant du côté sportif qu’administratif ont été chamboulés du tout au tout à plusieurs reprises durant cette période de près de trois décennies. Mais dans une perspective historique, ça demeure une statistique intrigante qui ne peut être totalement balayée du revers de la main!

Des chiffres à prendre à légère

Les deux clubs finalistes ont croisé le fer à deux reprises cette saison. Chaque fois, les Stampeders ont eu le dernier mot, par des pointages de 10-7 et 30-20. Un retour rapide sur ces deux confrontations permet d’émettre le constat suivant : malgré leurs insuccès, les Ti-cats n’ont aucunement été déclassés par les champions de la saison régulière. Par ailleurs, quelques facteurs atténuants rendent superflues toutes les analyses possibles, le plus frappant étant l'absence de joueurs clés des deux unités offensives. Embêté par une blessure, Zach Collaros n’était pas au poste de quart pour l’une ou l’autre de ces joutes, tandis que l’électrisant demi offensif Jon Cornish soignait lui aussi une blessure l’empêchant de jouer. En toute objectivité, il faut également admettre qu’en juillet et en août, les Ti-cats ne jouaient pas avec la même confiance qui les habite présentement. Ils forment une équipe grandement améliorée, ne l’oublions pas. Bref, un certain nombre de variables inconnues rendent futile l’utilisation de ces deux résultats quand vient le temps de déterminer qui l’emportera.

Bo Levi MitchellL'ère des jeunes quarts est entamée

La première d’une panoplie de batailles qu’il sera intéressant de suivre attentivement est le vis-à-vis entre deux jeunes généraux à l’attaque, Bo Levi Mitchell pour les Stamps et Collaros pour les Ti-cats.

Ces deux jeunes quarts sont à l’avant-scène d’une nouvelle ère à leur position dans la LCF, après des années de domination d’un groupe de vétérans incluant Rick Ray, Henry Burris, Anthony Calvillo et Travis Lulay, notamment. Il faut d’ailleurs remonter à 2007 pour identifier le dernier match de la Coupe Grey dans lequel ne figurait pas l’un de ces quatre joueurs. Kerry Joseph avait alors conduit les Riders à la victoire contre un visage familier aux partisans montréalais, un certain Ryan Dinwiddie (l’actuel coordonnateur offensif des Alouettes et autrefois quart des Blue Bombers de Winnipeg)!

Bien qu’ils représentent à eux deux le nouveau visage du circuit Cohon à leur position, Mitchell et Collaros ont des attributs bien distinctifs. Le premier est un passeur plus traditionnel, préférant demeurer dans la pochette pour décocher ses passes et misant sur un doigté hors pair pour prendre le contrôle d’un match.

Son vis-à-vis n’est certes pas un mauvais passeur, mais c’est assurément en courant et en faisant bon usage de sa mobilité que Collaros est plus dangereux pour les défensives adverses. Généralement, Mitchell obtient du succès en privilégiant les zones profondes, tandis que Callaros, compte tenu du système dans lequel il évolué, est plus apte à lancer de courtes passes et à laisser ses receveurs engranger des verges après les attrapés. À preuve, leur de match de finale d’association respectif, Mitchell a connecté avec ses cibles à cinq reprises sur des jeux de 30 verges ou plus, et Collaros pas une seule fois. Et pourtant, la méthode conservatrice mise de l’avant par la troupe de Kent Austin a été bénéfique contre les Als.

Banks, la menace à enrayer

J’ose présumer qu’en regardant les bandes vidéo de la finale de l’Est, le personnel d’entraîneurs des Stampeders a pris des notes au sujet de l’infatigable Brandon Banks, l’individu qui a causé le plus de maux de tête aux Montréalais dimanche dernier.

Brandon BanksLe retourneur vedette doit être enrayé du plan de match dans la mesure du possible. Évidemment, ils devront se méfier de lui lorsqu’il sera intégré à la stratégie offensive des Tiger-Cats, mais sur les unités spéciales, on ne peut jamais être trop prudent à son endroit. La solution est pourtant bien simple : il faut carrément mettre son ego de côté et affirmer haut et fort : « Nous ne laisserons pas Banks mettre son empreinte sur cette rencontre! » Incidemment, il faudra opter pour les bottés en direction des lignes de côté, quitte à écoper de quelques pénalités de 10 verges pour botté illégal. Il faut aussi tenter d’envoyer le ballon à l’opposé de Banks. Heureusement pour les Stamps, leur botteur Rob Maver excelle dans cette facette du jeu. Finalement, on doit tenter de réaliser le plaqué le plus rapidement possible, quitte à se voir imposer une pénalité pour non-respect de l’immunité. Toutes ces options sont plus acceptables que de concéder un majeur sur une course de 90 verges.

La bonne nouvelle pour les Stamps, c’est qu’ils ont dominé la ligue dans deux catégories importantes : ils ont mené non seulement pour le nombre de premiers jeux acquis avec 387, mais aussi pour le plus petit nombre de bottés de dégagement avec 124 (une moyenne de sept par match). C’est certes encourageant lorsque tu t’apprêtes à affronter un retourneur de la trempe de Brandon Banks.

Ce n’est pas sorcier. Le plan de match d’un instructeur consiste plus souvent qu’autrement à enrayer la plus grande menace de l’adversaire. Les Stampeders n’ont pas à se creuser les méninges de midi à 14 h pour identifier celle de leurs rivaux. Après tout, l’attaque des Tiger-cats n’est pas aussi explosive et dynamique que la leur.

Les Ti-cats ont des choix à faire

Le match ultime de la saison dans le football canadien mettra aux prises l’attaque au sol la plus efficace de la ligue, celle des Stampeders, et le front défensif le plus avare de verges, celui des Tiger-Cats. Calgary a amassé pas moins de 143 verges par la course en moyenne, tandis que Hamilton a limité les demis offensifs adverses à 77 verges en saison régulière.

Jon CornishPuisque Cornish s’est absenté lors des deux affrontements de l’année, il est difficile d’avoir des points de repère. Mentionnons toutefois que le dernier gagnant du titre de joueur par excellence de la LCF a été absolument sublime tout au long de la campagne, maintenant sa moyenne par portée à près de huit verges, ce qui est simplement phénoménal. Il court avec aisance à l’intérieur et à l’extérieur, et dans l’éventualité où une équipe consacrerait trop d’énergies à ralentir son emprise sur le jeu au sol, Cornish peut venir la hanter par son implication dans le jeu aérien. C’est ce qu’il a pu accomplir la semaine passée, inscrivant un touché sur une distance de 78 verges après avoir capté une courte passe de Mitchell.

Autrement dit, les Ti-cats doivent « choisir leur poison » pour utiliser une expression propre à l’anglais. Les Eskimos d’Edmonton ont été confrontés au même dilemme en finale de l’Ouest. Ils ont choisi de porter une attention particulière à Cornish, et c’est le jeune quart des Stamps qui leur a fait payer la note en lançant quatre passes de touché, en plus de dépasser la barre des 300 verges de gains. Logiquement, les Ti-cats feront le choix de déléguer plus de personnel afin d’arrêter le jeu au sol, car il n’y a rien de plus démoralisant que d’accorder premier essai après premier essai au porteur de ballon adverse, sans avoir la moindre chance de dicter l’allure du match.

En terminant, un dernier aspect qui mérite d’être pris en compte est la nette amélioration de la ligne offensive des Ti-cats de la première semaine de juillet au moment présent. Peu à peu, au fur et à mesure que revenaient au jeu les joueurs blessés, l’unité a trouvé son erre d’aller. Sachant que les Stampeders seront privés de Charleston Hughes et DeQuin Evans, deux pièces importantes de leur défense, Hamilton ne sera sûrement pas désavantagé dans cette guerre de tranchées.

*Propos recueillis par Maxime Desroches