Laurent Duvernay-Tardif et Sasha Ghavami : le plan de deux amis
Football vendredi, 9 janv. 2015. 01:01 samedi, 14 déc. 2024. 18:43MONTRÉAL – C’est l’histoire de deux amis âgés de 22 ans. L’un est étudiant en médecine tout en étant un joueur de football dominant au sein du circuit universitaire canadien. L’autre étudie le droit, mais ne dispose pas de la charpente de son ami.
L’étudiant en droit rêve de devenir agent de joueur et devient l’agent du médecin. Moins d’un an après leur association, le joueur de football est repêché dans la NFL.
Petite particularité par contre : le futur avocat n’avait aucune expérience comme agent et le joueur de football était inconnu ou presque au sud de la frontière.
Cette histoire digne d’un scénario d’Hollywood, c’est celle qu’a vécu Laurent Duvernay-Tardif en compagnie de son agent et ami Sasha Ghavami. Bien qu’il en était à un premier client, le manque d’expérience de ce dernier ne l’a pas empêché de fournir la meilleure représentation possible à son ami pour lui donner toutes les chances d’atteindre le plus haut circuit de football au monde.
Et comme Hollywood en raffole, la fin de cette intense aventure fut des plus heureuses avec la sélection de Duvernay-Tardif par les Chiefs de Kansas City lors de la sixième ronde du repêchage de 2014.
Les deux amis, qui se sont rencontrés au Collège André-Grasset, ont réalisé leur rêve en moins d’un an. Laurent vient de compléter sa première saison dans la NFL tandis que Sasha a ajouté quelques clients à son carnet.
« La première chose que je lui ai dit en le rencontrant, c’était que j’avais un plan. Je lui ai dit que je ne voulais pas que ce soit une affaire de chums. Il avait une mince fenêtre et six équipes de la NFL avaient déjà contacté McGill pour des bandes vidéo. Si ce n’était pas moi, il n’y avait pas de rancune. Mais s’il me choisissait, je voulais que cette partie de notre relation soit business. Il a regardé mon plan et il m’a choisi », se remémore Sasha, un diplômé en droit de l’Université de Montréal.
« C’était en quelque sorte un rêve de jeunesse. J’ai fait du sport toute ma vie. Mais mon métier de rêve, c’était agent. Mais je ne pensais jamais à 22 ans être l’agent du meilleur espoir canadien de l’époque », ajoute-t-il.
À ce moment, son objectif était simple : donner la visibilité à Laurent pour qu’il soit repêché dans la NFL. Avec peu de temps et le fait que Laurent était un joueur universitaire canadien, la tâche était colossale. Pour un agent sans expérience dans le monde de la NFL, on peut dire que le tour de force a été drôlement bien réussi.
Après lui avoir déniché un agent aux États-Unis pour le représenter dans la NFL, l’avoir accompagné à la Classique Shrine et lui avoir organisé un Pro Day devant neuf équipes de la NFL, Sasha était aux côtés de son client lorsqu’il a reçu l’appel des Chiefs le 10 mai 2014. Ce jour-là, Laurent Duvernay-Tardif devenait le premier Québécois en 13 ans à être sélectionné lors du repêchage de la NFL.
« Laurent est un de mes grands chums alors je voulais tellement qu’il réussisse. Lors de la journée du repêchage, j’étais stressé et je n’étais pas du monde. Quand l’appel des Chiefs est rentré, je me suis dit ça y est! C’était un des plus beaux moments. Je pense que c’est la clé de notre succès. On veut autant de succès l’un pour l’autre », explique Sasha qui représente maintenant quelques joueurs de la LCF, dont Jean-Christophe Beaulieu des Alouettes de Montréal.
« Savourer l’accomplissement avec ton chum qui lui aussi s’est réalisé là-dedans, ça vaut tellement plus que de le faire tout seul », assure Laurent qui a profité des qualités organisationnelles et psychologiques de son agent pour le guider.
Un plan respecté à la lettre
L’aventure s’est bien terminée pour les deux hommes, mais revenons à la genèse de celle-ci.
Comment un étudiant en médecine avec un brillant avenir dans le football en est-il venu à choisir un agent sans expérience pour le représenter dans la LCF et pour l’aider à se faire connaître dans la NFL?
« Ç’a toujours été un peu le running gag au cégep parce que j’étais le joueur de football et Sasha s’en allait en droit dans le but de devenir agent. On a toujours rigolé un peu avec ça. Bien franchement (à cette époque) je n’aspirais pas à jouer dans une ligue professionnelle », explique celui qui n’a malheureusement pas enfilé l’uniforme des Chiefs cette saison.
Mais en juin 2013, à l’aube de sa quatrième saison universitaire, ce n’était pas une blague lorsque Laurent a contacté Sasha pour s’enquérir de son intérêt. Sauf qu’à ce moment, Sasha était en Australie où il terminait son baccalauréat avec une session à l’étranger. Les deux amis, qui se parlaient régulièrement bien qu’ils n’étudiaient pas au sein de la même institution, ont alors prévu une rencontre au retour de Sasha.
« Il est un gars de parole qui va jusqu’au bout. Alors à ce moment-là, je savais que si j’allais dans la LCF, ça allait être avec lui », raconte l’ancien des Redmen de McGill qui était loin de se douter qu’il allait jouer dans la NFL.
« On s’est entendu sur les termes d’un contrat lors du Gala de la Fondation de l’athlète d’excellence. C’était ma date. Dans le lobby de l’hôtel où ça avait lieu, on a signé une entente. Je me rappelle encore qu’en termes de pourcentage, on avait écrit "à la discrétion du joueur" un peu en blague sans savoir trop ce qui allait se passer », révèle l’ancien gagnant du trophée J.P.-Metras.
Sasha a donc passé l’examen pour devenir un agent accrédité de la LCF. Cela lui apportait de la crédibilité pour se présenter lorsqu’il ferait des appels pour représenter Laurent. Mais il voyait beaucoup plus gros que la Ligue canadienne. Il croyait fermement que son client avait une chance légitime à la NFL lorsqu’il le comparait aux joueurs de ligne offensive américains.
C’était donc le temps de mettre le plan en marche. Première étape : trouver une agence qui voudrait représenter Laurent dans la NFL.
Après des recherches sur Internet, Sasha décide de contacter l’agence A3 Athletics et Chad Speck qui sont basés au Tennessee dans le sud des États-Unis. Cette entreprise s’occupait de la carrière de Vaughn Martin, un ancien des Mustangs de Western qui avait été repêché dans la NFL.
« J’appelle au bureau de Chad Speck et je ne tombe pas sur lui. J’explique la situation que je représente un joueur de ligne offensive canadien et je parle de ses résultats aux tests physiques du Défi Est-Ouest. Lorsque je parle des résultats (NDLR : les meilleurs à sa position lors de cet évènement), la personne me lance un "Say what?". Quelques minutes plus tard, je recevais un appel de Speck lui-même », se souvient Sasha qui n’a jamais hésité à foncer pour son client.
Les deux amis sont donc invités au Tennessee pour visiter les installations de l’agence au mois de novembre 2013. Ils adorent l’endroit et les gens. Ils sentent que Laurent pourrait s’épanouir et être bien représenté en vue du repêchage. A3 Athletics devient donc l’agence qui représente Laurent aux États-Unis, un choix que les deux hommes ne regretteront jamais.
« A3 nous a payé le voyage et nous a hébergés. J’ai mis ça au clair avec eux que ce n’était pas seulement moi, relate Duvernay-Tardif. C’était Sasha et moi et qu’il devait avoir une place dans l’organisation et la suite des choses. »
Ce qui a été le cas.
Ce seront deux évènements en 2014 qui auront permis à Laurent de se faire connaître des dépisteurs et dirigeants de la NFL. Et à chaque occasion, le support et le travail de Sasha ont été au cœur de la réussite de Laurent.
En janvier 2014, Laurent est invité à la Classique Shrine qui regroupe tous les meilleurs espoirs de la NCAA en vue du repêchage. Il s’agit d’une semaine importante pour les jeunes joueurs qui sont épiés par des centaines de dépisteurs. Les équipes envoient également leurs hauts dirigeants sur place.
Sasha n’allait pas rater cette semaine pour tout l’or du monde. Néanmoins, il est en pleine session en vue de compléter son barreau. Il fait donc deux voyages en Floride lors de la même semaine entrecoupée de trois jours de cours à Montréal.
Un de ses vols vers Tampa, où était présentée la Classique Shrine, a même été retardé en raison du verglas. Il a donc changé d’avion pour atterrir à Fort Myers. Il a ensuite pris une voiture pour aller rejoindre Laurent à Tampa.
« J’étais tellement content de le voir parce que c’était un environnement tellement stressant. La première pratique avait quand même bien été, mais il y avait plein d’affaires que je devais apprendre. J’allais étudier le livre de jeu dans sa chambre et on jasait. Je lui dis : "je pense qu’il faut que je pratique quelques trucs". Sasha se lève et dit : "OK je suis le joueur de ligne défensive" et on faisait des un contre un. Mais il pèse 130 livres donc c’était assez comique », illustre le géant de quelque 305 livres à cette époque.
Sasha en a aussi profité pour rencontrer des DG et directeurs de personnel des joueurs, ce qui a agrandi son réseau de contacts.
L’autre gros moment pré-repêchage de Laurent a été la tenue de son Pro Day, une journée historique pour le football québécois. Pour la première fois, neuf équipes de la NFL envoyaient des recruteurs au Québec pour épier un joueur de la province.
Chad Speck a convié les équipes, mais Sasha s’est occupé de l’organisation de la journée. Tout était parfait, aucune anicroche. Laurent obtient d’excellents résultats lors des tests physiques et impressionne les dépisteurs.
« J’avais entièrement confiance en Sasha. Avant le Pro Day, j’ai relaxé. Il ne m’a jamais achalé avec des questions. Je me suis présenté au complexe sportif et c’était comme je pensais que ça allait être. C’était planifié au quart de tour », souligne Laurent en ajoutant que son agent a organisé cette journée tout en étant encore aux études.
Et on connaît la suite. Mai 2014, le 200e choix au total du repêchage est Laurent Duvernay-Tardif. Août 2014, Laurent se taille une place au sein de la formation de 53 joueurs des Chiefs. Sa première pensée est allée vers son agent, mais surtout son ami ce jour-là.
« Dès que j’ai su que j’ai fait l’équipe à Kansas City, je l’ai appelé. Je lui ai dit "tu te prends un billet d’avion et tu t’en viens pour le premier match de la saison". C’était un beau moment. On capotait un peu les deux. Il y a un an, on commençait à élaborer les croquis de ce projet. Et un an plus tard, c’était réalisé et c’était sur la bonne voie pour continuer », relatait celui surnommé Larry à KC.
Une relation donnant donnant
Bien que les relations avec les Chiefs soient gérées par A3 Athletics, Sasha demeure étroitement lié à la carrière de son ami qui est encore son client.
Ghavami s’occupe de la représentation de Duvernay-Tardif au Québec, que ce soit avec ses commanditaires ou avec les médias. Sans lui, Duvernay-Tardif n’aurait jamais eu la visibilité qu’il a eue dans la Belle Province, notamment par sa présence à la populaire émission Tout le monde en parle.
« Nous avons des projets pour le futur, dont s’associer à une cause, aller dans les écoles pour parler aux jeunes. Je sais que Sasha croit à ça. Il va être avec moi à 100 %, ce qu’un agent normal n’aurait peut-être pas le temps de faire. Dans le sens que s’il n’y a pas le signe de piastre, les agents n’essaieront pas autant de te vendre. Mais Sasha n’est pas motivé par l’argent. On veut accomplir quelque chose ensemble. Je pense qu’on est sur la même longueur d’onde là-dessus », racontait le costaud garde au cours d’un entretien téléphonique avant son retour au Québec.
Mais Sasha n’a plus seulement Laurent comme client. Outre Duvernay-Tardif et Beaulieu avec les Alouettes, le jeune avocat se fait aussi refiler des clients par A3 Athletics. Il s’agit de joueurs qui n’arrivent pas à percer dans la NFL. Sasha tente de leur dénicher des contrats dans la LCF, ce qu’il a réussi avec Steven Clarke chez les Lions de la Colombie-Britannique.
Avec Marc-Antoine Racicot, il continue aussi à prendre des clients sortant du Réseau du sport étudiant du Québec pour les représenter dans la LCF. Des joueurs comme Mikhaïl Davidson, un petit receveur des Carabins de l’Université de Montréal.
Mais la question qui tue : Laurent aurait-il réussi à percer dans la NFL avec un autre agent et sans l’aide de Sasha?
« C’est une bonne question. Mais je n’aurais pas eu autant de plaisir, ça c’est sûr! Je n’aurais pas eu le support du Québec comme je l’ai en ce moment grâce à Sasha. J’avais besoin de ce petit extra de motivation de la part de Sasha parce que ç’a toujours été un dilemme entre les sacrifices en médecine et jouer au football. Je regrette zéro les choix que j’ai faits et Sasha m’a aidé », soutient le numéro 76 des Chiefs.
« Ma crainte, c’était que je ne voulais pas lui en demander trop. Mais en même temps, je ne voulais pas être sous-représenté. Au bout du compte, il en a toujours fait plus que je m’attendais. Je pense que j’ai eu beaucoup plus de visibilité avec Sasha. Il sait qui je suis et il a vraiment réussi à créer une image (qui me ressemble). »
« Je lui en dois une pour toute ma vie. J’ai vécu mon rêve. Maintenant, j’essaie de le transformer en carrière », affirme celui qui est aussi avocat dans un cabinet montréalais, ce qui a toujours été son plan à la base.