MONTRÉAL –  Laurent Duvernay-Tardif est demeuré pensif quelques instants, le long des lignes de côté.

Son casque protecteur appuyé sur une cuisse, le Québécois regardait le quart des Titans du Tennessee Marcus Mariota poser un genou au sol à trois reprises, une manœuvre sans appel dans le monde du football. C’était cette suite de gestes qui confirmait l’improbable victoire des Titans au compte de 22-21.

Le Arrowhead Stadium, dont la foule est habituellement si électrique – ayant même déjà détenu des records pour le nombre de décibels atteints – était soudainement plongé dans le silence.

Alors que le chronomètre affichait une suite de zéros et que retentissait le son strident émis par le sifflet de l’officiel en chef Jeff Tripplette, le garde des Chiefs de Kansas City cherchait en vain à comprendre ce qui avait bien pu se passer pour que son équipe l’échappe, celle-là.

« Sur le moment c’est un feeling d’incrédulité qui t’envahit, a confié Duvernay-Tardif à la boulangerie familiale Le Pain dans les Voiles située dans le quartier Villeray, cinq jours après l’exclusion surprise des Chiefs au premier tour éliminatoire.

« Tu te sens tellement impuissant que la deuxième moitié du match ait pu tourner aussi mal, alors que tout se déroulait si bien en première demie. Et surtout, de ne rien pouvoir y changer. »

En l’espace de trente minutes de jeu, les locaux ont vu s’envoler en fumée simultanément une avance de 18 points et leurs aspirations à représenter l’Association américaine au Super Bowl, le 4 février prochain. Dominante en première demie, particulièrement dans l’aspect aérien du jeu, l’attaque des Chiefs a été contenue au point d'être blanchie lors de la deuxième.

« Il y a aussi la frustration d’être passé à côté de quelque chose. C’est un sentiment que tout le monde partageait dans le vestiaire. Après tout, on venait de passer quatre ou cinq semaines à disputer notre meilleur football de l’année après un creux de vague durant lequel on avait dû se remettre en question afin de remonter la pente », a-t-il plaidé.

Laurent Duvernay-TardifSi les Chiefs étaient passés bien près d’accéder à la finale d’association la saison dernière, cédant finalement devant les Steelers de Pittsburgh dans un duel dont l’issue avait été décidée en toute fin de match, le revers essuyé dès le premier tour samedi dernier aura été encore plus difficile à accepter pour Duvernay-Tardif.

« D’un point de vue personnel, j’étais revenu de loin après ma blessure [une entorse au genou gauche subie lors de la quatrième semaine d’activités, le 3 octobre] pour retrouver le niveau de jeu que j’affichais en début de saison. Ç’avait été une année en montagnes russes au point de vue du moral collectif aussi, mais on avait senti un déclic se produire dans le dernier droit. Tout semblait pointer dans la bonne direction, puis d’un coup, tu es confronté à la réalité que tout est terminé jusqu’à l’an prochain. »

Parcourant au volant de sa voiture les quelque 2100 km séparant Kansas City de Montréal, l’ancien des Redmen de l'Université McGill a assurément disposé d’assez de temps en début de semaine pour repasser dans le détail le fil des événements.

« On dit souvent qu’un revirement chanceux peut changer la dynamique d’un match en l’espace d’un claquement de doigts. Je crois que c’est ce qui rend le football aussi imprévisible. C’est possible de se relever d’une malchance, peut-être même de deux pour l’emporter. Mais lorsque ces jeux se multiplient, ça devient dangereux et ce match nous en a servi un exemple assez frappant », a constaté le no 76 des Chiefs.

Quand un malheur n’attend pas l’autre

Difficile de le contredire lorsqu’on s’arrête à analyser la séquence invraisemblable au cours de laquelle Marcus Mariota, des Titans, a atteint la zone des buts en récupérant au vol, par le plus heureux des hasards, un ballon qu’il avait lui-même lancé sans trop de conviction, et que le demi de coin Darrelle Revis a rabattu avec force... directement dans les mains de Mariota. Un jeu d’une telle rareté qu’on n’en a recensé un seul autre dans l’histoire moderne de la NFL – celui de Brad Johnson, des Vikings du Minnesota, en 1997 – selon la firme spécialisée en statistiques sportives Elias Sports Bureau.

Laurent Duvernay-Tardif fait le point sur sa saison


Ce n’était cependant que la pointe de l’iceberg pour les Chiefs, qui allaient ensuite voir une tentative de placement de l’excellent botteur recrue Harrison Butker aboutir directement sur la tige verticale de gauche, un jeu qui aurait pu à ce moment porter la marque à 24-10 vers la fin du troisième quart.

Et alors que la perspective inimaginable d’une défaite menaçait l’horizon, l’euphorie a regagné d’une traite les 73 319 spectateurs entassés lorsque Derrick Johnson a recouvré un ballon échappé par le demi offensif Derrick Henry avant de le transporter jusqu’à la zone des buts avec 1:57 à écouler à l’affrontement, redonnant les devants à des Chiefs gonflés à bloc. Mais cette exaltation aura finalement été de courte durée, après qu’une reprise vidéo eut permis de conclure de conclure que Henry avait résisté à la chute au sol avec la possession de ballon.

« Celle-là a été difficile à digérer. Mais le remède n’est pas bien compliqué : il faut revenir plus fort la saison prochaine. Je crois encore en cette équipe et en ce qu’elle peut accomplir », a-t-il martelé, avant de réitérer son entière confiance en l’entraîneur Andy Reid, « un coach qui a fait des Chiefs une équipe gagnante depuis son arrivée en 2013. »

Les JO, puis l’examen final

S’il reconnaît qu’il mettra un certain temps à chasser cet échec de son esprit, Laurent Duvernay-Tardif prévoit que l’expérience sportive unique qu’il s’apprête à vivre aux Jeux olympiques d’hiver de Pyeonchang agira comme un baume sur ses blessures.

L’athlète de 26 ans agira à titre d’analyste spécial pour le compte de Radio-Canada et réalisera des capsules en compagnie d’olympiens canadiens et de leur entourage.

« Je quitte vers la Corée du Sud le 5 février et je suis déjà impatient à l’idée de vivre ces Jeux de près, a raconté celui qui aura pour mandat de faire découvrir le quotidien des athlètes et les efforts déployés pour appartenir à l’élite de leur discipline.

ContentId(3.1259568):NFL : les Chiefs incapables de protéger leur avance
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Malgré la grande aisance qu’on lui reconnaît en présence des caméras, le principal intéressé ressentira-il une certaine nervosité de voir ainsi les rôles être inversés l’espace d’une quinzaine de jours?

« Il y a une part d’inconnu, c’est certain, même si je me suis familiarisé avec le monde des médias. Travailler avec une équipe de tournage, toutes les implications au plan technique, les fameuses accréditations. Tout ça va être du nouveau pour moi. (...) Je m’encourage en me disant que rien ne peut arriver qui puisse rivaliser avec ce que j’ai vécu lors de mes quarts de travail à l’urgence », a-t-il opiné.

« Je serai aussi confronté à un défi qui me plaît bien, celui de recueillir les confidences des athlètes à micro ouvert. Je suis conscient que ça pourrait ne pas toujours être facile; je pense à certains de mes coéquipiers pour qui le fait de devoir s’adresser aux journalistes est un fardeau. Il y a des athlètes qui préfèrent ne pas trop en dévoiler à leur sujet, et c’est entièrement leur droit. Mais je vois ça comme un beau défi que d’amener les sportifs que j’interviewerai à s’ouvrir et à nous faire entrer dans leur réalité », a insisté « LDT », qui entend faire d’une pierre deux coups et s’accorder du temps pour visiter le Japon à la conclusion des JO.

Entretemps, Duvernay-Tardif peaufinera sa préparation en vue de la dernière étape le séparant du titre de médecin. Ses rotations en clinique étant désormais chose du passé, il se soumettra en mai à l’examen d’évaluation du Conseil médical du Canada.

« J’ai l’intention de profiter des quatre prochains mois pour débroussailler toute la matière et m’y présenter fin prêt. D’ailleurs, je vous convie tous à ma graduation, j’ai assez hâte! », a-t-il lancé aux journalistes, son visage orné d’un large sourire.

Compte tenu du sérieux avec lequel il s’investit dans ce qu’il entreprend, on aurait tort de douter du fait que Duvernay-Tardif, ou « Larry » comme le surnomment ses coéquipiers à Kansas City, pourra exiger que son maillot soit décoré de la mention « M.D. » en septembre prochain!