Comme des dizaines sinon des centaines de milliers d’autres, j’ai suivi avec intérêt et émotion le moment où Tiger Woods a calé son petit roulé lui donnant son cinquième titre du Tournoi des Maîtres. Il a écrit une autre page de l’histoire du golf et réussi ce qui est probablement l’un des plus grands retours, tous sports confondus. Et pourtant, il y a eu d’immenses athlètes qui ont aussi renoué avec la victoire après une pause, volontaire ou non. On a qu’à penser à Mohamed Ali, Monica Seles ou Mario Lemieux, pour n’en mentionner que quelques-uns.

Personnellement toutefois, la victoire de Tiger occupe une place spéciale, presque aussi importante que le retour au jeu spectaculaire de Mario Lemieux.

Il faut dire que j’ai eu le plaisir et l’honneur de travailler avec Tiger au début des années 2000, alors qu’il dominait outrageusement son sport. C’est un concours de circonstances extraordinaires qui m’a amené à croiser sa route. Spécialiste en biomécanique, j’ai Biotonix, une compagnie qui a conçu un programme permettant d’évaluer la posture et de proposer des correctifs. J’avais ainsi pu aider John Smoltz, lanceur des Braves D’Atlanta qui avait des problèmes de dos. Ce que j’avais proposé à John lui a permis de redevenir un lanceur redoutable. Il m’en a été reconnaissant et a toujours suivi scrupuleusement les exercices que je lui avais recommandés.

Or, John est un grand ami de Woods. Un jour, alors qu’ils disputaient une ronde amicale de golf, Tiger a remarqué que son ami semblait moins souffrir. John lui a alors parlé de mon évaluation et des résultats qu’il avait obtenus en suivant mes conseils.

Quelques semaines plus tard, j’ai reçu un appel de Tiger qui souhaitait se faire évaluer. Inutile de dire que j’ai été très surpris, mais, en même temps, très honoré de recevoir ce coup de fil. J’ai accepté. Il s’est prêté de bonne grâce à tous les tests, et je lui expliquais, au fur et à mesure, ce que je faisais et dans quel but.

Il venait de jouer une ronde amicale avec Smoltz, Annika Sorenstam (la golfeuse professionnelle) et Chipper Jones (troisième-but des Braves). Après son évaluation, je lui ai expliqué mes conclusions. Il y avait des personnes qui l’attendaient, mais il a décidé qu’il prendrait le temps nécessaire, car sa soif d’apprendre était aussi grande que son goût de la compétition. J’ai alors vu un homme intelligent et attentif qui cherchait toujours à comprendre de nouveaux moyens d’aller plus loin. Il m’a d’ailleurs dit à cette occasion qu’au golf, comme dans la vie, « Balance is everything » que je traduirais par « l’équilibre est essentiel ».

Quand Woods est parti, j’avais commencé à emballer tous mes appareils lorsqu’il est revenu, une quinzaine de minutes plus tard me demandant si j’acceptais aussi de prendre le temps d’évaluer Annika. J’ai naturellement accepté. Il est resté pendant tout le travail et c’est lui qui a ensuite expliqué les résultats à son amie. Il avait parfaitement intégré les informations que je lui avais transmises un peu plus tôt.

Peu après cette rencontre, la PGA m’a demandé de collaborer avec quelques-uns de ses membres, ce qui devenait une opportunité extraordinaire pour moi. Conscient que Tiger était certainement intervenu dans ce dossier, j’ai voulu le remercier, mais il a toujours refusé d’en prendre le crédit, affirmant que je ne devais qu’à moi et à mon travail cette occasion qui m’avait été proposée.Voilà quels furent mes premiers contacts avec Woods.

Tout le monde connaît la suite de son histoire avec ses infidélités conjugales, ses problèmes de dos, ses nombreuses opérations et les médicaments qu’il devait prendre contre la douleur. Il y a quelques années, il devait recevoir de la cortisone pour simplement pouvoir s’asseoir à une table. Son seul rêve était de pouvoir un jour marcher assez normalement pour jouer un peu au golf avec ses enfants. Imaginer alors un retour à la compétition professionnelle et une victoire au Masters relevait de l’hérésie.
C’est pourtant l’exploit qu’il a réussi en fin de semaine.

J’écoutais aussi les commentaires des autres golfeurs. Ils reconnaissent ce que Tiger a apporté au golf en matière de notoriété et de popularité. Sans compter que ses exploits ne sont pas étrangers à l’augmentation formidable des bourses que se partagent désormais les vainqueurs.

En somme, Woods a fait preuve d’un courage, d’une détermination et d’une force de caractère inouïe. Après sa descente aux enfers, pouvoir ainsi renouer avec la victoire, fait de lui une légende qui a sa place auprès des autres grands du golf comme Palmer, Hogan ou Nicklaus.

Je crois enfin qu’il adore son sport pour lui avoir consacré tant de sacrifices. Même s’il est moins intimidant pour ses adversaires il demeure un monument qui attire les foules.
Peut-être encore davantage finalement,depuis que tout le monde comprend qu’il est humain, qu’il peut souffrir, mais qu’il peut aussi sourire et rire avec ses amis et ses collègues. Il est devenu la preuve que l’on peut surmonter les difficultés et que l’espoir est toujours possible. Voilà peut-être le rugissement du nouveau Tigre!