Quand le docteur Vincent Lacroix, qui a succédé au réputé David Mulder à titre de médecin en chef du Canadien, se porte au secours d'un joueur en détresse sur la patinoire, on a l'impression d'être assis dans les premières loges pour assister à une délicate intervention d'un médecin.

Entre la chute tête première de George Parros sur la glace et sa sortie sur une civière, il s'est écoulé une dizaine de minutes. Une éternité pour ses coéquipiers, pour les spectateurs, mais surtout pour Tiffany, son épouse.

C'est le seul moment durant un match où l'exubérante foule du Centre Bell devient silencieuse. Pas parce que le criard de service, qui lui demande trop souvent de «faire du bruit», lui recommande de se taire, mais parce qu'elle est carrément inquiète. Personne n'aime voir un athlète inerte, le visage incrusté dans la glace, qu'on tente de ranimer avec beaucoup de précaution.

Le Centre Bell a connu son lot d'incidents dramatiques. Trent McCleary a failli y laisser sa peau après avoir été atteint à la gorge par une rondelle. Max Pacioretty a encaissé un choc si violent, quand sa tête a donné sur une portion mal protégée de la baie vitrée, qu'on a cru pendant un instant qu'il était mort. La scène qui s'est offerte à nos yeux quand Lars Eller a été assommé par une mise en échec vicieuse d'un défenseur d'Ottawa a été particulièrement pénible à regarder. Le sang giclait de sa bouche pendant que l'équipe médicale tentait tant bien que mal de lui permettre de respirer. Mardi dernier, on a appréhendé le pire quand on a solidement ligoté Parros à une planche avant de le déposer très prudemment sur la civière. Généralement, on procède à ce genre d'exercice quand on craint une fracture de la colonne cervicale. Finalement, on a assisté en direct à la fin de la jeune carrière de Blake Geoffrion quand il a subi une fracture du crâne à l'occasion d'un match des Bulldogs de Hamilton à Montréal.

Quand le docteur Lacroix, qui apparaît à droite sur la photo qui orne cette chronique, a fait ses études en médecine avant de se diriger vers la médecine sportive, il était loin d'imaginer qu'il serait un jour le responsable en chef de l'équipe médicale du Canadien. C'est une fierté pour lui d'occuper une fonction d'une telle importance au sein d'une organisation aussi prestigieuse. Il ne s'en cache pas, ce boulot, c'est le summum qu'un médecin peut occuper sur le plan sportif au Canada et en Amérique du Nord.

Il a grandi au sein d'une famille qui était attachée au hockey et au Canadien. D'ailleurs, son père s'appelait Aurèle en honneur d'Aurèle Joliat. À ses débuts dans la profession, il n'avait jamais imaginé qu'il serait appelé un jour à venir au secours d'un patient sous 21 273 paires de yeux inquiets et sous le regard tendu de plusieurs centaines de milliers de téléspectateurs rivés à leur écran.

Il occupait un local situé à moins de 50 pieds de la patinoire, comme le veut une exigence de la Ligue nationale, quand Parros s'est blessé gravement. Quand il a vu la chute du gros attaquant sur son téléviseur, il a tout de suite su que c'était grave. D'abord, il a pensé qu'il avait peut-être aggravé la blessure à l'épaule qu'il avait soignée durant le camp d'entraînement, mais quand il a constaté qu'il était inconscient, il savait qu'il serait appelé en renfort.

Il est accouru sans attendre le signal du thérapeute, comme le veut la façon de procéder de l'équipe. Parros s'est réveillé et a tenté vainement de se relever. Comme il semblait totalement perdu, on lui a suggéré de s'étendre sur la glace.

«Quand nous sommes en présence d'un athlète confus, la règle est de ne pas faire confiance à celui qui nous dit que tout va bien, explique le docteur Lacroix qui est également le médecin des Alouettes. Par contre, on est enclin à faire confiance à un athlète qui se fait frapper durement, mais qui ne démontre aucun signe de commotion. George avait tenté de se relever sans trop de succès. Nous lui avons demandé de s'étendre parce que nous voulions protéger son cou. Quand le joueur blessé bouge, cela ne veut pas dire qu'il n'a pas une fracture cervicale partielle qui pourrait se transformer en fracture complète si, en tentant de se relever, il s'écroulait à nouveau. Ç’aurait pu être désastreux s'il était retombé du haut de ses six pieds et cinq pouces. Disons qu'on joue défensif dans une situation comme celle-là.»

Dans ce moment douloureux, Parros avait un autre genre de préoccupation en tête. Parce qu'il est un athlète professionnel et parce qu'il joue un rôle de justicier dans l'équipe, il avait sa fierté. Il n'était pas question pour lui de sortir de là sur une civière. Le médecin lui a fait comprendre qu'il s'était endormi sur la patinoire et que dans les circonstances, il était de son devoir de sécuriser sa colonne cervicale. La réponse de Parros a été instantanée: «Ben voyons donc, je n'étais pas endormi.»

Le casque n'offre pas une protection totale

«On lui a parlé, rappelle le médecin. Nous l'avons calmé. Il a été très conciliant avec nous. Il a pris son temps après avoir compris qu'il s'était passé quelque chose de sérieux. Il ignorait le score. Il avait oublié certaines choses.»

À la boxe, c'est souvent par un direct au menton qu'on obtient le K.-O.. Parros a été chanceux dans sa malchance. Un athlète d'une telle charpente aurait eu plusieurs os du visage brisés si son visage avait donné directement contre la surface glacée. C'est arrivé à Kevin Stevens, des Penguins de Pittsburgh, il y a 20 ans. À la suite d'une mise en échec fracassante, il était déjà évanoui avant de tomber de plein fouet sur la patinoire. Sans pouvoir amortir sa chute, tous les os de son visage avaient été fracturés, de sorte qu'on avait dû lui refaire un visage. Dans le cas de Parros, c'est le menton qui a frappé la glace. Il n'y a eu aucune fracture, mais il a subi une commotion cérébrale sévère.

«Il est tombé avec une rotation de la tête, ajoute le docteur Lacroix. On croit souvent que les commotions se produisent à la suite de ce genre de rotation. Cette rotation lui a fait perdre conscience. J'en profite pour mentionner que les casques ne font absolument rien pour empêcher les commotions. C'est pour cette raison qu'il faut éliminer les coups à la tête. Les casques permettent d'éviter les lacérations et les fractures du crâne uniquement.»

Selon lui, si on porte le meilleur casque sur le marché, cela ne change rien à la situation si le choc est brutal. La boîte crânienne est rigide. Le cerveau est en mouvement à l'intérieur du crâne. Un coup assommoir produit une contusion et un traumatisme au cerveau.

«Même en utilisant un casque bien rembourré, le cerveau n'est pas protégé. Les gens qui prétendent avoir créé un casque permettant d'éviter les commotions cérébrales exagèrent», affirme le médecin en choisissant bien ses mots.

Ils ne réagissent pas tous de la même façon

Même si Parros récupère relativement bien, on ne peut pas prédire la date approximative de son retour parce que tous les symptômes ne sont pas disparus. Dès qu'il n'y en aura plus, l'équipe médicale pourra établir un protocole d'une durée de sept jours qui pourrait permettre de se prononcer d'une façon plus précise sur sa période de remise en forme.

Aucun athlète ne réagit de la même façon à ce genre de blessure. Pacioretty et Eller se sont remis plus rapidement que prévu. D'autres sont parfois à ramasser à la petite cuillère au lendemain d'une blessure aussi sérieuse. C'est du cas par cas, selon le médecin.

Le cas du jeune Eller est particulièrement étonnant. C'est un jeune qui a subi des blessures multiples. On s'inquiétait de ce qu'il allait devenir. Allait-il être craintif à son retour au jeu? Sa carrière, qui commençait à peine à éclore, allait-elle devenir celle d'un joueur marginal?

On connaît la réponse. Non seulement Eller n'a gardé aucune séquelle de l'accident, mais il est revenu plus fort encore. À un point tel qu'il pourrait passer d'un joueur utile à un joueur vedette dès cette saison. Il y a de quoi s'étonner.

«Je pense que Lars est un joueur très brave qui a pu mettre sa malchance de côté et se concentrer sur son jeu. Ce n'est pas tout le monde qui peut accomplir cela», dit-il.

C'est un peu la même chose qui s'est produite dans le cas de Pacioretty. Pendant un instant, on a cru qu'il ne se relèverait jamais tellement le choc à la tête avait été violent. Ce qui nous incite à penser qu'un patineur laissera sa vie sur la patinoire un jour.

«C'est ce que les gens disent, rétorque le docteur Lacroix. On espère juste que cela ne se produira pas dans notre aréna.»

La clinique médicale du Centre Bell est sophistiquée. Dans un cas d'urgence, on pourrait même y procéder à une intervention chirurgicale. Toutefois, on préfère ne pas en arriver là. On souhaite que ça se passe toujours à l'hôpital afin de pouvoir profiter d'un meilleur personnel de soutien.

«Dans notre clinique, notre responsabilité est de bien stabiliser les choses avant le transport du blessé vers l'hôpital. Même si on est à courte distance de l'Hôpital Général, il peut parfois se produire un désastre durant le trajet», mentionne-t-il.

Un exemple de cela? Quand Trent McLeary a été transporté en vitesse vers l'hôpital après s'être fait enfoncer une rondelle gelée dans la gorge, son coeur a cessé de battre en arrivant dans le stationnement de l'institution. Miraculeusement, on est parvenu à le ranimer parce qu'une équipe médicale déjà prévenue l'attendait à l'urgence.

Néanmoins, un de ces jours, après Bill Masterton, le hockey aura probablement une autre mort sur la conscience.