Bob Hartley se remet de ses émotions en Floride où il passe sûrement du bon temps en compagnie de Michel Therrien. Il ne passe pas le plus clair de son temps assis près du téléphone, mais il a eu la prudence de ne pas modifier son numéro de cellulaire, ce qui lui permet de garder le contact avec des gens de hockey qui pourraient éventuellement s'intéresser à son statut de chômeur de luxe.

Si on fait exception des Flames de Calgary qui l'ont récemment remercié, une seule autre organisation, les Ducks d'Anaheim, est à la recherche d'un entraîneur en ce moment. Même s'il est actuellement le meilleur entraîneur disponible sur le marché, il n'est pas impossible que Hartley doive attendre le remerciement d'un autre entraîneur la saison prochaine pour profiter d'une autre chance. La question n'est pas de savoir s'il pourra à nouveau exercer son métier dans la Ligue nationale, mais quand il pourra le faire?

À 55 ans, Hartley a encore de belles années devant lui. Il n'a pas vraiment besoin de se vendre, car sa feuille de route parle pour lui. Combien d'entraîneurs peuvent se vanter d'avoir célébré des championnats dans les rangs juniors, dans la Ligue américaine, dans la Ligue nationale et en Europe? Quand tu as gagné à tous les niveaux et que tu es en possession du trophée Jack-Adams de surcroît, tu représentes une belle carte d'attraction.

À deux occasions, il a vu passer sous son nez la possibilité de diriger le Canadien, l'une des grandes ambitions de sa carrière. La première fois, c'est lui que Réjean Houle semblait avoir choisi pour succéder à Mario Tremblay. Il dirigeait alors les Bears de Hershey, filiale de l'Avalanche du Colorado. La proposition lui avait été faite avant le septième match d'une série contre ses ennemis jurés, les Phantoms de Philadephie.

Ce jour-là, le directeur général de l'Avalanche, Pierre Lacroix, était venu personnellement lui livrer le cadeau de sa vie : Deux billets d'avion pour Montréal où l'attendait Houle.

« Tu pars demain matin, lui avait-il dit. Tu peux devenir l'entraîneur du Canadien. Je me suis entendu avec Réjean Houle pour la compensation. À toi de discuter des modalités du contrat. Bonne chance. »

Hartley était renversé, totalement étourdi. Il croyait en ses chances de graduer dans la Ligue nationale, mais il pensait que cela se passerait au Colorado. C'est à ce moment qu'on a su quel genre d'homme il est. Il a toujours été reconnu comme quelqu'un de loyal et intègre. Il en a fait clairement la démonstration.

Comment pouvait-il entrer dans le vestiaire et annoncer à ses joueurs qu'il les quittait dans le moment le plus important de la saison? Ce soir-là, son équipe a éliminé Philadelphie. Le lendemain matin, il était de retour au boulot.

« Tu ne quittes pas le navire au milieu d'une tempête, surtout quand tu en es le capitaine, m'avait-il expliqué. Je suis dur et exigeant avec mes joueurs. Alors, il fallait que je sois honnête envers ceux qui allaient à la guerre avec moi. »

Pour Hartley, diriger le Canadien représentait un job de rêve. Pendant que ses joueurs fêtaient royalement leur victoire contre Philadelphie dans le vestiaire, Hartley a remis les billets d'avion à Lacroix. Il a demandé à son patron d'intercéder auprès du Canadien pour qu'on lui accorde un peu de temps, deux semaines, peut-être trois, le temps de terminer les séries. C'était impossible, Houle était pressé par le temps. Les médias étaient à la recherche du prochain entraîneur. Des noms étaient lancés à gauche et à droite. Le Canadien ne réagit pas toujours bien quand la marmite à rumeurs bouillonne. Houle s'est donc tourné vers Alain Vigneault.

« Vigneault était à la recherche d'un poste dans la Ligue nationale et je ne pouvais pas le retarder dans son propre processus, avait expliqué le DG du Canadien. J'ai compris la décision de Hartley. Il a été d'une grande honnêteté envers son organisation. »

Depuis le refus de Hartley, le Canadien a connu sept entraîneurs différents. Aucun d'eux n'a gagné la coupe Stanley. Hartley, lui, est allé en gagner une au Colorado.

Le Canadien a encore frappé à la porte

Il y a quatre ans, quand Marc Bergevin est venu succéder à Pierre Gauthier, Hartley a bénéficié d'une autre occasion de s'entretenir avec le Canadien. Cette fois, c'est allé beaucoup plus loin puisqu'il a obtenu trois entretiens avec Bergevin. Une quatrième rencontre était à venir quand le directeur général des Flames de Calgary, Jay Feaster, qui est aussi le parrain de son fils, lui a demandé de se présenter en vitesse à Calgary où un contrat était déjà sur la table pour lui. Le lendemain, il a accepté une proposition salariale qu'il a jugée suffisamment bonne pour ne pas jongler inutilement avec des points d'interrogation à Montréal.

Qui sait, peut-être n'aurait-il pas été le choix de Bergevin qui discutait déjà avec Michel Therrien, Marc Crawford et peut-être un ou deux autres.

Avec Bergevin, en trois rencontres, il n'a jamais été question de contrat ou d'une proposition salariale. Hartley y est donc allé pour une valeur sûre en acceptant l'entente proposée par les Flames.

Jamais deux sans trois pour le Canadien, direz-vous? Peut-être. Le statut de Therrien, qui est plutôt fragile, est à la merci du prochain début de saison de son équipe. Hartley et Therrien sont comme des frères. Autant Hartley aimerait avoir l'occasion de diriger le Canadien, autant il détesterait que cela se fasse au détriment de son meilleur chum.

Sa destination idéale serait peut-être l'Association ouest où les joueurs de gros gabarit ne manquent pas et où le jeu robuste, dont il est friand, est préconisé par la majorité des formations. Et disons-le, où la chance de remporter une autre coupe Stanley serait nettement meilleure qu'à Montréal où Ottawa, un marché qui vient de lui tourner le dos.

Une seule porte est ouverte en ce moment, à Anaheim, où on ne semble pas pressé de remplacer Bruce Boudreau. Si on n'avait pas exercé autant de pression sur Réjean Houle pour qu'il agisse en vitesse après le départ de Mario Tremblay, Hartley aurait depuis belle lurette vécu l'expérience du Canadien.