On dit qu'il faut marcher un mile dans les souliers de quelqu'un pour bien saisir leur situation. Je n'ai pu m'empêcher de faire un retour dans mes souvenirs pendant la journée de lundi lorsque j'ai appris que Dustin Tokarski serait le gardien partant du Canadien pour le deuxième match de la finale de l'Est face aux Rangers. Je n'ai certes pas vécu la journée qu'ont vécu Tokarski et Peter Budaj sur la même scène ou dans le même marché, mais j'y vois des similitudes marquées.

En 1997, après l'élimination de mon équipe junior, les Saguenéens de Chicoutimi, du tournoi de la Coupe Memorial, j'ai rejoint les Bears de Hershey de la LAH, club-école de l'Avalanche du Colorado qui m'avait repêché en 1995. Ils en étaient à la demi-finale des séries face aux Falcons de Springfield. Avec le gardien Jean-François Labbé, le joueur par excellence de la saison régulière dans toute la ligue, sur la touche à cause d'un virus, c'est vers moi que Bob Hartley s'est tourné pour disputer le septième et décisif match de la série. C'est ce soir-là que j'ai remporté ma première victoire à vie dans les rangs professionnels. Je me souviens clairement de n'avoir ressenti aucune pression inutile, aucun stress malsain. Idem lorsque, la saison suivante, j'obtenais des départs lors de rappels avec l'Avalanche au lieu de Craig Billington, clairement l'auxiliaire de Patrick Roy. En tête alors, que l'idée d'une opportunité inattendue, d'une occasion de briller lors d'un moment auquel on ne pouvait que rêver quelques heures auparavant.

Tokarski n'a pas volé le match à ses débuts en séries, Lundqvist s'en est plutôt chargé, mais il n'est pas à blâmer non plus. La réalité veut que dans la LAH, il n'y ait pas beaucoup de joueurs capables de décocher des tirs sur réception lors de passes vives pas très précises. Il n'y a pas de Rick Nash à Grand Rapids. Il n'y a pas non plus beaucoup de jeux de puissance dans la LAH capables de s'échanger la rondelle à quatre et de décocher sur réception un tir dans la lucarne. Il n'y a pas de Martin St-Louis à Rochester. Tokarski, en voyant de l'action dans la LNH, s'ajustera, peut-être même avant qu'il ne soit trop tard dans cette série.

Pour ce qui est de Budaj, je sais très bien qu'on ne fait pas dans les sentiments au hockey professionnel, mais je ne peux qu'espérer que sa confiance ne sera pas trop affectée. En 2006-2007, à ma première saison à Tampa, j'ai disputé la majorité des matchs. Je n'ai pas été à la hauteur en fin de saison, j'ai même perdu mon poste de partant, mais je ne faisais pas de remous. Je ne blâmais que moi-même et mes performances sans constance. Une fois classé de justesse pour les séries, John Tortorella a décidé pour éviter l'ambiguïté pour mes coéquipiers de l'identité de l'homme de confiance de choisir Johan Holmqvist. Jusque-là, mon amour propre en prenait un coup, sans plus. Quand l'entraîneur a décidé de procéder au rappel d'un jeune gardien sans expérience de la LAH à l'époque, Karri Ramo, pour seconder Holmqvist et me reléguer à la passerelle pour la première fois de ma carrière de neuf ans dans la LNH, c'est ma confiance qui en a pris un coup. Et la confiance c'est tout pour un gardien. J'avais travaillé dur et gardé une bonne attitude toute la saison pour avoir l'opportunité d'affronter les Devils au premier tour malgré mes prises de bec avec le coach. Budaj aussi a trimé dur pour ne pas rater sa chance comme l'an dernier face aux Sénateurs. Désormais, il ne sait pas si cette chance viendra, le doute s'est assurément installé. Le doute, c'est l'ennemi numéro un de la confiance.

Michel Therrien a souligné que Budaj a accepté la décision comme un pro. Je n'en ai jamais douté. Je suis convaincu que le personnel d'entraîneurs du Canadien a beaucoup mieux expliqué celle-ci à Budaj que Tortorella ne l'avait fait avec moi. Je suis convaincu que l'auxiliaire du CH espère qu'on se tourne vers lui pour venir à bout des Rangers. Je lui souhaite de réussir si on le fait. Toutefois, je sais qu'il est difficile de chasser le doute et de retrouver cet endroit psychologique idéal nécessaire au gardien pour performer. Quand on a une cause à coeur, les gestes sont beaucoup plus lourds de conséquences que toutes les paroles du monde... ça aussi je m'en souviens.