En regardant l'incident survenu dans un match de la Ligue nationale B en Suisse, j’ai immédiatement revu le match du 27 février, à Toronto. Josh Gorges se replie rapidement dans son territoire pour aller cueillir la rondelle à la droite de son gardien. Le dur à cuire Mike Brown le suit, lui aussi en pleine accélération. Gorges arrive le premier au disque, Brown le pousse dangereusement contre la rampe. L’espace d’une seconde, on retient notre souffle. Le défenseur donne durement contre la rampe mais heureusement, il a le réflexe de se relever un peu juste avant l’impact. Brown écopera d’une pénalité majeure et d’une inconduite de partie, mais ne subira aucune sanction de la part de la LNH. Gorges, lui, s’en est tiré avec une peur bleue et a pu revenir dans le match.

J’ai d'ailleurs eu une conversation fort intéressante avec Gorges avant le match contre la Caroline. Soulignons tout de suite qu’il n’était pas au courant du drame survenu en Suisse et qu’il s’est senti très mal à l’aise lorsque je lui en ai parlé. Lui aussi croit qu’un changement de culture s’impose à certains niveaux du jeu mais que la solution est très complexe à définir et à imposer.

« Tout va tellement vite au hockey, tout se décide et se déroule à l’intérieur de fractions de seconde, les risques sont toujours élevés », dit-il. Mais dans le même souffle, il affirme que certains joueurs robustes savent comment se comporter mieux que d’autres. « Un gars comme Arron Asham va crier ‘hit’ à trois reprises avant de te frapper. D’autres savent comment te faire mal sans te mettre en danger. Mais dans le cas de Brown, je savais que ça pouvait tourner mal ».

A-t-il eu vraiment le temps de se protéger comme nous l’avions cru à prime abord? « Honnêtement, non. Je me suis retrouvé en position de redressement sans vraiment le vouloir et je me suis dit ‘oh ! m…’. J’ai compris par la suite que cela m’avait probablement évité un contact bien plus dangereux ».

Le défenseur du Canadien ne néglige pas non plus la responsabilité qui incombe aux joueurs de savoir comment se protéger. « Il faut savoir être responsable de sa propre personne. Sur le jeu impliquant Brown, je me suis aussi demandé si j’avais pris la bonne décision et si je n’avais pas moi-même créé une partie du danger dans lequel je me suis retrouvé. Je savais très bien qui s’en venait vers moi. Cela fait aussi partie de la solution à long terme, savoir comment reconnaître le danger. »

Paraplégique à la suite d'un contact
Paraplégique à la suite d'un contact

Revoyez la bande vidéo de la mise en échec de l’attaquant suisse Stefan Schnyder aux dépens du défenseur Ronny Keller et vous verrez une situation pratiquement semblable. À une différence près. Keller n’a pas eu le réflexe de relever son corps. Il a donné tête première dans la rampe. Il ne s’est jamais relevé. Il sera paraplégique pour le reste de ses jours. Il n’a que 33 ans.

Peut-on ignorer aveuglément cette leçon dramatique qui vient d’être servie au monde du hockey et par ricochet, à Ligue nationale?

Il se passe rarement un soir où on ne frissonne pas, en regardant les matchs de la LNH ou encore les faits saillants aux bulletins de nouvelles. Combien de fois avez-vous eu l’impression qu’un geste en particulier allait mal tourner, que cette fois-ci, les conséquences allaient être très graves?

La nature même du hockey confère à ce sport un très haut niveau de risque et les joueurs professionnels le reconnaissent très bien, dès qu’ils sautent sur la patinoire. Il en est ainsi pour plusieurs autres sports, dont le football. Il ne saurait donc être question de vouloir « dénaturer » la base même de ces jeux qui sont fondés, en partie, sur les contacts physiques. Mais en marge de l’événement dramatique survenu en Suisse, il est primordial d’attiser le débat sur quelques terrains bien précis.

Celui portant sur l’équipement et le niveau de protection adéquat est lancé depuis un bout de temps déjà. Pas plus tard que jeudi matin, un animateur de radio, lui-même passionné de hockey, me demandait comment les joueurs pouvaient encore refuser de porter plus de protection au niveau du visage après qu’ils soient témoins d’incidents malheureux comme celui de Marc Staal, atteint près de l’œil par un tir frappé extrêmement puissant? La réponse est toujours la même : la majorité détestent les visières et les protecteurs faciaux et préfèrent ne pas en porter puisque ce n’est pas obligatoire. La profonde coupure au tendon d’achille subie par Erik Karlsson, le fruit d’un geste controversé de la part de Matt Cooke, a aussi soulevé d’intéressantes questions à propos de l’utilisation de nouvelles fibres synthétiques qui protègent plus adéquatement les joueurs contre les lames de patins.

Mais de façon générale, le vrai débat revient très souvent au même point : celui du respect! On parle du respect des règles, bien sûr, mais aussi (et peut-être surtout!) du respect d’un principe qui semble de plus en plus banalisé, bafoué et galvaudé par les athlètes d’aujourd’hui : celui de l’esprit sportif! Or, le laxisme est tout simplement criant dans les deux cas.

Dans le premier cas, la faute revient aux différents circuits, purement et simplement. Dans la LNH, les règles sont claires mais elles sont maintenant appliquées par les officiels au gré des directives des bureaux de New York et de Toronto. Il est évident depuis l’an dernier que le niveau de tolérance envers une certaine violence gratuite a augmenté de façon sensible, facteur que l’on peut facilement déceler malgré l’écran de fumée que sont ces sanctions expliquées sur vidéo par Brendan Shanahan. Pourquoi croyez-vous que toutes les équipes, incluant le Canadien, ont cherché à ajouter du muscle depuis le printemps 2012 ? Il y a un peu plus d’un an, on disait que les Colton Orr de ce monde n’avaient plus leur place ; ils sont maintenant objet de convoitise!

Mais le deuxième facteur est vraiment celui qui prend le dessus sur tous les autres, dans le cas qui nous préoccupe. Le geste de Schnyder sur Keller en était un de pure bassesse sur le plan de l’esprit sportif! Il n’avait aucune raison d’être sur le plan compétitif, il était évitable et l’imminence du danger était très claire. Dans une large mesure, on peut comprendre, par exemple, que Chara se soit rué sur Emelin après le double-échec de ce dernier sur Seguin, même si on est contre les bagarres au hockey. On peut comprendre qu’un joueur veuille rendre la politesse à un autre joueur qui lui a donné une mise en échec douteuse. Mais il n’y a rien, absolument rien qui puisse permettre la moindre tolérance ou la moindre interprétation sur des gestes comme celui qui a fait le tour de la planète depuis quelques heures.

Alors, direz-vous, comment « enseigner » aux joueurs l’esprit sportif, au-delà d’un simple respect des règlements? Il faut d’abord chercher à l’imposer avec, malheureusement, une forme de répression beaucoup plus accentuée que maintenant. Revenons à l’exemple de Mike Brown à l’endroit de Josh Gorges. C’est très facile de reconnaître que Brown ne respectait aucun des trois critères mentionnés plus haut. Il a été chassé de la rencontre, d’accord, mais après? Rien, moins que rien! Le joueur fautif devrait, en pareille circonstance, être suspendu à long terme, même si son adversaire n’a pas été blessé et devrait faire face à la possibilité d’une radiation complète dans le cas de récidives ou de blessures graves. Tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas une approche aussi drastique, j’ai bien peur qu’on revoit souvent le même genre de situations. Et il se pourrait qu’un jour, les conséquences soient aussi dramatiques, sinon plus, que celles que nous avons vues en Suisse.

La NFL a choisi la tolérance zéro afin de protéger ses quart-arrières et elle assume avec beaucoup de courage le fait qu’il peut y avoir parfois des zones grises lors de certaines pénalités. À la lumière de qui s’est passé en Suisse, la LNH doit saisir rapidement l’occasion d’affirmer fermement elle aussi une tolérance zéro dans le cas d’une certaine forme de violence.

Avant qu’il ne soit trop tard…