Il en tourbillonnera des souvenirs dans la tête de Guy Lapointe quand il lèvera les yeux pour regarder monter le dossard numéro 5 dans les hauteurs du Centre Bell, une bannière longtemps attendue qui ira s'accouder à celles des deux plus grands partenaires qu'il ait eus durant sa glorieuse carrière, Serge Savard et Larry Robinson.

Il se reverra probablement sur la rue des Érables quand il n'avait qu'à traverser la rue pour aller s'amuser sur une patinoire extérieure avec les jeunes de son âge, puis plus tard sur celle du centre Immaculée-Conception où quelques carrières sportives ont pris naissance, dont la sienne. Il imaginera tous ces grands moments au cours desquels il paradait sur la glace de l'historique Forum avec la coupe Stanley à bout de bras. Il pensera à la fierté que ses parents auraient ressentie s'ils étaient toujours là pour vivre un moment d'un tel prestige.

Il pensera à Gérard Lapointe et au rôle que ce père, ardent admirateur du Canadien, a joué en l'obligeant à plonger tête première dans le hockey à une époque où la vedette de la soirée de samedi manquait tellement de confiance en lui-même qu'il aurait préféré volontiers le métier de policier à celui de hockeyeur.

Chez les Lapointe, on a toujours eu un net penchant pour les uniformes. Le père était pompier. Dans ses moments libres, il était aussi agent de sécurité au Forum, les soirs de match du Canadien. Deux de ses trois garçons sont devenus policiers. Et aujourd'hui, le fils aîné de Guy Lapointe est lieutenant à la Sûreté du Québec.

Toutefois, le plus bel uniforme, c'est celui que Lapointe a porté fièrement, le bleu, blanc, rouge, durant 12 ans. Ce défenseur spectaculaire a joué un rôle majeur au sein du Canadien durant toutes ces années, mais c'est aussi grâce à cette équipe prestigieuse s'il a pu patiner jusqu'au Panthéon de la renommée du hockey et s'il verra son chandail terminer son riche parcours dans les hauteurs de l'édifice.

Si Lapointe avait une remarque à faire aux jeunes d'aujourd'hui, il leur suggèrerait peut-être d'écouter la voix de la sagesse quand leur père leur offre un conseil. Le sien lui avait fortement recommandé de tenter sa chance dans le hockey. Il serait toujours temps de revenir à ses ambitions policières si le hockey ne lui ouvrait pas ses portes. À ses yeux, son fils déjà habile sur patins ne pouvait laisser filer la chance de partager un vestiaire avec les idoles de son époque. Il devait tout faire pour y arriver avant d'essayer n'importe quoi d'autre. Lapointe n'avait pas une haute estime de lui-même comme joueur de hockey après avoir été retranché par le Canadien junior à 17 et à 18 ans. Ce n'est qu'à l'âge de 19 ans qu'on lui a finalement fait une place.

Si Gérard Lapointe n'avait pas levé le petit doigt pour orienter la carrière de son fils, s'il l'avait laissé s'empêtrer dans son manque de confiance, il aurait eu une vie tellement différente. Connaissant sa force de caractère et sa discipline personnelle, Lapointe aurait certainement connu une belle carrière dans les forces de l'ordre, mais il n'aurait pas évolué avec le Canadien. Il ne serait pas devenu une grande vedette sportive dans son propre milieu et dans toute la Ligue nationale. Il ne serait pas intronisé au Panthéon des sports du Québec et au Panthéon de la renommée et, par conséquent, la bannière numéro 5 se balançant au plafond du Centre Bell serait uniquement celle de Bernard Geoffrion. Bref, il serait passé à côté d'une grande carrière et d'une fort belle histoire personnelle.

« Oui, c'est vrai, mais je n'aurais jamais su ce que j'aurais manqué, dit-il. De toute façon, je n'avais jamais pensé que je pouvais me rendre là. »

Il a touché des pinottes

Ce fut une merveilleuse aventure au cours de laquelle l'argent n'a jamais été un facteur. Il a eu du plaisir, beaucoup de plaisir. Il ne compte plus les coéquipiers qui l'ont aimé et ceux qu'il a aimés. Ils étaient des frères, toujours prêts à se secourir sur la glace comme à l'extérieur.

Son premier contrat avec les Aeros de Houston, filiale du Canadien, lui a rapporté un boni de 1 500 $ et un salaire annuel de 3 500 $. Sa toute première entente avec le Canadien lui a permis de toucher une somme d'argent quelque part entre 8 500 $ et 10 000 $. À sa dernière saison avec le Canadien, plus d'une décennie plus tard, il a recevait un peu plus de 150 000 $ par saison. En passant chez les Blues de Saint-Louis, son salaire avait bondi à 325 000 $.

Il a terminé sa carrière en s'offrant un dernier tour de piste avec les Bruins de Boston. Après son unique saison à Boston, son agent, Norm Caplan, lui a mentionné qu'il y avait encore de l'intérêt pour lui. Il aurait pu poursuivre sa route à Washington ou à Philadelphie, mais avec trois enfants à la maison, il était fatigué de voyager. Il a préféré accepter un job d'adjoint à l'entraîneur chez les Nordiques de Québec, poste qu'il a occupé durant quatre ans.

« Disons que si j'avais empoché sept millions par saison, j'aurais sûrement continué », admet-il en souriant.

Parlons-en, justement, de la fortune qu'il aurait pu accumuler. De nos jours, un membre du trio de défenseurs par excellence dans la Ligue nationale, gagnant de six coupes Stanley et auteur de trois saisons de plus de 20 buts, dont un record d'équipe de 28 buts qui tient toujours 39 ans plus tard, vaudrait combien d'argent si on considère que P.K. Subban, qui n'a encore rien gagné, est déjà millionnaire à 25 ans?

« J'aime autant ne pas le savoir, lance-t-il dans un éclat de rire. Quand le Canadien m'a offert un premier contrat, je croyais déjà avoir accompli l'impossible. À notre époque, les salaires n'étaient pas dévoilés. Après avoir signé un contrat, on retournait au vestiaire avec le sourire en pensant qu'on avait gagné à la 6/49. On ne parlait jamais de ce qu'on avait. On était heureux. À la mi-août, on était impatients de se revoir. Durant les entraînements optionnels, tout le monde était là et on s'amusait comme des gamins en organisant des matchs amicaux entre les gars de la Rive-Sud et ceux du West Island. Nous formions une équipe unie. Je n'échangerais pas ces moments-là. Ma carrière a été magique. »

Une injustice finalement réparée

Même s'il prétend le contraire, le fait de voir les chandails de ses amis Serge et Larry déjà retirés, sans qu'on ne fasse jamais allusion à la possibilité de lui réserver le même hommage, devait le chicoter sérieusement. Il ne ressentait aucune jalousie. Il se demandait plutôt pourquoi il était ainsi ignoré après avoir connu une carrière aussi exceptionnelle que les deux autres.

« Je suis venu près de gagner des trophées individuels (comment pouvait-il rivaliser avec Bobby Orr), mais cela n'est jamais arrivé, rappelle-t-il. J'étais content pour Larry et Serge. Ce sont des amis. Quand on se rencontre, on se donne des poignées de mains et des câlins. On est toujours heureux de se revoir. »

Il a fait partie d'un groupe que Claude Ruel appelait ses petits gars. Des jeunes qui avaient du talent, mais qui avaient tout avantage à y mettre l'effort pour devenir ce qu'ils sont tous devenus: des joueurs étoiles. Lapointe n'a rien oublié de ces moments au cours desquels l'adjoint de Scotty Bowman leur en demandait beaucoup.

« Il a été un bon professeur, rappelle-t-il. Pour les entraînements quotidiens qui commençaient à 10 h, Claude exigeait que nous soyons sur la glace à 9 h 30. On était brûlés quand l'entraînement commençait. À la fin de l'exercice, je l'entends encore me dire: 'Envoye, mon Pointu, donne-moi 10 autres minutes'. Aujourd'hui, le temps des entraînements est dicté par le syndicat des joueurs.»Guy Lapointe

Lapointe a disputé 894 parties dans la Ligue nationale. Sa réponse est étonnante quand on lui demande d'identifier un match qui l'a vraiment marqué. On aurait tendance à croire que c'est celui de sa première coupe Stanley, le septième match de la finale de 1971, quand Henri Richard a marqué les deux derniers buts dans une victoire de 3-2 à Chicago. Ce n'est même pas proche.

« Il y a eu plusieurs parties mémorables, mais si je dois en mentionner une, je parlerais de la toute première de ma carrière, dit-il. Le petit gars de Montréal qui jouait dehors sur la patinoire du Parc Lafontaine s'est retrouvé dans le même vestiaire que son idole Jean Béliveau. Je me vois encore dans cette chambre. J'avais de la misère à attacher mes patins tellement j'étais nerveux. Je regardais constamment le Grand Jean de l'autre côté du vestiaire. C'est un moment que je n'ai jamais oublié. »

Si la santé le lui permettait, Béliveau, le plus grand de tous les anciens Canadien, aurait été de la fête, samedi. Toutefois, ils seront nombreux, les anciens, autour de Lapointe. Il y aura des parents, des amis et des gens du milieu des médias qu'il a côtoyés durant ses belles années au Forum. Ce sera un grand moment pour sa femme Louise et ses enfants, Guy, 42 ans, Stéphanie, 39 ans, et Jordan, 31 ans.

« Guy est né pendant que j'étais en Russie pour la Série du siècle en 1972. Je suis néanmoins resté là-bas. Ça vous donne une idée à quel point j'étais un passionné. Aujourd'hui, ils prennent trois jours de congé à l'occasion d'une naissance. »

Il y aura de l'émotion

Le retrait de son chandail est l'ultime honneur qu'il pouvait recevoir dans sa vie. Symboliquement, c'est toute sa carrière qui sera résumée dans la bannière qu'on hissera lentement pour lui permettre de jouir pleinement du moment. Un grand émotif, sa présence sur la glace lui paraîtra une éternité.

« Je ne serai pas toujours dans les alentours. Pour les autres générations de la famille Lapointe, le retrait de mon chandail sera un honneur excessivement important dans le futur, un peu comme je voyais moi-même la chose quand je regardais les bannières de Howie Morenz et de tous les autres. D'une certaine manière, je deviendrai un immortel », souligne-t-il.

Samedi, Pointu sera tellement pris par l'émotion que pour une rare fois, il ne lui viendra jamais à l'idée de jouer des tours. Tous ceux qui participeront à l'événement peuvent donc dormir tranquille. Le petit comique qui s'est souvent payé la tête de ses coéquipiers aura plutôt le coeur sur le bord des lèvres. Sur ce visage espiègle pointera peut-être une larme d'émotion.

*Guy Lapointe sera l'invité de la nouvelle émission «Table d'hôte» qui sera présentée à RDS, le vendredi 7 novembre à 20 h 30. Il sera aussi sur le panel de l'Antichambre après le match du samedi 8 novembre entre le Canadien et le Wild.