MONTRÉAL – Habituellement, lorsqu’un athlète annonce sa retraite, on sort le bouquet de fleurs pour l’encenser. Mais, Andrei Markov était un oiseau rare autant pour son talent que pour sa manière de se comporter dans une équipe de hockey. Au lieu de se ruer vers le fleuriste, Steve Bégin et Pierre Mondou ont été bien plus savoureux pour relater son parcours.

 

Ainsi, on a choisi de réduire le décorum afin de mettre l’accent sur leurs observations. Débutons avec la petite mise en scène : Bégin était un candidat intéressant parce qu’il a été le coéquipier de Markov  pendant cinq de ses meilleures saisons (de 2003-2004 à 2008-2009) tandis que Mondou était parmi le groupe de décideurs du recrutement quand Markov a été judicieusement repêché en sixième ronde (neuf rangs avant une autre perle, Pavel Datsyuk).

 

« Son talent était incroyable. Tsé, on parle de Carey Price qui n’est pas nerveux, mais Andrei Markov, c’était la même chose! Il était zéro nerveux avec une rondelle même dans sa zone. S’il décidait qu’il faisait une passe en plein milieu, il fonçait. Il pouvait même la tenter trois ou quatre fois malgré le risque », a décrit Bégin qui l’a vu réaliser quelques petits miracles dans l’uniforme du CH.

 

Steve Bégin et Andrei MarkovSes habiletés étaient inversement proportionnelles à son intérêt pour la conversation.

 

« Son talent était fascinant, ça semblait tellement facile pour lui et c’est la chose que je vais le plus retenir. D’un autre côté, je vais toujours me souvenir de lui comme d’un homme de peu de mots. Quand j’arrivais dans le vestiaire, je faisais exprès pour lui demander comment il allait. Souvent, il faisait juste un hochement de la tête et il continuait de marcher. Ça me faisait rire, mais c’était dans sa nature d’être réservé », a exprimé Bégin en souriant. 

 

« Vers la fin, il pouvait parfois laisser sortir quelques mots et ça nous surprenait tous. On faisait beaucoup de blagues avec lui là-dessus », a-t-il poursuivi.

 

Markov aura surtout épaté sur la glace comme en font foi ses 990 matchs avec le Canadien, ses 572 points et ses 119 buts. Respectivement, parmi les défenseurs de l’histoire du club, on parle d’un sommet, du deuxième rang et du troisième échelon. Si Bégin a été fasciné par sa progression à partir d’un jeune homme qui ne parlait ni anglais ni français en arrivant à Montréal, il reconnaît que les entraîneurs ne parvenaient pas toujours à lui faire suivre le système de jeu.  

 

« C’est sûr que pour l’entraîneur, ça devait être assez compliqué de s’expliquer avec lui. Markov aimait ça faire les choses à sa façon. Oui, il pouvait écouter les entraîneurs, mais peu importe le plan de match élaboré, s’il avait quelque chose en tête qu’il voulait faire, il n’hésitait pas. Je pense qu’il faisait à sa tête plus souvent qu’à son tour comparativement à ce qu’on avait sur le tableau avant les matchs », a avoué Bégin en riant.

 

Certes, Markov parvenait à compenser via son arsenal. Ce n’est pas pour rien qu’il a si bien fait paraître ses nombreux partenaires au fil du temps. En premier lieu, on pense à Mike Komisarek qui a eu l’air d’un roc à ses côtés. On peut ajouter les Craig Rivet, Alexei Emelin et P.K. Subban (surtout au début) à la liste.

 

« On parle souvent des meneurs qui parlent et qui encouragent les autres. Markov, c’était un leader à sa façon. Quand un défenseur était jumelé avec lui, il pouvait être en confiance, il savait qu’il allait assurer tes arrières et te sauver assez souvent. Lui, comme meneur, il était très, très silencieux, mais il pouvait regarder son partenaire en voulant dire : "Suis-moi et ça va bien aller". Je pense qu’il fonctionnait beaucoup avec des gestes tellement il parlait peu, mais c’était efficace », a vanté Bégin qui était un meneur à sa façon.

 

Mondou explique sa sélection en sixième ronde  

 

Si Markov a pu marquer l’histoire du Tricolore, c’est grâce à la sélection pilotée par Mondou, Pierre Dorion et le dépisteur russe Antonin Routa.

 

À première vue, ça étonne toujours de voir qu’un espoir sélectionné en sixième ronde finisse par exceller autant. Il faut cependant comprendre que Markov a été repêché à sa saison de 19 ans, sa deuxième année d’admissibilité.

 

Andrei Markov« Ça faisait trois ans qu’on le suivait. La première année qu’on l’avait vu, c’était dans un tournoi en Amérique du Nord en Alberta. C’est drôle parce qu’il jouait comme attaquant à cette époque et il se débrouillait bien. L’année suivante, il était rendu défenseur et on l’aimait beaucoup », a rappelé Mondou. 

 

Mais alors, pourquoi n’a-t-il pas été choisi en 1997?

 

« Dans ces années-là, les Russes devaient remplir un document pour être admissibles. S’ils ne le faisaient pas, on ne pouvait pas les repêcher et ça existait juste avec les Russes. Dans son cas, il n’avait pas rempli le fameux formulaire », a-t-il justifié au RDS.ca.

 

L’évaluation du Canadien s’est confirmée l’année suivante lors du Championnat mondial junior alors que Markov a été un pilier de la formation russe qui a obtenu l’argent en Finlande. 

 

« Les joueurs de 19 ans, souvent ils passent à travers les mailles. C’était d’autant plus vrai à cette époque parce que les Russes, c’était moins automatique qu’ils allaient venir en Amérique du Nord. Bien sûr, quand ils viennent jouer leur junior ici, ça démontre leur intention de percer dans la LNH. C’est pour ça qu’il a glissé. Vu qu’on l’aimait déjà beaucoup, ça nous a beaucoup influencés et on a eu la main heureuse », a témoigné Mondou qui conserve avec raison une belle fierté de ce repêchage alors que le Canadien a déniché quatre patineurs (Mike Ribeiro, François Beauchemin, Markov et Michael Ryder) qui ont joué plus de 800 matchs dans la LNH.

 

Alors que les entrevues avec les espoirs du repêchage sont décortiquées sous tous les angles de nos jours, le portrait n’était pas le même en 1998. Mais on a envie de dire que c’est une bonne chose parce que le Canadien aurait pu effacer Markov de sa liste vu que les entrevues, ce n’était pas sa tasse de thé.

 

«Les entrevues étaient plus rares et particulièrement avec les Russes qui étaient plus difficiles d’approche. C’était encore vu comme si on volait des joueurs à la Russie. Ceux qui ne venaient pas jouer ici avant le repêchage, c’était bien difficile de les interviewer et leurs entraîneurs ne collaboraient pas beaucoup, les agents plus ou moins. Les joueurs subissaient encore beaucoup de pression pour continuer de jouer dans leur pays », a mentionné Mondou qui tente de s’habituer à un horaire sans hockey.

 

Vingt-deux ans plus tard, Mondou se félicite de ne pas avoir trop écouté les doutes relatifs à son style de jeu qui n’était pas le modèle de référence.

 

« Le hockey était bien différent en 1998. Il mesurait six pieds et c’était la mode des gros accrocheurs à la défense. Il n’avait pas une énorme explosion comme défenseur, il était surtout très intelligent. Il y avait des points d’interrogation sur sa vitesse parce qu’il n’était pas le plus costaud pour l’époque. C’était plus le modèle des frères (Kevin et Derian) Hatcher qui était en vogue », a comparé Mondou qui avait accepté de remplacer Jacques Demers – qui avait été embauché par le Lightning – durant la saison comme recruteur professionnel.

 

En faisant le saut en Occident, Markov a contribué à bâtir le nouveau modèle de défenseurs de la LNH. Avec les Cale Makar, John Carlson, Thomas Chabot, Erik Karlsson, Samuel Girard et compagnie, on ne peut que le remercier sans s’attendre à un long discours en retour.

Où est la place de Markov dans l'histoire du CH?