Saku! Saku! Saku!
Canadiens lundi, 1 déc. 2014. 09:22 jeudi, 12 déc. 2024. 21:30Dans le cadre de sa série 25 ans d'émotions, RDS présentera ce soir à 19 h 30 le reportage sur Saku Koivu intitulé : Sisu: Le courage du capitaine
Le prénom de Saku Koivu résonne encore dans les entrailles du Centre Bell. Quand il accomplissait un geste spectaculaire, qu'il marquait un but important ou qu'il se permettait une mise en échec aux dépens d'un rival plus gros que lui (ils l'étaient tous), on scandait « Saku, Saku, Saku » aux quatre coins de l'édifice.
C'était un prénom sympathique, facile à prononcer et qui contribuait à le rapprocher des jeunes déjà ravis d'avoir un héros à peine plus grand qu'eux. Il avait des allures d'adolescent à son arrivée à Montréal. Il était blond et ses cheveux en broussailles lui donnaient des traits de ressemblance avec Tintin.
Quand le Canadien en a fait son premier choix au repêchage, c'est arrivé comme une grande surprise. Très peu d'observateurs avaient entendu parler de lui. C'est Jean-Claude Tremblay, le merveilleux défenseur qui était allé terminer ses jours en Europe, qui avait identifié son potentiel au premier regard. Atteint d'un cancer, Tremblay avait fait promettre à son ami Serge Savard de le repêcher. Il est décédé un peu plus d'un an après que le directeur du recrutement André Boudrias se soit avancé pour le réclamer.
Un nom qu'il a prononcé difficilement, faut-il le dire. On est encore témoin de ce moment plutôt drôle de ce temps-ci alors qu'on fait la promotion de l'excellent documentaire Le courage d'un capitaine que RDS présentera lundi soir, à 19 h 30, dans le cadre de la série 25 ans d'émotions. Après avoir entendu Boudrias le réclamer, on pensait tous qu'il fallait dire « Sacu Kiyouvou ».
Le petit Finlandais, capitaine de l'équipe nationale de son pays, déjà un héros chez lui, n'a pas mis de temps à faire sa place au Québec. Jamais son prénom n'a été chanté avec plus de chaleur et d'émotion que le soir du 9 avril 2002 quand ce survivant d'une forme de cancer souvent fatale a repris sa place dans la formation après avoir manqué les 79 premiers matchs du calendrier.
« Saku, Saku, Saku » a été scandé pendant les huit minutes d'une ovation si lourde d'émotion qu'il y avait des larmes sur le banc des joueurs, dans la foule et sur la passerelle de presse où plusieurs journalistes avaient suivi intensément une bataille qu'on avait cru presque perdue au départ. Posté à la ligne bleue pour l'hymne national, Koivu a fait frissonner la foule quand il a retiré son casque et affiché un crâne dégarni et luisant sous les puissants réflecteurs du Centre Bell. Un changement physiologique qui nous a confirmé à quel point il revenait de loin.
Quelques instants auparavant, dans le vestiaire, à l'occasion d'une conversation personnelle avec le docteur David Mulder, il l'avait remercié de lui avoir sauvé la vie. Les docteurs Mulder et Blair Whittemore avaient accompli un petit miracle médical, comme on en voit parfois quand la Providence est de leur bord.
Le docteur Mulder aurait eu du mal à le contredire. « Quand nous avons regardé son abdomen et procédé à des biopsies, j'ai failli être malade quand j'ai constaté à quel point son état était sérieux, a-t-il déjà raconté. J'ai vécu le moment le plus heureux de ma carrière, peut-être de ma vie, quand il est retourné au jeu. »
Le bouleau n'a pas cassé
Un troisième médecin, Vincent Lacroix, qui a été appelé à vulgariser la forme de cancer de Koivu dans le cadre de quelques points de presse, sait à quel point Koivu s'est battu pour en arriver à vivre aujourd'hui une existence normale. « Je n'ai rien eu à voir avec les traitements qu'il a reçus. Moi, j'ai juste été un traducteur dans cette affaire », dit-il, l'air amusé.
Il a néanmoins été témoin de cette lutte à finir avec le cancer pour ce joueur de petite taille qui était loin d'être chétif. En finlandais, Koivu signifie « bouleau ». Il a peut-être plié au plus fort de la bourrasque, mais il n'a pas cassé.
« Comme tout patient atteint d'un cancer, Saku s'est concentré sur le côté optimiste de la situation, mentionne le docteur Lacroix. Un athlète de haut niveau ne croit jamais qu'il va mourir. Habituellement, il analyse la situation avec les yeux de quelqu'un qui en a vu d'autres. Saku s'est comporté comme l'a fait Mario Lemieux, Anthony Calvillo et quelques autres. Ce sont des athlètes qui ont la tête dure et qui se fixent des objectifs. Par ailleurs, ils ne sont jamais seuls dans leur combat. Ils reçoivent tout l'encouragement nécessaire de leurs familles et ils sont entourés d'une solide équipe médicale. »
Ces athlètes sont dans la fleur de l'âge. Ils ont l'habitude d'affronter des obstacles et de faire face à l'adversité. Étrangement, selon le docteur Lacroix, il leur arrive de trouver aussi une certaine source d'inspiration chez les enfants malades qu'ils visitent dans les hôpitaux. Ils vont dans ces endroits pour transmettre le message à ces petits malades que tout est possible, mais souvent, ce sont les athlètes qui sont inspirés à la vue de ces enfants courageux et souriants malgré tout.
« Ceux qui triomphent d'une maladie aussi sérieuse que le cancer sont des gens d'une grande richesse par la suite, précise-t-il. Ils comprennent mieux la fragilité de la vie tout en appréciant de pouvoir jouir d'une seconde chance. Quand tu passes à un cheveu de la mort, tu as une vision très différente de ce qu'est la vie. »
Au début de son cancer, Koivu a terriblement souffert. Bombardé de traitements capables d'assommer un boeuf, dans sa chambre d'hôpital, il a été à l'image du joueur qu'on a connu sur la glace. Il a continué d'avancer même s'il avait parfois l'impression de faire face à un mur de la dimension de Zdeno Chara.
« Je l'ai observé à distance durant cette période difficile, ajoute le médecin. Il avait une bonne perspective de tout ça. C'est un athlète calme et réservé. Un homme de peu de mots, il a toujours parlé par ses actions d'abord. »
Pendant que Koivu en était à ses débuts dans la Ligue nationale, l'entraîneur Mario Tremblay avait voulu protéger le plus petit de ses joueurs en lui recommandant de s'absenter des exercices optionnels. Koivu a relaté l'excès de prudence de son entraîneur en écrivant, dans une chronique qu'il signait dans son pays, qu'il n'était pas venu en Amérique pour admirer l'architecture ou faire du magasinage.
Le fait français
Les amateurs ont fini par passer l'éponge sur le fait que Koivu a été incapable de s'adresser à eux en français durant ses 13 saisons passées à Montréal, dont 9 en portant un C sur son chandail. On ne comprenait pas que le capitaine d'une organisation comme le Canadien ne voit pas l'utilité de le faire, surtout quand sa femme, finlandaise elle aussi, s'exprimait dans un français fort acceptable.
Pour Koivu, c'était davantage une question de timidité. Il croyait sans doute que s'il faisait la démonstration qu'il était capable de dire quelques mots de français, il se retrouverait vite dans l'obligation d'accorder des entrevues dans la langue de sa ville d'adoption. Steve Shutt a réagi de la même façon durant toute sa carrière. Marié à une Montréalaise francophone, il cachait bien le fait qu'il comprenait tout ce qui se disait dans le vestiaire. Cette attitude de Koivu au niveau de la langue l'a empêché de devenir un joueur plus apprécié encore auprès des fans. Cependant, sa bataille contre le cancer et le retour quasi miraculeux qu'il a effectué huit mois plus tard ont fait comprendre à beaucoup de monde qu'il y a des irritants nettement plus importants que cela dans la vie.
Peut-être que la leçon a porté fruit parce que son successeur à titre de capitaine, Brian Gionta, n'a pas eu à subir ce genre de reproche durant ses cinq saisons au Centre Bell. Pas plus qu'on n’adressera des reproches au prochain capitaine qui sera assurément unilingue anglophone. L'important n'est-il pas qu'il fasse gagner l'équipe?
L'une des grandes déceptions de Koivu a été de ne pas conduire le Canadien à la coupe Stanley. On peut comprendre qu'un joueur de petite taille comme lui n'ait pu réussir ce genre d'exploit par lui-même quand le Canadien comptait dans ses rangs beaucoup plus de joueurs marginaux que de vedettes.
Son unique grand miracle, Koivu l'a accompli quand sa vie a été en danger. Quand il a croulé sous la vibrante démonstration d'admiration et d'amour de la foule par cette merveilleuse journée d'avril 2002, il venait de gagner beaucoup plus qu'une coupe Stanley.
Tellement plus.