Quand Marc Bergevin, au vu et au su de tout le monde, dans un hall d’hôtel, a jasé avec les trois chefs de file de son équipe, Carey Price, Shea Weber et Max Pacioretty, on a tenté d’atténuer dans les médias l’importance de cette conversation tenue sans la présence de Michel Therrien. C’était anodin comme rencontre, nous avait-on dit.

Maintenant qu’on a procédé à un changement d’entraîneur, c’est curieux comme on peut y voir, au contraire, une réunion significative. Un directeur général désireux de savoir ce qui se passe dans son équipe s’adresse rarement à des joueurs marginaux de troisième ou de quatrième trio. Peut-être a-t-il appris ce jour-là qu’il y avait des grincements de dents à l’intérieur du vestiaire, ce qui lui a fourni suffisamment d’information pour prendre une décision éclairée.

Au cours des prochains jours, on apprendra peut-être des éléments négatifs sur Therrien. C’est souvent comme cela que ça se passe quand un changement majeur survient dans une équipe. Après le départ de P.K. Subban, c’est fou ce qu’on a su à son sujet. Ses coéquipiers juraient qu’il n’était pas une source de distraction dans la chambre alors que c’est précisément pour cette raison qu’on l’a sorti de Montréal.

Bergevin a frappé très fort cet après-midi. Therrien a appris qu’il était sans emploi une heure ou deux avant que la nouvelle soit confirmée. On peut comprendre parfois les entraîneurs d’être en état de choc quand on les informe de leur congédiement. C’est souvent très inattendu. Même si l’équipe semblait désorganisée, Therrien se sentait encore solidement en selle.

Sur l’heure du midi, il avait rendu visite à Jacques Demers en compagnie de Michel Bergeron. Il était de bonne humeur. Il parlait de la prochaine séance d’entraînement prévue pour vendredi, à 16 heures. Il se disait convaincu de pouvoir repartir la machine, pour utiliser son expression. Dans un simple coup de fil, son grand rêve de conduire le Canadien à la coupe Stanley s’est éteint.

Dans les circonstances, il y a une certaine logique dans la décision de Bergevin. Les équipes, qui dérapent quand trop de joueurs perdent subitement leurs moyens, envoient généralement un message clair à la haute direction. Au retour de l’équipe, on verra peut-être un Carey Price moins nonchalant, un Shea Weber ragaillardi et un Alex Galchenyuk qui aura perdu ses airs de chien battu, qui sait?

Le directeur général est allé le plus loin qu’il pouvait se rendre avec Therrien. Il y a un an, il aurait eu d’excellents motifs pour le remplacer, mais il s’est accroché à des circonstances exceptionnelles pour le garder en poste. Ce changement derrière le banc lui permet pour le moment d’acheter du temps sur le plan des transactions. Si jamais le Canadien retrouve ses moyens avec Julien, Bergevin pourra respirer un peu, même si la date limite des transactions approche rapidement. On ignore s’il arrivera à surprendre encore les experts avec une transaction de dernière minute, mais compte tenu des exigences du plafond salarial, qui incitent plusieurs directeurs généraux à rester assis sur leurs mains, il fallait inévitablement que sa première décision vienne de l’intérieur.

Bergevin n’aurait pu remplacer son entraîneur sans s’assurer de pouvoir embaucher une grosse pointure, un homme respecté possédant une feuille de route impressionnante. J’ignore ce que les joueurs ont raconté à leur patron au sujet de Therrien, mais s’ils réclamaient une autre forme de direction, ils vont maintenant se retrouver face à un entraîneur très demandant qui n’entendra pas à rire, tout en restant très humain. Personne ne doute que Julien aura un impact sur la suite des choses.

« Un choc d'apprendre le congédiement de Michel »

Il dirigera une formation différente de celle qu’il vient de quitter. Une équipe avec des trous béants à combler au centre, notamment. S’il parvient à replacer Galchenyuk sur la bonne voie, il aura déjà réglé une bonne partie du problème. C’est anormal qu’on ne sache toujours pas s’il est un centre ou un ailier cinq ans après avoir été un troisième choix de la ligue.

L’équipe trône au sommet de sa division depuis le début de la saison. Pendant combien de temps encore pouvait-on considérer cela comme une forme de réussite? Le sol bouge actuellement sous la glace du Centre Bell. On entend les coups de patin des Bruins, des Sénateurs et des Maple Leafs, les deux dernières équipes jouissant respectivement d’une priorité de quatre et de trois parties sur le Canadien. Dans les circonstances, Bergevin et son propriétaire n’ont sans doute pas eu trop de difficulté à se mettre d’accord sur cette décision.

Bergevin n’est pas en danger

Assurément, le remplacement de Therrien n’est pas une façon pour Bergevin de couvrir ses arrières puisque son poste est nullement en danger. Si le propriétaire était emballé à la suite de ses acquisitions de l’été dernier, il ne pourrait sûrement pas prétendre aujourd’hui qu’il s’agissait de coups d’épée dans l’eau. Il lui en faudra beaucoup pour sacrifier un directeur général qu’il identifie comme l’un des plus compétents du circuit.

Ça ne veut pas dire pour autant que Geoff Molson appréciait ce qu’il voyait. Ce n’est pas Bergevin qui a la responsabilité de marquer des buts. Ce n’est pas lui qui forme des trios, qui établit des plans de matchs et qui choisit d’utiliser ou de retirer des joueurs de la formation. On présume qu’il a demandé à son d.g. d’identifier les raisons de l’affaissement chronique de son équipe.

Therrien a rendu de très bons services au Canadien. On a découvert chez lui un entraîneur plus complet et plus mature qu’à sa première présence à Montréal. Un facteur allait éventuellement jouer contre lui, cependant. Il en était à sa cinquième saison. Cinq ans à entendre le même message dans un style abrasif, c’est suffisamment long pour placer un entraîneur en danger à Montréal.

Ne reste plus qu’à lui souhaiter de dénicher un emploi du même genre ailleurs. Le téléphone ne sonnera pas aussi vite que dans le cas de Julien. Therrien n’a pas le même aura que son successeur dans les cercles du hockey.