Aujourd'hui apparaît sur les tablettes de nos libraires un autre bouquin sur le Démon blond : Guy Lafleur, l'homme qui a soulevé nos passionsLafleur sera justement de passage à l'Antichambre ce soir.

Le défi, quand on s'applique à produire un nouvel ouvrage sur Lafleur, c'est de le présenter sous un jour nouveau en offrant aux lecteurs une facette de sa vie ou de sa personnalité encore inconnue de ses fans. Ce livre n'y est pas parvenu parce qu'on a l'impression, voire la quasi-certitude, que tout a été dit sur le sujet. Même Yves Tremblay, un ami qui est entré intimement dans sa vie au point d'en devenir son agent en cours de route, ne nous apprend rien de plus sur la carrière de Lafleur et sur tout ce qu'il a représenté pour l'organisation du Canadien et les amateurs.

Tremblay raconte en long et en large tout ce qu'il a vécu à ses côtés. Il rappelle des anecdotes, ses hauts faits d'armes, ses hauts et ses bas, mais aussi la relation tumultueuse que Guy a entretenue avec l'organisation qu'il a profondément aimée et qu'il aime encore. Il passe rapidement sur certaines histoires et escamote certains faits. Pas un mot notamment sur les problèmes judiciaires de son fils Mark qui ont obligé son célèbre père à parader sous les réflecteurs dans des cours de justice pour se porter à sa défense. Ces problèmes familiaux lui ont pourtant valu un puissant mouvement de sympathie dans le public.

Guy LafleurN'achetez pas ce livre dans l'espoir d'y lire d'autres déclarations explosives de Lafleur. Ce n'est pas un livre du genre règlement de comptes. Même si on revient encore une fois sur la retraite forcée qu'il a prise ou que ses anciens patrons, le directeur général Serge Savard et l'entraîneur Jacques Lemaire, lui auraient fait prendre. Cette sombre histoire ne s'éteindra jamais.

On présente le livre comme une source d'inspiration pour tous, jeunes et moins jeunes. Il s'agit plutôt d'un outil de références pour une génération d'amateurs de hockey, les 15 à 35 ans, qui n'ont pas eu l'occasion de le voir patiner les cheveux au vent et les patins aux fesses. Le bilan de sa carrière y est bien étalé, de ses exploits au tournoi pee-wee de Québec à sa sortie mystérieuse du Canadien, jusqu'à son retour avec les Rangers. Tout ça en passant par trois championnats des marqueurs, six saisons de plus de 50 buts et de plus de 100 points. Des chiffres extraordinaires si on considère qu'une production de 60 points par un joueur du Canadien est considéré aujourd'hui comme une saison irréprochable.

À mes yeux, Guy Lafleur en a donné beaucoup plus au Canadien que le Canadien lui en a donné. Il n'a jamais reçu la moindre considération pour le titre de capitaine. Sur le plan salarial, il a été exploité d'une façon éhontée durant sa carrière. Dès le départ, on l'a emprisonné dans une entente de 10 ans évaluée à un million de dollars. Il a terminé sa carrière à un salaire avoisinant les 500 000 $. Et là encore, il lui a fallu menacer l'équipe d'une grève pour faire comprendre au directeur général de l'époque, Irving Grundman, que l'injustice avait suffisamment duré.

Avant cette menace, j'avais personnellement découvert à la suite d'une enquête que Ken Dryden touchait 325 000 $, en incluant ses bonis, pendant que l'explosif ailier droit qui soulevait le Forum en recevait 175 000 $. Pierre Bouchard avait été le premier à lui sonner une cloche quand il lui avait amicalement glissé à l'oreille : « Guy, c'est pas normal que je touche plus d'argent que toi ».

En 1984, étouffé par le style exigeant de Lemaire qui n'acceptait aucun compromis, sa carrière a subitement périclité. Humilié, profondément touché dans sa fierté, Lafleur a sombré dans une déprime qui n'a fait qu'envenimer sa situation. Comment ces deux-là en étaient-ils arrivés là après avoir été d'incroyables complices sur la glace et dans la vie? Ils étaient des inséparables qui prenaient toujours place dans la dernière rangée des vols nolisés, ce qui leur permettait de se raconter leur vie respective à l'abri des oreilles indiscrètes. Ils semblaient unis pour toujours.

Lemaire, qui prétendait que Lafleur avait ralenti, a commencé à le priver d'un précieux temps de glace. De son côté, Lafleur était convaincu qu'il produisait moins parce qu'il ne jouait pas suffisamment.

Je me souviens notamment d'un match Canadiens-Nordiques, au Forum. Le Canadien perdait 3-2 avec cinq minutes à jouer. Guy, qui traversait une longue période léthargique mais qui était encore le joueur du Canadien le plus susceptible de sortir de nulle part pour marquer le gros but, était cloué au banc. Le public le réclamait. Les cris de Guy, Guy, Guy n'ont jamais influencé l'entraîneur. Lafleur, qui n'a pas reçu la tape dans le dos espérée, a compris que Lemaire serait intraitable avec lui. 

Encore aujourd'hui, on ignore si le duo Savard-Lemaire a vraiment comploté pour pousser Lafleur vers une retraite trop hâtive, mais une chose est certaine, personne n'a rien fait au sein de l'organisation pour venir à son aide et tenter de comprendre son désarroi. Bref, on a laissé se noyer le plus grand Glorieux depuis Maurice Richard et Jean Béliveau sans lui porter la moindre assistance.

Dans Guy Lafleur, l'homme qui a soulevé nos passions, on relève une citation de Lafleur exprimée sans esprit de vengeance et sans émotion particulière. « J'ai toujours eu confiance en moi, raconte-t-il. J'ai toujours su ce que j'étais capable de faire, à la condition qu'on m'en donne l'opportunité. C'est sûr que si tu es un athlète dirigé par d'autres, c'est eux qui tirent les ficelles. C'est un peu comme un spectacle de marionnettes. Le spectacle va bien, mais si à un moment donné quelqu'un coupe les ficelles, la marionnette tombe. C'est facile de détruire quelqu'un, de détruire un athlète. Tu n'as qu'à le démolir psychologiquement en ne le faisant pas jouer. Il n'y a rien de plus facile que ça. »

L'attachement du public

Même si la jeune génération ne l'a jamais vu jouer, elle a souvent l'occasion de le croiser dans des endroits publics. Guy aime le monde autant que le monde l'aime. Quand il se présente quelque part, il y a toujours un attroupement. On lui tend un bout de papier, une serviette de table, n'importe quoi sur lequel il peut faire cadeau de sa précieuse signature. Il signe tout sans se lasser. C'est Ti-Guy par ci, Ti-Guy par là, comme s'il faisait partie de la famille. Aujourd'hui, les joueurs baissent la vitre de leur portière en quittant l'édifice, griffonnent leur nom d'un indéchiffrable coup de crayon avant de disparaître.

Flower est de cette génération d'athlètes qui ne se cachent pas. Il explique souvent pourquoi le public occupe une telle place dans son quotidien : « Pas de public, pas de salaire. Et pas de salaire, pas de gagne-pain. »

Combien d'athlètes professionnels reconnaissent que ce sont les amateurs qui leur permettent de toucher tous ces millions de dollars? On vit dans une ère sportive pas très reconnaissante, à des années-lumière de Lafleur et de ses valeureux ex-coéquipiers, où les athlètes se demandent rarement d'où proviennent leurs chèques de paie démesurés.

J'ai vu Lafleur faire tellement de choses pour des gens ordinaires. Quand il accepte de se déplacer pour encourager un malade qui n'en a plus pour très longtemps, il achète du temps pour cette personne. Il lui refile une énergie qui lui permet dans certains cas de s'accrocher à la vie pendant quelques heures, quelques jours de plus. J'ai personnellement été témoin de cela.

Bien sûr, il a fait des frasques dans sa vie. Il en a dit des choses qui ont écorché ses patrons, des coéquipiers, des joueurs actuels, etc. Il n'a jamais pu s'empêcher de relever des situations qui lui semblaient anormales ou injustes. Il s'est mis les pieds dans la bouche sans jamais dire le lendemain qu'il avait été mal cité. Sa franchise brutale est proportionnelle à son intouchable intégrité. On lui pardonne tout parce qu'il a beaucoup donné pendant ses éblouissantes saisons. On lui voue un immense respect parce qu'il n'a jamais triché qui que ce soit.

Ne serait-ce que pour cela, retourner dans le temps par le biais de ce livre sera un plaisir pour ceux qui admirent un athlète comme il ne s'en fait plus. On appréciera probablement que son ami Yves Tremblay, qui a orchestré son retour au jeu quatre ans après son départ du Forum, nous explique comment les choses se sont passées à ce moment-là. Personnellement, j'ai apprécié tout l'espace qu'on a accordé à Flower à la fin du bouquin pour qu'il y fasse ses réflexions personnelles.

Plusieurs témoignages de personnalités qui ont côtoyé Lafleur au fil de sa carrière meublent les dernières pages. Du nombre, je retiens le commentaire le plus bref et le mieux senti d'un homme de peu de mots, Henri Richard : « Guy a été le Maurice Richard des années 1970 ».

Venant de quelqu'un qui a connu le Rocket de l'intérieur comme de l'extérieur, le compliment est de taille.