La haute direction du Canadien avait des projets pour le gardien Dustin Tokarski bien avant que Carey Price subisse cette malencontreuse blessure qui a donné un tout nouveau visage à la série.

Ce n'est pas pour rien qu'on nous répète fréquemment que Tokarski est un gagnant naturel et qu'il a connu du succès partout où il est passé dans sa jeune carrière. Insister là-dessus est un signe assez évident qu'on a des plans pour lui. Marc Bergevin l'a démontré quand il lui a accordé un contrat de deux ans, il y a quelques semaines à peine. L'entente sera même à sens unique pour la deuxième saison de ce contrat. Curieusement, cette seconde saison coïncidera avec la fin du pacte de Peter Budaj.

Néanmoins, il serait étonnant qu'on attende jusque-là pour faire une place dans l'équipe à celui qui vient de replacer le Canadien dans la série d'une façon magistrale. Quand Price s'est blessé, on n'était vraiment pas chaud à l'idée d'utiliser Budaj qui a connu une fin de saison chancelante et qui a souvent eu du mal à cohabiter avec la pression quand il était dans les patins d'un numéro un pour une longue période. On a décidé de sonder ce que le gardien de 24 ans était capable d'accomplir. S'il a gagné partout où il a joué, les chances qu'il soit solide encore une fois étaient bonnes, croyait-on en haut lieu.

Tokarski est en audition en ce moment. Comme il a réussi brillamment l'étape la plus difficile, celle de garder cette série en vie dans un match à l'étranger, ça pourrait vouloir dire que la situation des gardiens à Montréal pourrait être appelée à subir un changement majeur au cours de l'été. Il ne serait pas étonnant que Budaj soit échangé pour faire place à Tokarski. Pas seulement parce qu'il a démontré beaucoup de sang-froid sur une patinoire aussi hostile que celle du Madison Square Garden, mais parce qu'il a prouvé que sa réputation, qui fait de lui un athlète calme et d'une grande fiabilité dans les moments importants, n'est pas surfaite.

Le Canadien n'a pas bien joué durant ce match et les Rangers n'ont pas été vraiment spectaculaires même s'ils ont passé beaucoup trop de temps dans le territoire des visiteurs au cours des 40 premières minutes. Tokarski a frustré fréquemment la troupe d'Alain Vigneault qui semblait se diriger vers une troisième victoire sans trop de mal. Il a tenu le fort si longtemps qu'il a finalement permis à ses nouveaux coéquipiers de remonter la pente. Le Canadien a même failli être privé de la victoire par Chris Kreider qui, après avoir probablement mis fin à la saison de Price, a continué son travail de destruction dans cette série en inscrivant le but égalisateur avec 29 secondes à écouler dans le match.

Tokarski a bloqué des tirs de tous les angles en accordant très peu de retours. Il a privé Martin Saint-Louis de deux buts quasi certains. Il a certainement donné de quoi réfléchir aux Rangers pour la suite des choses, mais il ne pourra pas continuer de se taper seul tout le boulot. Si le trio de David Desharnais n'avait pas connu une bonne soirée en exerçant une pression continuelle sur la défense des Rangers, le Canadien aurait été dévoré tout rond. Trop de joueurs jouent un rôle effacé pour espérer voir le Canadien survivre dans cette série.

Le Canadien vient d'être sauvé par un col bleu, un vrai. Tokarski a passé cinq saisons dans la Ligue américaine au cours desquelles il a disputé pas moins de 235 matchs. Il a franchi toutes les étapes, très souvent avec brio. Si Bergevin n'avait pas jugé bon de le garder à son service en lui offrant ce contrat qui l'a empêché de profiter de son autonomie, il aurait fort probablement trouvé preneur au cours de l'été.

Un col bleu, vous dites? Il est aussi le plus bas salarié de l'équipe, lui qui a touché un salaire de 575 000 $ cette saison. Et curieusement, il est en train de se mettre au monde dans les séries de la coupe Stanley dans un moment où les joueurs ne sont pas rémunérés.

Si le Lightning l'avait gardé…

J'aurais donné cher pour lire dans les pensées de Steve Yzerman pendant que Tokarski disputait le match le plus important de sa vie. Le hasard fait curieusement les choses parfois. Le patron du Lightning de Tampa Bay a échangé Tokarski au Canadien en retour d'un autre gardien, Cédrick Desjardins, en février 2013. S'il l'avait gardé à son service, c'est probablement à lui qu'on aurait fait appel pour remplacer Ben Bishop durant la série contre le Canadien puisqu'il avait déjà permis à la filiale du Lightning de remporter le championnat des séries éliminatoires dans la Ligue américaine sous les ordres de Jon Cooper.

On aurait pu avoir droit à un affrontement bien différent si le Canadien avait eu Tokarski dans les pattes durant la première série. À 24 ans, il semble maintenant mûr pour relever de plus grands défis. Probablement que Glen Sather, Alain Vigneault et le personnel d'entraîneurs des Rangers ont passé une très mauvaise nuit après avoir été battus par le gardien numéro 3 du Canadien. Ils avaient prévu divers scénarios sauf celui-là.

Tokarski redonne espoir au Canadien, même si c'est loin d'être dans la poche. Pendant une bonne partie de la rencontre, plusieurs joueurs donnaient l'impression de ne plus avoir d'énergie dans le réservoir. Fait encourageant, on s'est offert le luxe d'une victoire sans que P.K. ait eu le moindre impact sur le résultat. Il a même été responsable du premier but des Rangers. Il serait surprenant qu'il dispute un deuxième match ordinaire consécutif. Durant les trois premiers matchs, le Canadien a détenu une avance durant 2 minutes et 50 secondes. Un détail qui est sûrement de nature à faire croire aux Rangers qu'ils sont encore très en contrôle de la situation.

Facteurs encourageants

Brandon Prust, qui était porté manquant depuis fort longtemps, est redevenu le joueur agressif qui a déjà rendu de précieux services à l'équipe. La mise en échec percutante qu'il a servie à Derek Stepan a donné le ton à un match robuste au cours duquel on lui a cherché noise.

La plus grande source d'inspiration du Canadien parmi ses attaquants a été cette boule d'énergie qu'est Brendan Gallagher. Le plus petit joueur a été le plus dérangeant dans l'entourage du filet des Rangers, ce qui devrait faire rougir quelques gros coéquipiers, dont Thomas Vanek dont on n'a pas entendu le nom de la soirée.

Même s'il a constamment été en difficulté durant ce match, le Canadien peut préparer la prochaine partie en s'appuyant sur des facteurs encourageants. Dustin Tokarski, qui jouit d'une expérience de 12 parties dans la Ligue nationale, a réussi à gagner la confiance de ses coéquipiers. Jusqu'à ce qu'il offre cette performance spectaculaire, il y a sans doute des joueurs qui s'interrogeaient sur le choix de la direction pour prendre la relève de Price. Réaction humaine s'il en est une puisque Budaj, un travailleur acharné et un gars d'équipe, est un joueur estimé dans ce vestiaire. Autre signe positif pour le Canadien, les Rangers ne sont pas super à l'aise sur leur glace dans les séries comme en témoigne leur fiche plutôt chambranlante de 4-4.

Les fans du Canadien viennent de s'approprier un nouveau héros, un gardien sorti de nulle part acquis, le croiriez-vous, un 14 février. Peut-être était-il destiné à ce que Montréal tombe en amour avec lui.

Le grand perdant est Peter Budaj. La loi du sport est parfois bien cruelle.