J'ai vu jouer Dickie Moore à la télévision. J'ai mieux connu l'homme que j'ai croisé très souvent. Ce fut chaque fois un plaisir.

La majorité des internautes qui nous lisent ne l'ont pas vu jouer, mais ils savent qui il est parce qu'un vrai fan du Canadien n'ignore pas ceux qui ont contribué à écrire ses plus belles pages d'histoire.

Moore était l'ultime guerrier. Un gars courageux qui ne battait pas en retraite devant ses adversaires les plus redoutables. Les blessures les plus douloureuses ne le faisaient pas reculer davantage. Quand on parlait des bras meurtris qui portaient le flambeau bien haut, c'était des bras comme les siens. Des bras qui, dans son cas, étaient souvent en douleur.

Quand, en pleine course au championnat des marqueurs de la ligue, il s'était brisé le poignet gauche à trois mois de la fin du calendrier, le directeur général Frank Selke et l'entraîneur Toe Blake avaient durement encaissé le choc, convaincus qu'ils étaient que la saison de leur meilleur ailier gauche était terminée. Moore a suggéré qu'on lui emprisonne une partie du bras dans un plâtre en leur promettant de vérifier par lui-même ce qu'il pourrait en faire.

Il a finalement bouclé la saison quatre points devant Henri Richard pour mériter le premier de ses deux championnats des compteurs consécutifs. L'année suivante, il a effacé le record de la ligue détenu par Gordie Howe en remportant le trophée Art Ross grâce à une production de 96 points, cinq points devant Jean Béliveau. Deux titres prestigieux qui ont été acquis sur des mauvais genoux alors qu'il continuait de frapper sur tout ce qui bougeait sans se soucier un instant de la possibilité d'aggraver sa condition.

Celui qui pourrait le mieux raconter ce qu'était cette légende est le vénérable journaliste Red Fisher, un homme totalement chamboulé par la perte d'un ami de plus de 60 ans. Son meilleur ami, comme il l'a brillamment souligné en sortant de la retraite pour pondre un papier à la fois historique et attendrissant.

Le Dickie Moore que j'ai connu n'avait pas de patins aux pieds. C'était un homme charmant, toujours souriant et qui avait le sens de l'humour des Glorieux de son époque. Ces hommes-là, n'en doutez pas, s'amusaient beaucoup plus que ceux d'aujourd'hui. C'était un homme affable, gentil et d'une grande délicatesse. Il abordait toujours les francophones dans leur langue. Un monsieur, Dickie Moore.

Quand le Canadien célébrait un grand événement, quand ses plus anciens étaient conviés à une fête spéciale ou quand Moore assistait, le coeur gros, au départ de ceux qui s'étaient battus à ses côtés, Maurice Richard, Jean Béliveau, Gilles Tremblay et Elmer Lach notamment, j'ignore pourquoi mais c'est toujours lui que j'allais saluer respectueusement en premier. Probablement parce qu'il était le type d'athlètes qu'on aime, ceux qui ne prenaient jamais un soir de congé.

Une douleur terrible

Si on me demandait d'identifier le moment de la vie de Moore qui m'a le plus marqué, ce n'est pas à un but spectaculaire, à une passe magnifiquement exécutée ou à un championnat quelconque que je ferais allusion. Je reviendrais sur ce qui s'est passé justement dans un salon funéraire, à Ville Saint-Laurent, où son fils de 17 ans était exposé après avoir perdu la vie dans un accident sur l'autoroute des Laurentides. Un garçon que Dickie aimait follement et à qui il avait  donné le prénom de Richard, en l'honneur de Maurice.

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Moore était si catastrophé, si défait, si anéanti qu'il était dans un état second. On défilait devant lui pour lui serrer la main, mais il ne voyait personne. Bon sang que cette tragédie lui a fait mal. Jamais je n'oublierai sa physionomie ce jour-là.

Il y a neuf ans, c'est lui qui a failli laisser sa vie dans un accident quand un fardier lui est entré dedans. Il est sorti de là en morceaux. Onze vertèbres cassées, une jambe et un bras fracturés, un cou en piètre état et des blessures internes qui laissaient craindre le pire. On doutait que cet homme coriace de 73 ans puisse survivre à cela. Il est décédé d'un cancer à 84 ans

Les dernières années ont été difficiles. Il avait peine à marcher. Ceux qui le connaissent intimement affirment qu'il ne s'est jamais remis de ces deux tristes événements. Si on pouvait aujourd'hui lui demander lequel des deux accidents lui a fait le plus mal, il nous parlerait de celui de son grand gars dont la mort lui a infligé une blessure au coeur qui n'a jamais pu être réparée.

Les douleurs physiques qui ont marqué sa carrière sont bien répertoriées. Moore en a passé du temps à l'infirmerie. Trois séparations de l'épaule, des problèmes récurrents aux genoux, sa fracture au poignet et une fracture aux jointures sont toutes des blessures qui ont nécessité des opérations. Son talent et une forte dose de courage l'ont hissé au Panthéon du hockey. Son dossard a suivi le même chemin vers les hauteurs du Centre Bell.

Le message humiliant de Dick Irvin

Si Moore a connu ce genre de carrière, c'est en partie parce que l'entraîneur Dick Irvin lui a fait comprendre très tôt qu'on ne pouvait pas briller dans cette ligue sans avoir constamment le pied au plancher.

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À ses deux premières saisons, Moore a partagé son temps entre le Canadien et les ligues mineures. Il était dans la formation quand l'équipe a rappelé son plus bel espoir Jean Béliveau, de Québec, pour un essai de trois matchs, le maximum permis par les règlements de la ligue. Irvin a en profité pour passer un message humiliant à Moore. Durant cet essai, il lui a retiré son numéro 12 pour le remettre à cette recrue à l'essai. En trois parties, Béliveau a inscrit cinq buts, dont un tour du chapeau contre les Rangers.

Béliveau est retourné à Québec et Moore s'est chargé par la suite de rendre célèbre un numéro qui se balance aujourd'hui dans les hauteurs de l'édifice. Après sa sortie du Canadien, on a remis le numéro 12 à Yvan Cournoyer qui a connu une grande carrière lui aussi. Il y a 10 ans, avec un total combiné de 799 buts, ces deux grands Glorieux ont vu leurs chandails être immortalisés dans une touchante cérémonie au centre de la patinoire.

Moore a inscrit à jamais sa place dans l'histoire. En 1985, on a dévoilé l'équipe par excellence des 75 ans d'histoire du Canadien: Jacques Plante dans les buts, Doug Harvey et Larry Robinson à la ligne bleue, Jean Béliveau au centre, Maurice Richard à l'aile droite et qui d'autre que Moore à l'aile gauche.

Plus que le Panthéon et le retrait de son chandail, cette reconnaissance résume ce qu'il a représenté pour cette organisation glorieuse. Il a été son ailier gauche le plus marquant.

Ses proches, ses amis et ses anciens coéquipiers le pleurent en ce moment, mais Dickie a retrouvé son sourire légendaire là-haut auprès de son fils.