Chantal a mérité ses galons
Hockey mercredi, 18 avr. 2018. 09:14 jeudi, 12 déc. 2024. 04:45Je connais Chantal Machabée depuis le jour où elle est apparue dans le paysage télévisuel du Québec en procédant au tout premier bulletin de nouvelles sportives à RDS, en 1989. Jusque-là, j’avais vaguement entendu parler de cette fille mordue de sport qui avait fait ses premières armes à Radio-Canada, à Ottawa, mais qui s’était aussi beaucoup amusée dans un obscur boulot de statisticienne chez les Voisins de Laval.
Quand on lui avait proposé ce travail bénévole, on l’avait approchée avec du miel. « T’aurais du fun avec nous, on a Mario Lemieux, lui a-t-on raconté pour la convaincre. Si tu veux en calculer des stats, tu vas en calculer en masse avec lui. »
Bien sûr qu’elle a dit oui. En quête d’une précieuse expérience qui allait, espérait-elle, lui permettre un jour de caresser ses plus hautes ambitions, elle a passé toute son adolescence et la première portion de sa carrière à accepter des boulots bénévoles ou mal rémunérés. Elle représente un exemple à suivre pour de jeunes aspirants journalistes, filles ou garçons, qui rêvent de gagner leur vie dans les médias. C’est beau d’avoir de l’ambition, mais on y arrive rarement en brûlant les étapes. Chantal, elle, les a franchies une à une, sans jamais laisser les embûches la ralentir.
Je croyais bien la connaître jusqu’à ce que je lise avec intérêt son parcours par le biais d’un ouvrage écrit en collaboration avec Guillaume Lefrançois, un journaliste sportif de talent attaché à La Presse+ et qui sera lancé aujourd’hui au Centre Bell. J’ai mieux compris pourquoi elle a si bien réussi dans un métier qui n’ouvrait pas facilement la porte aux femmes. Elle en a d’ailleurs forcé quelques-unes. À certaines occasions, elle a dû y mettre un pied pour éviter qu’on la ferme avant même qu’elle ait pu dire ce qu’elle avait à proposer.
Près de 30 ans après être apparue pour la première fois à l’écran de RDS, elle est devenue un personnage phare de la télévision sportive québécoise. On la retrouve aujourd’hui où elle a toujours rêvé d’atterrir. Elle est arrivée à la couverture du Canadien en franchissant toutes les étapes malgré les quolibets, les insultes et les menaces qui empoisonnent les médias sociaux. Contrairement à ses collègues masculins, qui sont surtout critiqués pour l’ensemble de leurs opinions, on ne se contentait pas d’analyser ce qu’elle accomplissait au quotidien. Les internautes dépourvus d’opinions préféraient la traiter de salope, de grosse, de laide, de ridée, etc. Elle a même reçu des menaces de mort. Et, évidemment, on lui a conseillé fréquemment de prendre sa retraite. Si le ridicule tuait, on n’en finirait plus d’enterrer ce genre de monde.
Elle est coriace, Chantal. Sous des dehors chaleureux, c’est une dure. On a compris très tôt dans sa carrière qu’on ne l’aurait pas à l’usure. Si elle avait été une femme fragile, il y a longtemps qu’on l’aurait ramassée par terre.
Le titre de ce livre, Chantal Machabée, en désavantage numérique, a été judicieusement choisi. Les femmes sont encore et toujours en désavantage numérique dans le décor médiatique sportif.
Elle avait 24 ans quand on l’a choisie pour être le tout premier porte-étendard du Réseau des sports. Cette marque de confiance manifestée à l’endroit d’une verte recrue de la télé a été assortie d’une énorme pression. On aurait mieux compris si un homme avait démontré des signes de nervosité en étant affecté à cette grande première. Personne n’aurait trouvé quoi que ce soit à redire s’il avait été plus ou moins beau. Dans le cas de Chantal, on s’est attardé plus à sa coiffure, à son maquillage et à sa tenue vestimentaire qu’à son message.
Si elle a réussi à faire son chemin dans cet univers masculin, c’est d’abord parce qu’elle a été one of the boys dès ses débuts. Elle l’est toujours. Elle ne se formalise pas des histoires grivoises que les confrères se racontent sans se soucier de sa présence. On l’a soupçonne d’ailleurs d’être parfaitement capable d’une bonne réplique de temps à autre. Son inséparable partenaire et ami Luc Gélinas se permet amicalement une indiscrétion pour les besoins de ce livre. Y paraît que Chantal est capable de sacrer comme un bûcheron quand elle s’enflamme dans des discussions... entre gars.
Le passage le plus attendrissant de cette biographie concerne sa relation avec Jacques Demers. Il existe un profond respect mutuel entre ces deux-là. La confrérie s’est toujours un peu amusée d’entendre l’ex-entraîneur l’appeler « ma belle Chantal » en ondes. Ce n’était jamais Chantal. C’était toujours « ma belle Chantal ». C’était dit en toute amitié, on le sentait.
Demers exerçait une présence rassurante à ses côtés. Quand un type d’émission la rendait nerveuse, il lui rappelait constamment que les choses allaient bien aller. Elle savait qu’avec lui, ça ne pourrait jamais mal se passer. Il lui a été d’un indéfectible soutien quand elle a traversé une période difficile dans sa vie personnelle qui l’a menée à une dépression majeure. Elle l’admet ouvertement, sa situation aurait été plus difficile s’il n’avait pas été aussi souvent près d’elle.
Plus tard, c’est elle qui est venue à son secours quand, à l’occasion du tournage d’une vidéo corporative destinée aux employés de Molson, Jacques a gelé littéralement devant le message qu’il devait lire sur un télésouffleur. À l’époque, tout le monde ignorait qu’il était incapable de lire. Paniqué, totalement désemparé, son terrible secret était sur le point de frapper un mur. Chantal l’a pris à part et lui a fait apprendre par coeur le message qu’il devait livrer, le tirant du même coup d’une situation embarrassante. C’est de loin le chapitre le plus significatif de cette biographie.
La fille super gentille qui apparaît à l’écran, enjouée, amicale et rieuse, n’est pas différente de celle que vous croisez dans la rue ou au Centre Bell. Elle s’entend bien avec tout le monde, ce qui explique en bonne partie sa popularité dans le milieu.
En racontant diverses anecdotes dans cet ouvrage, elle est totalement incapable d’une méchanceté. Quand elle révèle des expériences désagréables vécues avec des personnages connus, elle se refuse à dévoiler leur identité, soit pour s’empêcher de créer des malaises, soit pour éviter de placer inutilement des gens dans l’embarras.
C’est du bon monde, Chantal Machabée. Les 270 pages de ce livre en témoignent.