TORONTO - Lorsque Hayley Wickenheiser a téléphoné au domicile de ses parents, à Calgary, pour leur annoncer qu’elle venait d’obtenir sa place au Temple de la renommée, la grande dame du hockey attendait une réaction, disons... un peu plus enflammée.

 

« Nous sommes déjà au courant. Ça fait trois heures que la nouvelle est diffusée en boucle par tous les médias », a répliqué son père Tom.

 

L’effet-surprise était peut-être passé, voire raté. Mais la fierté de Tom et Marylin grimpait toujours en flèche. Une fierté qui était encore évidente samedi lorsque les parents de la septième femme à faire son entrée au Temple de la renommée étaient assis dans les premières rangées du Grand Hall avec les autres amateurs venus croiser et poser des questions aux nouveaux intronisés.

 

Unanimement qualifiée de meilleure joueuse de l’histoire du hockey, ce n’était qu’une question de temps avant que Wickenheiser ne vienne rejoindre Wayne Gretzky, Mario Lemieux, Gordie Howe ou Bobby Orr qui sont ses égaux du côté masculin. Elle fait d’ailleurs son entrée dès sa première année d’admissibilité après l’attente minimale de trois ans imposée après que les candidats eurent disputé leurs dernières saisons en carrière. Une période que les dirigeants du Temple auraient pu écarter comme ils l’ont fait lors de la retraite de Wayne Gretzky tant Wickenheiser a dominé son sport.

 

Mais bon!

 

Parce qu’elle vit au même rythme endiablé qu’elle jouait au hockey, Hayley Wickenheiser a troqué son équipement pour un sarrau dès le moment où elle a accroché ses patins. Elle a aussitôt pris la direction de la faculté de médecine de l’Université de Calgary pour y entreprendre les études qui lui permettront de devenir urgentologue.

 

C’est d’ailleurs parce qu’elle était en pleine simulation de réanimation de patients en arrêt cardio-respiratoire en juin dernier que Wickenheiser a appris trois heures après ses parents et le reste de la planète hockey son invitation à franchir les portes du Temple de la renommée.

 

Meilleure façon de boucler la boucle

 

Wickenheiser accueille bien sûr cette invitation avec de grandes doses d’honneur et de fierté. Mais elle l’accueille aussi comme le meilleur moyen de faire le deuil sur sa carrière sensationnelle.

 

« Lorsque j’ai décidé d’accrocher les patins, je me suis consacrée totalement à ma formation médicale. Je ne me suis jamais vraiment offert une période de transition qui m’aurait permis de faire le point sur ce que j’avais accompli avant de tourner la page pour mieux amorcer ma nouvelle vie. Mon intronisation et toutes les festivités au programme en fin de semaine me permettent de tirer un trait sur ma carrière. Je trouve que ça donne une saveur supplémentaire à tout ce qui m’arrive », expliquait vendredi la plus grande joueuse de hockey de l’histoire.

 

Née en Saskatchewan en 1978, Hayley Wickenheiser développe rapidement une passion pour le hockey. Une passion qui la propulse sur les mêmes patinoires que les garçons avec qui elle doit en découdre pour avoir la chance de jouer du hockey organisé.

 

À 15 ans, la cousine de Doug Wickenheiser, premier choix du Canadien et toute première sélection de la cuvée 1980, rejoint des femmes qui deviendront vite ses idoles au sein de l’équipe canadienne. Une équipe dont elle endossera l’uniforme pendant 21 ans. Période au cours de laquelle elle marquera 168 buts, obtiendra 211 passes et récoltera 379 points. Des résultats qui représentent bien sûr des records.

 

Hommages à France St-Louis et Danielle Goyette

 

« J’étais une adolescente au milieu d’un groupe de femmes qui jouait pour l’amour du hockey. Elles ne recevaient pas un sou pour jouer. En fait, elles payaient pratiquement de leur poche pour jouer. Ma première grande source d’inspiration a été France St-Louis qui a fait fi des menaces de perdre son emploi d’enseignante pour jouer avec l’équipe canadienne. Elle avait le choix : son travail ou le hockey. Elle a choisi le hockey. Ça m’a toujours impressionné. Inspiré. J’ai aussi eu la chance d’évoluer au sein du même trio que Danielle Goyette qui est la meilleure joueuse de hockey avec qui j’ai évolué ou que j’ai affrontée », a témoigné Hayley Wickenheiser lors de la rencontre avec les partisans, samedi, dans le Grand Hall du Temple de la renommée.

 

Wickenheiser a reçu la plus belle ovation lors de la présentation des nouveaux intronisés. C’est aussi elle qui a eu droit aux plus beaux témoignages.

 

« Je suis un fan de hockey depuis toujours et je dois te dire que tu n’es pas seulement ma joueuse préférée, mais mon joueur préféré tout court. Tu m’as fait découvrir le hockey féminin qui, à bien des égards, est beaucoup plus beau que celui qu’on nous offre dans la LNH. Ma femme et moi avons eu quatre filles et nous avons nommé notre troisième Hayley en ton honneur », lui a confié l’un de ses admirateurs.

 

Cet admirateur lui a ensuite demandé si elle croyait que des femmes pourraient un jour se tailler une place dans la Ligue américaine, voire la LNH.

 

« J’ai atteint les rangs professionnels en Suède et en Finlande dans des ligues dont le niveau de jeu est au niveau de la Ligue américaine. Sur le plan du talent, de la vision, de la qualité des passes, des tirs et même du patin, je crois qu’il serait possible pour plus de femmes de rivaliser avec des hommes aujourd’hui. Et ce le sera davantage dans le futur. Mais il faut aussi se rendre à l’évidence : regardez la stature des gars qui m’entourent. Regardez la grosseur de leurs mains, de leurs épaules. La force physique joue un rôle important au hockey ce qui rend les comparaisons injustes entre les hommes et les femmes. L’avenir du hockey féminin ne passe pas par des faces à faces avec les hommes », a ensuite plaidé Wickenheiser.

 

Vers une LNH féminine

 

Parlant de cet avenir, il passe par où alors que les meilleures joueuses ont simplement décidé de boycotter la plus importante ligue féminine en attente de conditions salariales plus satisfaisantes.

 

« J’appuie les joueuses dans leur quête de meilleures conditions. Elles sont les meilleures au monde et elles veulent vivre d’une façon décente de leur sport. Je crois que les succès du hockey féminin passent par un regroupement sous la gouverne de la LNH au sein d’une ligue qui regrouperait les meilleures joueuses au monde. Comme la LNH. Je sais que le commissaire Gary Bettman suit le dossier de près. Je sais qu’il est sensible à l’avenir du hockey féminin. C’est un homme intelligent, qui veut réussir. Je suis donc convaincu qu’il prendra le temps nécessaire pour bien analyser la question et trouver les options qui seront les mieux en mesure d’offrir au hockey féminin la plate-forme nécessaire pour que ça fonctionne. »

 

Le palmarès d’Hayley Wickenheiser dépasse l’entendement. Il dépasse aussi les cadres du hockey alors qu’elle a reçu le titre d’officier de l’Ordre du Canada (2011) en plus d’être élue au sein de la commission des athlètes olympiques en 2014 et de faire partie de la haute direction du comité mis sur pieds à Calgary afin d’obtenir les Jeux paralympiques de 2026.

 

Sur la glace, Wickenheiser revendique sept médailles d’or et six d’argent au Championnat du monde.

 

Elle revendique aussi quatre médailles d’or olympiques (2002, 2006, 2010, 2014) et une médaille d’argent obtenue aux Jeux de 1998. Elle a prononcé le serment des athlètes aux Jeux de Vancouver en 2010 en plus d’être porte-drapeau lors des cérémonies d’ouverture des Jeux de Sotchi en 2014. Des Jeux qu’elle a disputés en dépit d’une fracture au pied gauche.

 

À cette époque, les Canadiennes et les Américaines étaient seules sur les patinoires internationales. La rivalité qui les opposait et leur grand talent étaient sensationnels. Mais le manque de compétition nuisait au rayonnement de leur sport.

 

Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui alors que la Finlande a repoussé le Canada au troisième rang lors du dernier Championnat du monde de hockey féminin.

 

Une source de satisfaction pour Wickenheiser?

 

« Je ne me réjouirai jamais du fait que le Canada soit au troisième rang. Mais oui c’est une grande victoire pour le hockey féminin de voir que d’autres nations se sont hissées au rang du Canada et des USA. Notre programme a besoin d’être fouetté un peu. Tout comme le programme de la Suède qui stagne après des années intéressantes. Mais pour moi, le fait de voir de plus en plus de jeunes filles jouer au hockey ailleurs qu’au Canada et aux États-Unis est une très bonne nouvelle. C’est surtout nécessaire pour la survie de mon sport. Quand je jouais dans les rangs professionnels en Finlande, la fille d’un de mes entraîneurs commençait à patiner. Elle n’avait que cinq ans. Aujourd’hui, Matilda Nillson défend les couleurs de la Finlande avec son équipe nationale. Des Matilda Nilsson il y en a de plus de plus dans le hockey féminin. Et ça, c’est certainement un très bel héritage pour moi et toutes les autres femmes qui avons contribué à mettre ce sport à l’avant-plan. Mais il reste encore beaucoup de travail à faire.»

 

Du travail qu’Hayley Wickenheiser pourrait accepter d’abattre tout en travaillant comme urgentologue et comme membre de l’état-major des Maple Leafs de Toronto au sein de l’équipe de responsables du développement des joueurs.

 

« Mon horaire est déjà pas mal chargé, mais il ne faut jamais dire jamais. »