La traversée de l'enfer
Hockey mardi, 5 juin 2012. 19:24 jeudi, 12 déc. 2024. 11:45
Michel Therrien vient de traverser l'enfer. Quelques entrevues en profondeur avec Marc Bergevin, des messages textes et des conversations téléphoniques échangés durant de longues semaines remplies d'incertitude l'ont certainement mieux préparé à ce qui l'attend à son retour avec le Canadien.
La pression qu'il a ressentie durant le lent processus de Bergevin a dû être étouffante par moment. C'était quasi sans lendemain pour lui. Therrien ne jouait pas uniquement son retour dans la Ligue nationale. Il jouait probablement sa carrière. S'il avait passé à côté de cette chance unique de retourner avec le Canadien, quelle organisation de la ligue aurait pu lui accorder une autre occasion d'exercer son métier à ce niveau? Il y a eu de nombreux changements d'entraîneurs depuis son congédiement à Pittsburgh, il y a trois ans, et personne n'a pensé à lui.
Sans compter que son ego aurait encaissé tout un choc s'il avait fallu que Bob Hartley soit le seul membre de cet inséparable duo à reprendre du galon. Therrien aurait eu beaucoup de mal à se remettre de cela, on n'en doute pas.
Dans un sens, je pense qu'on peut dire que le nouveau directeur général l'a échappé belle, lui aussi. S'il avait fallu qu'il opte pour Marc Crawford après que ses deux premières embauches aient été anglophones, en la personne de Rick Dudley et de Scott Mellanby, c'en aurait été trop aux yeux des amateurs à qui il avait déjà promis de franciser l'organisation. Le capital de sympathie et de popularité acquis à l'occasion de sa nomination aurait été écorché.
La dernière fois que Therrien avait participé à une conférence de presse concernant le Canadien, c'était dans un bar de Laval, devant un contingent de journalistes aussi massif que celui d'aujourd'hui. Il était là pour livrer ses états d'âme après avoir été remercié par le Canadien, une décision que la majorité des médias de l'époque avait condamnée parce qu'on ne le croyait pas totalement responsable de la période difficile que traversait l'équipe.
On n'a pas de mal à imaginer ce qu'il a pu ressentir quand Bergevin lui a confirmé qu'il était son homme. Sa maman de 80 ans, qui a été la première à apprendre la nouvelle, a versé quelques larmes de joie, contente que son grand retrouve le Canadien, mais surtout heureuse que sa passion pour le hockey ne le mène pas ailleurs, elle qui vit sous son toit. N'eut été de son âge, ils auraient probablement échangé des high five.
Être candidat pour un poste d'entraîneur est beaucoup plus stressant à Montréal qu'ailleurs. Marc Crawford, qui a, semble-t-il, perdu cette course à la toute dernière minute, pourrait nous en parler. À Montréal, on vous court après dans ces moments-là. On veut savoir comment on vit la situation. On se fait tordre un bras pour obtenir la moindre information. Le téléphone sonne constamment et on ne peut rien dire.
Des hommes comme Hartley et Therrien, qui sont allés à la même école et qui ont appris à mieux comprendre les médias après avoir passé les deux ou trois dernières années dans leur univers, ne veulent pas envoyer des «collègues» dans le champ gauche, mais ils doivent protéger leurs chances d'obtenir un job en respectant une condition d'extrême confidentialité. Alors, ils se terrent. Ils disparaissent de l'écran radar en attendant que leur sort soit connu.
Hartley sait par où Therrien est passé parce qu'il vient de vivre la même situation. «Tu rampes comme un serpent parce que tu ne veux pas dire des choses qui vont te nuire, dit-il. Je dormais d'une oreille ouverte parce que je ne voulais pas manquer l'appel. Quand l'afficheur indiquait le code 403 (celui de Calgary), je sautais sur l'appareil avant la fin de la première sonnerie.»
Le processus était si secret que Therrien est allé dormir lundi soir sans pouvoir le dire à ses enfants. Malheureusement, la nouvelle est sortie sans qu'il puisse leur communiquer lui-même ce scoop d'intérêt familial.
«Ma fille Élizabeth, âgée de 19 ans, m'a téléphoné à 7h30 ce matin. «Par hasard, aurais-tu oublié de me dire quelque chose?», m'a-t-elle demandé.
Les choses vont changer
Therrien retrouve les chaussettes qu'il avait laissées au Centre Bell à l'occasion de son brusque départ en 2003. Il espère s'y trouver aussi à l'aise qu'à la première occasion. Le hockey a beaucoup changé depuis. Les joueurs ne réagissent plus de la même façon. Les entraîneurs se voient forcés de s'adapter aux changements. Néanmoins, il pourrait y avoir des grincements de dents au début de la saison.
Il a une réputation à travers la ligue. On le sait émotif. Il est capable d'appeler un chat un chat devant les caméras. Qui a oublié sa sortie contre son personnel de défenseurs à son arrivée à Pittsburgh quand il a déclaré qu'il était convaincu qu'ils faisaient de gros efforts pour être les plus mauvais de la ligue. Ce jour-là, il y a sans doute des joueurs qui ont espéré ne jamais être dirigés par lui.
Si ceux du Canadien s'exprimaient librement en ce moment, on apprendrait sans doute que sa venue ne fait pas l'unanimité. Ce sera à lui de changer leur perception à son égard. Therrien a vieilli. Il est probablement un coach différent. Mais il est aussi un homme émotif, dur, mais juste. Il a insisté sur trois facteurs: discipline, éthique de travail et conditionnement physique. Il a surtout mis de l'emphase sur les deux premiers. Il vise en plein dans le mille. Ce vestiaire a besoin d'être épuré. Des joueurs devront rentrer dans le rang. Il n'est pas un entraîneur de passe-droits.
«Je sais ce que je veux des joueurs, a-t-il dit. Il y a des choses qui ne seront pas acceptées. Dorénavant, je veux que ce soit difficile de jouer contre nous au Centre Bell.»
Un seul ancien joueur de Therrien était sur place: le coloré Gino Odjick avec qui il est allé à la guerre dans les rangs juniors et avec le Canadien. Ils se sont enlacés après la conférence de presse. «J'ai justement besoin d'un tough», lui a dit Therrien en le serrant par le cou.
Quel est le point fort de l'entraîneur qu'il a toujours admiré aimé? Odjick avait une réponse toute prête.
«Il ne voit pas un joueur pour ce qu'il est, mais pour ce qu'il va devenir», a lancé le sympathique ex-bagarreur. Quand il se couche le soir, Michel pense ce qu'il doit faire pour améliorer l'équipe. Au lever, il le fait.»
En faisant allusion à la prochaine relation Therrien-Bergevin, Odjick a philosophé sur la question. «Quand on te paye pour t'aimer et te respecter, ça constitue déjà une bonne équipe. Ces deux-là ont été embauchés pour améliorer le monde. Quant à Michel, il va changer des choses. Il est bien possible que son style ne plaise pas à tout le monde, mais le joueur qui n'accepte pas la discipline est celui qui ne veut pas se donner pour être le meilleur», a-t-il tranché.
Avec un peu de retard
Michel Therrien arrive peut-être avec le Canadien avec 171 jours de retard. Si Pierre Gauthier n'avait pas cru qu'il s'agissait d'une très bonne idée de faire appel à Randy Cunneyworth quand il a limogé Jacques Martin, Therrien aurait été le candidat logique pour le remplacer.
Gauthier avait sous les yeux un entraîneur qui avait dirigé près de 500 matches avec deux formations différentes. À Pittsburgh, il était venu à une victoire près de mériter la coupe Stanley. Il avait été finaliste au titre d'entraîneur de l'année. Un gars qui ne fait pas dans la dentelle et qui, en décembre dernier, m'avait avoué qu'il était prêt à changer les choses si le Canadien lui accordait un vote de confiance.
Quand Martin a été limogé, Bob Hartley était en Suisse. Patrick Roy n'aurait jamais quitté ses Remparts dans le cours d'une saison. Ça éliminait déjà deux forts candidats. Therrien a espéré un appel qui n'est pas venu quand une bonne partie du Québec est tombé à bras raccourcis sur le Canadien pour le choix d'un entraîneur unilingue anglophone.
Cunneyworth a accompli si peu de choses durant son stage derrière le banc qu'il est permis de se demander si la nomination d'un coach disciplinaire à la mi-décembre aurait pu permettre au Canadien de participer aux séries. On ne saura jamais ce qui aurait pu se passer.
Le beau côté des choses, c'est que le Canadien a plongé si bas après le départ de Martin que le duo Bergevin-Therrien ne peut maintenant que le mener vers le haut.
La pression qu'il a ressentie durant le lent processus de Bergevin a dû être étouffante par moment. C'était quasi sans lendemain pour lui. Therrien ne jouait pas uniquement son retour dans la Ligue nationale. Il jouait probablement sa carrière. S'il avait passé à côté de cette chance unique de retourner avec le Canadien, quelle organisation de la ligue aurait pu lui accorder une autre occasion d'exercer son métier à ce niveau? Il y a eu de nombreux changements d'entraîneurs depuis son congédiement à Pittsburgh, il y a trois ans, et personne n'a pensé à lui.
Sans compter que son ego aurait encaissé tout un choc s'il avait fallu que Bob Hartley soit le seul membre de cet inséparable duo à reprendre du galon. Therrien aurait eu beaucoup de mal à se remettre de cela, on n'en doute pas.
Dans un sens, je pense qu'on peut dire que le nouveau directeur général l'a échappé belle, lui aussi. S'il avait fallu qu'il opte pour Marc Crawford après que ses deux premières embauches aient été anglophones, en la personne de Rick Dudley et de Scott Mellanby, c'en aurait été trop aux yeux des amateurs à qui il avait déjà promis de franciser l'organisation. Le capital de sympathie et de popularité acquis à l'occasion de sa nomination aurait été écorché.
La dernière fois que Therrien avait participé à une conférence de presse concernant le Canadien, c'était dans un bar de Laval, devant un contingent de journalistes aussi massif que celui d'aujourd'hui. Il était là pour livrer ses états d'âme après avoir été remercié par le Canadien, une décision que la majorité des médias de l'époque avait condamnée parce qu'on ne le croyait pas totalement responsable de la période difficile que traversait l'équipe.
On n'a pas de mal à imaginer ce qu'il a pu ressentir quand Bergevin lui a confirmé qu'il était son homme. Sa maman de 80 ans, qui a été la première à apprendre la nouvelle, a versé quelques larmes de joie, contente que son grand retrouve le Canadien, mais surtout heureuse que sa passion pour le hockey ne le mène pas ailleurs, elle qui vit sous son toit. N'eut été de son âge, ils auraient probablement échangé des high five.
Être candidat pour un poste d'entraîneur est beaucoup plus stressant à Montréal qu'ailleurs. Marc Crawford, qui a, semble-t-il, perdu cette course à la toute dernière minute, pourrait nous en parler. À Montréal, on vous court après dans ces moments-là. On veut savoir comment on vit la situation. On se fait tordre un bras pour obtenir la moindre information. Le téléphone sonne constamment et on ne peut rien dire.
Des hommes comme Hartley et Therrien, qui sont allés à la même école et qui ont appris à mieux comprendre les médias après avoir passé les deux ou trois dernières années dans leur univers, ne veulent pas envoyer des «collègues» dans le champ gauche, mais ils doivent protéger leurs chances d'obtenir un job en respectant une condition d'extrême confidentialité. Alors, ils se terrent. Ils disparaissent de l'écran radar en attendant que leur sort soit connu.
Hartley sait par où Therrien est passé parce qu'il vient de vivre la même situation. «Tu rampes comme un serpent parce que tu ne veux pas dire des choses qui vont te nuire, dit-il. Je dormais d'une oreille ouverte parce que je ne voulais pas manquer l'appel. Quand l'afficheur indiquait le code 403 (celui de Calgary), je sautais sur l'appareil avant la fin de la première sonnerie.»
Le processus était si secret que Therrien est allé dormir lundi soir sans pouvoir le dire à ses enfants. Malheureusement, la nouvelle est sortie sans qu'il puisse leur communiquer lui-même ce scoop d'intérêt familial.
«Ma fille Élizabeth, âgée de 19 ans, m'a téléphoné à 7h30 ce matin. «Par hasard, aurais-tu oublié de me dire quelque chose?», m'a-t-elle demandé.
Les choses vont changer
Therrien retrouve les chaussettes qu'il avait laissées au Centre Bell à l'occasion de son brusque départ en 2003. Il espère s'y trouver aussi à l'aise qu'à la première occasion. Le hockey a beaucoup changé depuis. Les joueurs ne réagissent plus de la même façon. Les entraîneurs se voient forcés de s'adapter aux changements. Néanmoins, il pourrait y avoir des grincements de dents au début de la saison.
Il a une réputation à travers la ligue. On le sait émotif. Il est capable d'appeler un chat un chat devant les caméras. Qui a oublié sa sortie contre son personnel de défenseurs à son arrivée à Pittsburgh quand il a déclaré qu'il était convaincu qu'ils faisaient de gros efforts pour être les plus mauvais de la ligue. Ce jour-là, il y a sans doute des joueurs qui ont espéré ne jamais être dirigés par lui.
Si ceux du Canadien s'exprimaient librement en ce moment, on apprendrait sans doute que sa venue ne fait pas l'unanimité. Ce sera à lui de changer leur perception à son égard. Therrien a vieilli. Il est probablement un coach différent. Mais il est aussi un homme émotif, dur, mais juste. Il a insisté sur trois facteurs: discipline, éthique de travail et conditionnement physique. Il a surtout mis de l'emphase sur les deux premiers. Il vise en plein dans le mille. Ce vestiaire a besoin d'être épuré. Des joueurs devront rentrer dans le rang. Il n'est pas un entraîneur de passe-droits.
«Je sais ce que je veux des joueurs, a-t-il dit. Il y a des choses qui ne seront pas acceptées. Dorénavant, je veux que ce soit difficile de jouer contre nous au Centre Bell.»
Un seul ancien joueur de Therrien était sur place: le coloré Gino Odjick avec qui il est allé à la guerre dans les rangs juniors et avec le Canadien. Ils se sont enlacés après la conférence de presse. «J'ai justement besoin d'un tough», lui a dit Therrien en le serrant par le cou.
Quel est le point fort de l'entraîneur qu'il a toujours admiré aimé? Odjick avait une réponse toute prête.
«Il ne voit pas un joueur pour ce qu'il est, mais pour ce qu'il va devenir», a lancé le sympathique ex-bagarreur. Quand il se couche le soir, Michel pense ce qu'il doit faire pour améliorer l'équipe. Au lever, il le fait.»
En faisant allusion à la prochaine relation Therrien-Bergevin, Odjick a philosophé sur la question. «Quand on te paye pour t'aimer et te respecter, ça constitue déjà une bonne équipe. Ces deux-là ont été embauchés pour améliorer le monde. Quant à Michel, il va changer des choses. Il est bien possible que son style ne plaise pas à tout le monde, mais le joueur qui n'accepte pas la discipline est celui qui ne veut pas se donner pour être le meilleur», a-t-il tranché.
Avec un peu de retard
Michel Therrien arrive peut-être avec le Canadien avec 171 jours de retard. Si Pierre Gauthier n'avait pas cru qu'il s'agissait d'une très bonne idée de faire appel à Randy Cunneyworth quand il a limogé Jacques Martin, Therrien aurait été le candidat logique pour le remplacer.
Gauthier avait sous les yeux un entraîneur qui avait dirigé près de 500 matches avec deux formations différentes. À Pittsburgh, il était venu à une victoire près de mériter la coupe Stanley. Il avait été finaliste au titre d'entraîneur de l'année. Un gars qui ne fait pas dans la dentelle et qui, en décembre dernier, m'avait avoué qu'il était prêt à changer les choses si le Canadien lui accordait un vote de confiance.
Quand Martin a été limogé, Bob Hartley était en Suisse. Patrick Roy n'aurait jamais quitté ses Remparts dans le cours d'une saison. Ça éliminait déjà deux forts candidats. Therrien a espéré un appel qui n'est pas venu quand une bonne partie du Québec est tombé à bras raccourcis sur le Canadien pour le choix d'un entraîneur unilingue anglophone.
Cunneyworth a accompli si peu de choses durant son stage derrière le banc qu'il est permis de se demander si la nomination d'un coach disciplinaire à la mi-décembre aurait pu permettre au Canadien de participer aux séries. On ne saura jamais ce qui aurait pu se passer.
Le beau côté des choses, c'est que le Canadien a plongé si bas après le départ de Martin que le duo Bergevin-Therrien ne peut maintenant que le mener vers le haut.