La Ligue de hockey junior majeur du Québec fait connaître aujourd’hui sa cuvée des intronisés pour l’année 2017, tous des candidats qui n’ont pas volé cet honneur : Francis Bouillon, Jean-Sébastien Giguère, Brad Richards, Gaston Therrien et l’arbitre Luc Lachapelle qui sera honoré à titre posthume.

Un nom ressort du groupe, celui de Bouillon, pour une raison bien particulière. Aucun joueur ne personnifie mieux les raisons d’être de ce panthéon : accomplissement, dépassement et détermination à toute épreuve. Tous les nouveaux lauréats ont eu un impact à leur façon au niveau junior. Les trois premiers ont également connu une belle carrière professionnelle. Pourquoi Bouillon est-il un choix différent de tous les autres? Parce qu’il n’était même pas destiné à évoluer dans les rangs juniors et parce que la Ligue nationale n’était rien d’autre qu’un rêve impossible pour lui. Or, il y a joué durant 14 ans. QUATORZE saisons. Son parcours est digne d’un film.

On se souvient de son histoire. Toutefois, pour mieux saisir tout ce que cette intronisation signifie dans son cas, il est nécessaire d’en raconter quelques bribes. Après tout, le début de cette merveilleuse aventure est survenue il y a 24 ans déjà.

Il avait 17 ans quand il a reçu un appel étonnant de l’entraîneur du Titan de Laval, Bob Hartley. Après avoir été boudé par toutes les formations, à l’occasion du repêchage de la Ligue junior majeur du Québec, la mort dans l’âme, il s’est résigné à jouer dans le junior AAA. Hartley, qui préparait son camp d’entraînement, avait besoin d’un défenseur pour une quinzaine de jours. En fait, ce qu’il recherchait, c’était un patineur pour remplir un chandail. Il ne lui a fait aucune promesse, lui faisant simplement miroiter que cet essai, qu’il n’attendait pas, était une chance pour lui d’acquérir une expérience qui allait peut-être lui être profitable.

Bouillon était petit. Trop petit pour tout le monde. Il mesurait cinq pieds et huit pouces, mais rien ne lui faisait peur. Il avait du chien. Il ignorait à ce moment-là que la rage qu’il ressentait à l’idée de passer à côté d’une carrière dans le hockey allait se transformer en une profonde source de motivation.

Hartley lui a fait cadeau d’un match préparatoire. Il a bien joué; il a frappé. Les gants sont tombés. Il les a tous étonnés.

Le lendemain, on lui a souligné que Hartley voulait le voir. Convaincu que son essai avec le Titan était terminé, il a ramassé ses affaires et les a enfouies dans un sac d’équipement. Hartley lui a plutôt appris qu’il avait mérité un poste. Il a quitté son bureau les larmes aux yeux. Il est retourné dans la chambre, a déballé son sac et n’a plus jamais regardé derrière.

Bien sûr, les choses n’ont pas été faciles pour lui. Il a écoulé quatre saisons dans les rangs juniors. À sa quatrième année, il a été le capitaine des Prédateurs de Granby qui ont remporté la coupe Memorial sous les ordres de son entraîneur des défenseurs à Laval, Michel Therrien. Sa performance lui a valu une invitation au camp des Oilers d’Edmonton qui lui ont accordé un contrat des ligues mineures. Quand il a été cédé à l’équipe de Wheeling, dans la East Coast League. Il a cru sa carrière sérieusement compromise.

« Tu ne peux pas aboutir plus bas dans le hockey, a-t-il raconté à l’époque. Si tu ne peux pas te démarquer dans cette ligue, tu n’as vraiment pas d’avenir. »

Il n’a plus jamais entendu parler des Oilers. Il s’est néanmoins accroché. Il a porté les couleurs de sept formations dans quatre ligues différentes. Comme sa petite taille était une embûche majeure, il a passé beaucoup de temps à se forger une carrure dans les gymnases. Il en a levé des poids. Il a souvent poussé son corps à la limite. Il a ainsi développé une force physique qui l’a aidé à sauver sa peau dans le hockey.

Il lui a fallu se battre dans tous les sens du terme. Il a passé du temps sur le banc et sur la passerelle. Il a subi des rétrogradations. On l’a trimbalé entre la Ligue nationale et les circuits mineurs. Il a persisté comme si sa propre vie en dépendait. Toute sa carrière durant, il n’a fait que cela, saisir des chances.

Qui a oublié son combat de boxe contre Colton Orr, des Rangers? Orr cherchait à moucher quelqu’un sur la glace du Centre Bell et personne ne semblait intéressé à laisser tomber les gants contre cette armoire à glace de six pieds, trois pouces et de 235 livres. Bouillon s’en est chargé en échangeant coup pour coup avec lui. Il en a été quitte pour un pouce foulé et une ovation de la part d’un public impressionné par son geste courageux.

Chaque fois qu’il se présentait au camp d’entraînement, on se demandait s’il avait encore sa place dans l’équipe malgré l’arrivée constante de nouveaux défenseurs. À 33 ans, il s’est fait demander si c’était sa dernière saison. À 39 ans, il était toujours là.

Personne ne mérite plus que lui cette intronisation car parmi les critères d’admissibilité que retient le comité de sélection, il y a évidemment la feuille de route junior d’un candidat , mais on tient compte aussi du reflet positif que sa carrière professionnelle a eu sur l’image de la Ligue junior majeur du Québec.

Il y a 20 ans, il était le plus improbable des intronisés à un panthéon, peu importe la ligue. Si Bob Hartley ne l’avait pas choisi pour remplir un chandail, sa carrière aurait probablement pris fin dans le junior AAA. Par son acharnement, il a réussi là où des centaines d’autres ont échoué. À ses dernières saisons avec le Canadien, son salaire a franchi le cap du million de dollars. Pas mal pour un athlète qui a passé une carrière entière à déjouer les prévisions.

*Francis Bouillon est en déplacement. Il a été impossible d’obtenir ses commentaires sur son intronisation.