Nathan Légaré : loin de l’ombre d'Alexis Lafrenière
LHJMQ samedi, 12 janv. 2019. 09:01 jeudi, 12 déc. 2024. 13:03MONTRÉAL – Nathan Légaré et Alexis Lafrenière sont de grands inséparables. Ils ont grandi dans le même quartier, à Saint-Eustache, et ont joué sur le même trio du niveau pee-wee jusqu’au midget AAA.
À l’aube de l’âge adulte, leurs liens sont toujours aussi forts. Chacun sur leur rive du fleuve Saint-Laurent, l’un à Baie-Comeau et l’autre à Rimouski, ils continuent d’entretenir leur amitié avec les moyens du bord. « On s’appelle souvent le soir, sur Facetime, raconte Légaré. On prend des nouvelles, on jase un peu. Des fois on joue à NHL pour retrouver la petite chimie qu’on avait sur la patinoire. »
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L’été venu, les adversaires hivernaux se retrouvent, en chair et en os. Ils mangent ensemble, s’entraînent ensemble, jouent dans la même ligue pour garder la forme.
« C’est moi son lift parce qu’il n’a pas encore son auto, plaisante Légaré, joint par RDS le jour de son 18e anniversaire. Je pense que je passe plus de temps avec lui qu’avec mes parents. »
Mais même les relations les plus saines ont leurs effets pervers. Pour Légaré, ils se sont manifestés dans l’inévitable jeu des comparaisons dont il a toujours fait l’objet. Dans le bantam AAA, il a amassé 59 points en 33 matchs avec les Seigneurs des Mille-îles. L’année suivante, avec les Vikings de Saint-Eustache, 51 points en 40 matchs. Chaque fois deuxième buteur de son équipe, chaque fois derrière la jeune sensation qu’était déjà Lafrenière.
Chaque fois des murmures qui parvenaient à ses oreilles. Sa réussite, disait-on, n’était que le fruit d’une union avec un talent générationnel et ne survivrait pas à l’inévitable séparation qui les attendait.
« Ça je l’ai souvent entendu, midget et bantam, confirme l’ailier droit du Drakkar. On avait beaucoup de succès et les gens ramenaient toujours ça à Alexis. Mais au repêchage, je pense que Baie-Comeau a vraiment cru en moi. C’est pour ça qu’ils m’ont repêché aussi tôt. Quand je suis arrivé là-bas, j’ai tout de suite voulu prouver que c’était pas juste lui qui me faisait produire. »
À sa deuxième année sur la Côte-Nord, Légaré écrit finalement sa propre histoire. Après une année recrue sous le signe de l’apprentissage, il connaît une éclosion spectaculaire. Depuis le 9 novembre, tous les points qu’il met en banque sont un surplus comparativement à sa première saison junior. Le jour de sa fête, au lendemain d’une écrasante victoire contre les Foreurs de Val-d’Or, il revendiquait 13 buts à ses 11 derniers matchs et pointait au quatrième rang des marqueurs de la LHJMQ avec 59 points. C’est autant que Lafrenière, qui avait toutefois disputé sept parties de moins.
« Je savais qu’on allait avoir une bonne saison en tant qu’équipe, mais au niveau personnel, c’est sûr que la récolte de points est surprenante, admet le numéro 29 du Drakkar. Mais je pense que je connais du succès parce que je joue un style qui colle à mon identité. Présentement, je ne me concentre pas sur les points, mais sur l’ensemble de mon jeu. C’est comme ça que j’ai du succès. »
Un changement d’attitude
Une telle maturité n’a pas toujours fait partie des atouts de Nathan Légaré. Le constat vient de la bouche de Steve Ahern, le directeur général du Drakkar, qui n’a aujourd’hui que de bons mots à dire sur son choix de première ronde, le sixième au total, au repêchage midget de 2017.
« L’année passée à la même date, Martin [Bernard, l’entraîneur-chef du Drakkar] l’a mis dans les estrades pour lui faire comprendre des choses, relate Ahern au téléphone. C’est un gars qui trouvait qu’il n’avait pas assez de temps de glace. Sa production était plus ou moins là, il se plaignait de son rôle. Il a même été à Team Canada et ils l’ont retranché à cause de son attitude. Mais quand il est revenu cette année, tout ça avait changé, carrément. On a retrouvé un gars positif, un gars avec de la joie de vivre, heureux dans ce qu’on lui demandait. Ça a fait en sorte qu’il a pu s’autocritiquer différemment. Puis en jouant avec les [Ivan] Chekhovich, [Yaroslav] Alexeyev, [Gabriel] Fortier, des gars qui sont dévoués, c’est sûr que ça aide. »
Ahern croit que les comparaisons avec Lafrenière, les mêmes dont Légaré était si déterminé à s’éloigner, ont d’une certaine manière été un facteur dans les frictions qui ont teinté son initiation au hockey junior.
« Souvent, tu termines ton match, tu as joué douze minutes, tu appelles tes parents. Ils n’ont pas vu le match, mais ils te disent que tu devrais jouer plus, que tu es un choix de première ronde. Ensuite tu appelles ton chum de l’autre bord du fleuve. Il joue 30 minutes par soir et il produit. L’année d’avant, tu produisais autant que lui. Là tu te dis : "Pourquoi moi je n’ai pas autant de temps de jeu alors que je suis aussi bon?" Quand tu as 16 ans, tu n’as peut-être pas la même vision des choses que quand tu en as 17 et que tu as un peu plus de vécu. Et Nathan, c’est un gars qui est sincère, franc, qui dit ce qu’il pense. »
Ahern soutient qu’en arrivant à Baie-Comeau, Légaré a dû apprendre à développer un lien de confiance avec de nouveaux coéquipiers et s’adapter à une philosophie de jeu basée sur le collectif.
« Admettons que tu joues avec Guy Lafleur. Avant de prendre ton lancer, tu vas essayer de repérer ton partner parce que tu te rends compte qu’à chaque fois que tu lui donnes la rondelle, il compte. Quand tu joues avec Alexis Lafrenière, qui est l’un des meilleurs joueurs de son groupe d’âge au Canada, tu te dis : "Hey, je vais lui donner le puck". Tu as peut-être plus confiance en lui qu’en toi-même. Mais quand Nathan est arrivé ici, il gardait la rondelle plus longtemps. Dans ce temps-là, les bâtons viennent plus vite et tu te fais couper tes lignes de passes rapidement. Ce qui a changé, avec le temps, c’est que maintenant quand il a la rondelle, il dégaine. Et elle rentre, parce qu’il a un shot de la Ligue nationale. Il ne se pose plus de questions, il ne regarde pas pour son chum. Il reçoit la rondelle et il prend son shot. S’il rate son coup, personne ne rouspète parce qu’ici, personne n’est mis en premier plan. Chez nous, le premier plan, c’est l’équipe. »
« Tu sais, dans le midget AAA, ces kids-là n’ont pas gagné, conclut Ahern. Regarde ce qui s’est passé dans les séries éliminatoires. Légaré, Lafrenière, [Christopher] Ortiz... ça s’est fait éliminer assez rapidement. »
Quand on lui demande s’il insinue que ces trois joueurs ont jadis péché par excès d’individualisme, Ahern répond : « Je ne voudrais pas dire ça, mais ça ressemble à ça. »
Valeur en hausse
Les améliorations dans le jeu de Légaré ne se lisent pas seulement dans les statistiques colligées par la LHJMQ. Sur les différentes listes qui répertorient les joueurs qui seront admissibles au prochain repêchage de la LNH, l’attaquant de puissance du Drakkar gagne du terrain.
En novembre, la Centrale de recrutement de la LNH le classait comme un espoir du groupe C, c’est-à-dire avec le potentiel de sortir entre les quatrième et septième rondes. Dix joueurs du circuit Courteau étaient alors cotés plus avantageusement.
« C’est sûr que quand j’ai vu ça, je suis resté un peu surpris, admet-il. Mais je me suis juste dit : "Reste focus et le crédit va te revenir à un moment donné". J’ai vu la liste, mais je ne l’ai pas regardé plus longtemps, je n’ai pas regardé qui était où. Juste en sachant que j’étais "C", mon but c’était d’augmenter, de passer à "B" et ensuite à "A". On va voir ce qui va arriver pour la suite, mais j’ai juste à rester fidèle à mon identité et je crois que c’est ce que les recruteurs vont aimer. »
Légaré n’a amassé que deux points dans les cinq parties qui ont suivi la publication du premier verdict de la Centrale. Mais le 4 décembre, il a récolté cinq mentions d’aide dans une dégelée administrée aux Saguenéens de Chicoutimi et depuis, il noircit la feuille de pointage comme si sa vie en dépendait. Craig Button, le réputé analyste de TSN, s’en est aperçu et l’a récompensé en le faisant grimper au 36e rang, bien loin de la quatrième ronde, dans son plus récent palmarès paru après la conclusion du Mondial junior. Parmi ses confrères québécois, seuls Jakob Pelletier (Moncton), Raphaël Lavoie (Halifax) et Samuel Poulin (Sherbrooke) l’y devançaient.
« Pour moi, les listes, ça veut pas mal rien dire, insiste Légaré. Si on regarde Gabriel Fortier l’an passé, il n’était pas censé sortir 59e au total, en deuxième ronde. Mais quand une équipe t’aime, elle va te repêcher où elle te voit. »
Pour Légaré, la prochaine opportunité de faire gonfler sa valeur viendra au match annuel des meilleurs espoirs du circuit junior canadien, le 23 janvier. Il fera partie d’Équipe Cherry, au sein de laquelle il pourrait notamment avoir la chance d’unir ses forces avec Poulin, un autre petit gars de la Rive-Nord avec qui il a développé des atomes crochus.
« Je ne changerai pas ma game pour essayer d’impressionner la galerie, promet-il. J’ai juste à faire ce que je fais bien, finir mes mises en échec et apporter des rondelles au filet. Je pense que c’est comme ça que je vais me faire voir. »