MONTRÉAL – Shawn Element n’a pas une minute pour lui. Il livre bataille. L’ennemi est invisible et partout à la fois. Et surtout, il lui en doit une solide.

 

Privé d’une chance légitime au titre, l’attaquant des Eagles du Cap-Breton a récemment joint les rangs de ceux qui prennent la COVID-19 de front. Appelé en renfort par le beau-père d’un ami, Element a bien voulu mettre le sens du devoir et du sacrifice qui le distingue sur les patinoires du circuit Courteau au service de Sani Marc, une entreprise de Victoriaville spécialisée dans la production de produits d’hygiène et de salubrité.

 

Aux côtés de son frère et deux amis, Element s’affaire ainsi depuis un peu plus d’une semaine à préparer les commandes que son employeur expédie aux services essentiels de la province.

 

« Ça prend pas mal toutes mes heures. Depuis dimanche, j’ai fait 37 heures. Je ne fais que ça, travailler », calculait-il jeudi soir dernier, lorsque joint par RDS.ca à sa sortie du boulot.

 

Reste que ce n’est pas de cette façon que le joueur de 19 ans projetait de se tenir occupé ce printemps. Son équipe, quatrième au classement général au moment de l’annulation de la saison et des séries, promettait de faire la vie dure au Phoenix, aux Wildcats, aux Saguenéens et à l’Océanic dans la lutte pour la coupe du Président.

 

« On m’a échangé de Bathurst pour que je puisse gagner la coupe cette année, mais finalement, on finit en même temps que... Bathurst. C’est difficile à avaler, mettons. »

 

Les dénouements crève-coeur du genre, Element s’y connaît. Surtout cette saison.

 

D’abord, il y a eu cette transaction qui l’a fait passer du Drakkar de Baie-Comeau au Titan d’Acadie-Bathurst au cours de l’été. Element n’allait pas se défiler, peu importe la destination, mais disons que de tomber sur un club qui venait de terminer au dernier rang du classement général a dans un premier temps fait mal. Mais jamais autant que ce qui s’en venait.

 

Fraîchement nommé capitaine du Titan, Element se jurait de soutirer le maximum de son premier camp professionnel avec les Blackhawks de Chicago, où il avait été invité après avoir été ignoré au repêchage de la LNH.

 

« J’étais sur une chaise en train de me faire tatouer quand j’ai reçu un appel de mon agent et un de ses associés en Ontario. C’est eux autres qui m’ont annoncé que l’administration [des Blackhawks] avait oublié d’envoyer les papiers. »

 

Pas de camp des recrues. Embarrassés, les Blackhawks ont présenté leurs excuses au téléphone dans les jours suivants, deux fois plutôt qu’une, sans toutefois lui promettre de l’inviter à nouveau.

 

« Je n’ai pas encore tourné la page. Pas tant que je n’aurai pas reçu d’autres invitations. [Apprendre] ça a été difficile, mais je pense que j’ai réussi à tourner ça en motivation de me faire inviter quelque part et prouver au monde que ma place était dans un camp professionnel et non d’avoir été oublié. »

 

Element s’est en effet assuré qu’on ne le perde pas de vue. Dans le vestiaire du Titan, un club qui a amorcé la saison avec 17 revers consécutifs, il a joué son rôle de capitaine et tâché de garder le moral pour le bien de ses coéquipiers. Sur la glace, l’attaquant réputé pour sa fougue et son jeu défensif a fait ce qu’il fait de mieux, et bien plus encore.

 

« Avec la moitié de saison qu’on a eue, je pense que mes performances ont été au-delà des attentes et même au-delà des miennes. Je ne m’attendais pas à compter 20 buts en 32 games là-bas, ni de marcher à au-dessus d’un point par match », note celui qui a amassé 34 points avant d’être échangé aux Eagles à la période des Fêtes.

 

Une fois en Nouvelle-Écosse, Element a su garder la cadence, ajoutant 18 buts et 28 points à sa fiche, tout en prouvant une fois de plus son utilité à court d’un homme. Au moment où la LHJMQ a interrompu ses activités, l’athlète de 6 pi et 187 lb se classait 3e dans le circuit avec 5 buts inscrits en désavantage numérique et dominait tous les attaquants avec 153 mises en échec à son nom.

 

« J’ai montré à tout le monde que je n’étais pas simplement un joueur défensif qui aimait faire des mises en échec », affirme celui qui a plus que doublé sa production de 17 buts de l’an dernier. « J’ai montré que j’étais capable de jouer offensivement et que je mérite ma place parmi les meilleurs joueurs complets dans cette ligue-là. »

 

Element en a eu la confirmation jeudi quand la LHJMQ a fait de lui l’un des trois finalistes au prix Guy-Carbonneau, remis annuellement au meilleur attaquant défensif de la ligue. Benoit-Olivier Groulx, des Wildcats, et Alex-Olivier Voyer, du Phoenix, sont les deux autres candidats en lice.

 

« C’est sûr que j’aurais aimé ça avoir des séries pour montrer que j’étais capable d’élever encore mon jeu d’un cran. C’est quand même comme ça que je me suis mérité une invitation l’an passé. »

 

Element est toutefois convaincu qu’une autre invitation, une vraie, lui sera acheminée tôt ou tard. Peut-être même en provenance de Chicago, qui sait?​

 

« Je suis certain que je vais avoir une chance, là ou ailleurs. »

 

Et puis, il y aura toujours le prochain repêchage, auquel Element sera admissible pour la dernière fois. Dans des circonstances similaires l’an dernier, Rafaël Harvey-Pinard était parvenu à convertir une saison de rêve en une sélection par le Canadien de Montréal en 7e ronde. Element a toutefois appris, à la dure il va sans dire, qu’il vaut peut-être mieux ne rien tenir pour acquis.

 

« Je ne m’en fais pas trop, je sais qu’il y en a qui ont percé et qui n’ont jamais été repêché. C’est plus cette mentalité-là que je bâtis. »

 

Pour l’instant, Element peut donc difficilement en faire plus. Sauf patienter et faire sa part.

 

« Au moins [en attendant], j’essaie de sauver le Québec. »​