MONTRÉAL – Chris Pronger a fait sursauter énormément de gens en affirmant que, selon lui, plus de 50% des athlètes professionnels éprouvent des ennuis financiers à la retraite. Même s’il multiplie les conseils financiers, l’agent Allain Roy lui donne raison sur ce point et il se souvient que l’un de ses clients avait dû déclarer faillite.

 

Durant sa carrière, Pronger avait l’habitude de frapper fort avec ses épaules et aussi son bâton. Une dizaine d’années après avoir accroché ses patins, l’ancien défenseur intimidant a frappé un grand coup avec des publications sur Twitter.

 

Pour un agent comme Roy, dont la santé financière de ses joueurs a toujours été une priorité, les propos de Pronger étaient un peu déstabilisants.  

 

« Oui, ça m’a dérangé un peu. Mais ça m’a aussi ouvert les yeux sur le fait que plusieurs agents ne font pas leur job. [...] Je ne sais pas qui était l’agent de Chris, mais tout bon agent a ces conversations-là avec ses joueurs au début de leur carrière. Nous, on élabore même une planification financière à long terme pour nos joueurs, ça leur explique ce qui va se passer à chaque stade de leur carrière », a réagi Roy, en entrevue avec le RDS.ca.

 

Les discussions tournent autour de l’assurance dont les joueurs doivent se prévaloir, de bâtir son crédit, d’investir davantage à partir de son deuxième contrat, de réfléchir à un contrat de mariage et d’économiser en vue du parcours universitaire des enfants.

 

« On discute de tout ça avec chacun de nos joueurs. J’étais un peu surpris que Chris fasse une carrière sans avoir ces informations. Le plus important, c’est d’éduquer les joueurs sur cet aspect », a noté Roy qui est notamment l'agent de Jake Allen et Kaiden Guhle. 

 

Malgré cette vigilance, le président de RSG Hockey a vécu des situations difficiles avec plusieurs joueurs ce qui démontre la complexité de gérer des sommes imposantes.

 

Quand on lui demande de raconter une histoire concrète d’un parcours laborieux, il songe tout de suite à cet exemple.

 

« Dès qu’il a signé son premier contrat, alors que le salaire minimum était autour de 500 000$, il a acheté une maison juste avant la crise économique de 2008-2009 aux États-Unis et on sait ce qui est arrivé avec le marché immobilier. Il a dû faire faillite. C’était une épreuve vraiment difficile, mais cet obstacle a eu un immense impact sur le reste de sa carrière. Ça lui a ouvert les yeux. Depuis ce temps-là, il est très responsable et il a une belle situation financière. Ça lui a pris un gros incident pour qu’il se réveille », a confié Roy, sans vouloir nommer ce joueur par respect pour sa vie privée.

 

Heureusement, ce scénario ne survient pas souvent. Par contre, Roy doit parfois s’interposer auprès de clients pour redresser leur portrait financier. Les ennuis surviennent surtout en raison de deux enjeux.

 

« Il y a deux volets qui sont plus difficiles à gérer. En premier lieu, c’est celui de la famille et des proches. Ensuite, c’est la tentation de vouloir suivre le rythme des autres dans le vestiaire. Quand il y a des vétérans qui vivent une grosse vie financière flamboyante, je peux te dire que bien des jeunes vont vouloir les suivre. Il faut avoir ces conversations avec nos joueurs », a raconté Roy.

 

Lorsque de telles situations se présentent, Roy doit parfois prendre les décisions qui s’imposent en jouant le rôle du méchant si l’on peut dire.

 

« Une fois de temps en temps, il y a plusieurs membres de la famille qui sont impliqués. C’est là que ça dépense vite. On veut aider maman, papa, son frère, sa sœur. Comme agent ou comme professionnel financier, on doit alors agir comme tampon et dire non. On comprend que c’est souvent pénible, pour les athlètes eux-mêmes, de dire non à leur famille », a-t-il expliqué.

 

Là où ça devient parfois encore plus périlleux pour certains athlètes, c’est lorsqu’ils décident de gérer leurs actifs financiers eux-mêmes. Bien sûr, cette approche peut fonctionner, mais plusieurs athlètes qui empruntent cette avenue ne s’entourent pas de conseillers financiers réputés.

 

« Je dirais qu’environ 30% des joueurs prennent cette avenue. Personnellement, j’aime beaucoup que les joueurs aient la même personne pour s’occuper de leurs impôts et de leur budget. Particulièrement au début d’une carrière, c’est une très bonne idée d’avoir un portrait de tes revenus et de combien tu dépenses, surtout », a noté Roy qui gère des contrats d’une valeur de plus de 240 millions.

 

Autant qu’il veut aider ses clients, Roy essaie d’éviter de trop en faire comme de prêter de l’argent à un client qui est dans le pétrin.

 

« Ce sont des questions qui se présentent et c’est assez difficile. Comme agent, on n’est pas supposé être des banquiers non plus. Sauf qu’on peut toujours trouver une manière de les aider, on connaît plusieurs ressources dans le monde financier. On peut restructurer la vie financière de nos joueurs, on a eu à le faire plusieurs fois. C’est presque toujours au début de la carrière que ça survient. Une fois que ça arrive, ils ne l’oublient jamais. Et, heureusement, ça se rectifie assez vite », a-t-il admis.

 

Au fil de leur carrière, plusieurs joueurs sont sollicités pour investir dans des projets d’entreprise. Encore là, Roy doit veiller au grain avec ses spécialistes pour déterminer les bonnes occasions.

 

Allain RoyÀ cela s’ajoute des projets d’envergure pour certains clients comme Nico Hischier alors que des commanditaires frappent à la porte.

 

« Les joueurs européens sont nombreux à vouloir investir dans leur propre pays. Avec Nico, je travaille de près avec son conseiller financier qui est Suisse. On discute de chaque opportunité, même du côté marketing en Europe et en Amérique du Nord. Ça rend les choses plus complexes, mais plus excitantes. On parle même de lancer une fondation avec Nico en Suisse, on va le guider de ce côté », a indiqué Roy.

 

À lire Pronger et à entendre Roy, on valide notre perception que l’Association des joueurs devrait pousser encore plus loin son implication.

 

« J’aimerais que l’Association en fasse plus comme développer des programmes qui intéresseraient beaucoup les joueurs dans le style de comment devenir un entrepreneur. Ça me fait penser à mon client, Chris Wideman, qui détient trois franchises de Drybar (des salons de coiffure) avec sa femme. C’est intéressant de voir des joueurs qui démarrent de tels projets durant leur carrière. C’est un travail à plein temps de jouer dans la LNH, mais il te reste du temps pour t’éduquer et démarrer d’autres projets », a ciblé Roy.

 

Pour boucler cette discussion économique, on ramène Roy au point de départ. Croit-il, comme le déduit Pronger, que plus de 50% des athlètes professionnels ont des ennuis financiers après leur carrière ?

 

« Oui, je pense que c’est le cas. Surtout quand tu regardes du côté de la NFL et de la NBA. Encore une fois, ça revient à l’éducation. Est-ce que tu peux avoir des conversations avec ton athlète et va-t-il t’écouter? Si oui, on a tous les outils pour lui expliquer comment ça fonctionne. C’est très important que les athlètes comprennent que la carrière est souvent courte. Nous, on dispose de tous les outils pour qu’ils s’organisent et que leur avenir soit facile », a conclu Roy, diplômé de l’Université Harvard.