Quand il tourne la page de son calendrier pour remplacer le mois de mai qui vient de terminer par celui du juin qui commence, Mathieu Schneider esquisse chaque année un petit sourire.

 

Et ce n’est pas seulement parce qu’il réalise que son épouse et leurs quatre enfants souligneront bientôt son anniversaire de naissance. Un 51e anniversaire que Schneider célébrera vendredi (12 juin).

 

L’ancien défenseur du Canadien esquisse un petit sourire parce que l’arrivée prochaine de son anniversaire lui rappelle qu’en 1993, il a reçu son cadeau trois jours plus tôt que prévu. Car c’est le 9 juin, au Forum de Montréal, au terme d’une victoire de 4-1 du Canadien aux dépens de Wayne Gretzky et des Kings de Los Angeles que le Tricolore et ses partisans ont célébré la 24e et dernière conquête de l’histoire de cette jadis grande organisation.

 

La première et seule coupe que le défenseur américain a eu le privilège de soulever à bout de bras.

 

Joint à Los Angeles lundi soir, Mathieu Schneider s’est esclaffé lorsque je lui ai demandé si le 9 juin évoquait encore des sentiments de bonheur, d’exaltation, de fierté.

 

«Avec les années qui passent, ça me fait surtout réaliser que je vieillis. Je mentirais donc si je te disais que le temps s’arrêtera demain soir», a d’abord lancé Schneider.

 

Souvenirs vénérables

 

Au-delà ces années qui défilent et qui lui rappelle qu’il prend de l’âge, le défenseur reconnaît qu’il vénère malgré tout, les souvenirs associés à cette conquête, aux épreuves qu’il a traversées avec ses amis et coéquipiers, à l’image de la coupe scintillante au-dessus de sa tête et aux célébrations qui ont suivi cette dernière conquête en lice du Canadien.

 

«J’avais 23 ans. J’étais vert dans la vie et j’avais quelques années seulement d’expérience dans la LNH. J’avais la coupe à bout de bras, je célébrais avec mes coéquipiers, je voyais les partisans célébrer et je me disais que ce n’était que le début. Que d’autres conquêtes suivraient.»

 

Mais voilà : les autres n’ont pas suivi.

 

«J’ai joué 17 saisons dans la LNH après la conquête de 1993. J’ai eu la chance d’évoluer au sein de très bonnes formations. Des clubs qui avaient des chances aussi bonnes sinon meilleures que nous en avions à Montréal en 1993 de nous rendre jusqu’au bout. Mais jamais je n’ai pu revivre cette expérience. Je crois que c’est ça qui rend ma conquête si sensationnelle. Une fois ta carrière terminée, tu réalises à quel point il est difficile de se rendre jusqu’au bout. À quel point tu as le droit d’être fier. À quel point tu dois t’assurer de savourer cette conquête. Car il est loin d’être acquis que tu auras une autre chance.»

 

Aujourd’hui bras droit de Donald Fehr à la tête de l’Association des joueurs de la LNH (NHLPA), Mathieu Schneider peut revivre ses moments heureux de 1993 en assistant à la grande finale chaque année.

 

«Ça va faire 10 ans que j’ai pris ma retraite. Je ne regrette rien. J’ai eu une très belle carrière. La saison régulière, les voyages, les entraînements : tout ça ne me manque pas du tout. Mais quand j’arrive en finale de la coupe Stanley, quand je vois les gars défiler avec la coupe, quand je les vois célébrer, je dois admettre que je suis encore aujourd’hui un peu jaloux. Parce que je sais à quel point ils vivent des moments sensationnels. Il n’y a pas de mots assez forts pour imager ses sensations qui se succèdent en cascade quand tu gagnes. Tu dois les vivre ou les avoir vécues pour comprendre. Et ça, je dois te dire que ça me manque.»

 

Compte à rebours final

 

Quand on pense à la finale que le Canadien a gagnée aux dépens des Kings en 1993, on pense bien sûr au clin d’œil de Patrick Roy en direction de Tomas Sandstrom à qui il venait de voler un but.

 

On pense au bâton illégal de Marty McSorley qui a ouvert la porte à une remontée du Canadien dans le deuxième match. Un deuxième match que le Canadien a gagné en prolongation grâce au tour de chapeau d’Éric Desjardins.

 

On pense aux trois victoires consécutives en prolongation du Canadien en grande finale, aux dix de suite du début à la fin des séries.

 

Mais ce dont Mathieu Schneider se souvient le plus, ce qu’il a vécu le plus intensément, c’est le compte à rebours final dans le cadre du cinquième et dernier match de la grande finale.

 

«Les séries sont tellement intenses que tu dois en tout temps demeurer concentré sur le présent et sur ce qui s’en vient à très court terme. Après une présence, tu penses à la prochaine. Après un match, tu penses au prochain. Tu ne peux te permettre de te perdre dans tes pensées. Après trois matchs qui s’étaient décidés en prolongation, on avait une avance de 3-1 après deux périodes au Forum. Quand Paul DiPietro a marqué le 4e but en milieu de troisième, je me souviens que la pression est tombée. J’ai commencé à y croire. J’ai commencé à penser à la coupe. Plus les secondes passaient, plus on s’approchait de la coupe. Je t’assure que de seconde en seconde je sentais la joie m’envahir. Tous les doutes, toute la pression qui m’étouffaient depuis le début des séries étaient tombés et ça m’a permis de vivre intensément les dernières minutes du match. J’étais envahi d’émotions sur le banc. Je regardais les gars commencer à sautiller autour de moi. Je regardais les partisans célébrer dans les gradins et ça faisait monter ma pression. Je suis heureux d’avoir pu vivre ça de cette façon au lieu d’avoir à attendre un but décisif en prolongation ou une fin de match serré alors que je n’aurais pas eu le plaisir de profiter des dernières minutes comme je l’ai fait.»

 

Et le bâton de McSorley?

 

«Marty est mon voisin ici à Manhattan Beach. J’ai l’occasion de le taquiner avec ça de temps en temps. Il a payé un gros prix dans l’histoire de cette série à cause de son bâton illégal et de la pénalité qu’il a écopée. Mais il ne faudrait pas oublier une chose bien importante. Il fallait trouver une façon de profiter de cette pénalité. Et j’ai toujours trouvé qu’Éric Desjardins ne recevait pas le mérite qui lui revient dans ce match. Il fallait marquer et Éric l’a fait. Il a envoyé le match en prolongation avec son deuxième but de la partie avant de compléter son tour du chapeau en prolongation. C’est bien plus Éric qui nous a fait gagner, que Marty qui a fait perdre les Kings.»

 

Vers une coupe Stanley en 2020

 

Une fois l’anniversaire de sa conquête de 1993 passé, une fois son 51e anniversaire célébré, Mathieu Schneider croit-il qu’il pourra, encore cette année, profiter des célébrations d’une éventuelle conquête de la coupe Stanley pour se remémorer son tour d’honneur avec le précieux trophée à bout de bras?

 

«Je demeure toujours optimiste quant à la reprise des activités de la LNH, à la tenue des séries et celle de la finale de la coupe Stanley», a lancé sur un ton soudainement plus sérieux l’ancien défenseur du Canadien.

 

À titre de bras droit de Donald Fehr, Schneider est de toutes les décisions. Il jongle avec les questions, les doutes et les inquiétudes des joueurs et tout autant avec les conséquences des lourdes pertes de revenus qui menacent la LNH – et les joueurs – en cas de non reprise de la saison.

 

«Je passe des heures et des heures devant mon ordinateur et au téléphone dans le cadre de rencontres avec les autres membres de la NHLPA, avec des spécialistes capables de nous éclairer et avec la LNH puisque toutes les décisions doivent d’abord être négociées avec la Ligue.

 

«Je reste optimiste, car nous sommes tous habités par les mêmes sentiments. Nous souhaitons tous le retour du hockey. Nous souhaitons tous que ce retour se fasse avec, comme priorité, la sécurité des joueurs, de leurs familles, des autres membres des équipes et des partisans. C’est difficile de régler tous les détails et de prévoir ce qui est difficile de prévoir. Mais c’est la responsabilité qui nous incombe. Le plus simple serait de fermer les livres et de conclure qu’on reprendra quand il sera facile de le faire. Mais ce serait à mes yeux une erreur. On abandonnerait nos partisans. On ne rendrait pas service aux joueurs et à la Ligue. On doit travailler et travailler fort pour établir des paramètres qui encadreront un retour sécuritaire sur la patinoire. Et je demeure confiant qu’on y arrivera et que oui : la coupe Stanley sera encore soulevée cette année. Il ne reste qu’à déterminer quand elle le sera.»

 

Rappelons que pour l’instant, la phase deux – réouverture des sites d’entraînement des 24 équipes invitées à prendre part au tournoi qui mettra la table aux séries – a débuté lundi (8 juin) et que les joueurs sont libres d’en profiter ou non. Les camps d’entraînement ne peuvent s’amorcer avant le 10 juillet prochain ce qui repousse jusqu’à la fin de juillet ou au début du mois d’août le début du tournoi de retour au jeu.

 

Mais aucune date n’a encore été confirmée. Pas plus que l’identité des deux villes où s’affronteront les 12 équipes de l’Association de l’Est et les 12 autres de l’Association Ouest.

 

«Oui il reste encore beaucoup de travail à faire, mais je t’assure que je demeure confiant», a conclu Schneider.