Entraîner des joueurs de la LNH à distance
LNH jeudi, 19 mars 2020. 14:50 dimanche, 15 déc. 2024. 01:05Les athlètes professionnels sont des métronomes quand vient le temps de respecter un horaire et un plan d’entraînement. Ils prennent un grand soin de leur corps, respectent un horaire précis, tout en maintenant une alimentation qui répond à leurs besoins dans le but de déployer des efforts physiques intenses. La situation actuelle représente un grand défi à tous les points de vue pour eux.
C’est du jamais vu pour les citoyens, les organisations, les athlètes et pour tous ceux qui les encadrent sur une base régulière.
Nelson Ayotte et Stéphane Dubé jouent des rôles d’une grande importance pour plusieurs joueurs de la LNH. Les deux hommes sont des préparateurs physiques qui veillent à ce que les « machines » soient à la fine pointe de leur fonctionnement quand vient le temps de sauter sur la patinoire pour aider leur équipe à remporter un match. En ce moment, la chaîne de préparation est grandement déstabilisée.
« Ça fait 30 ans que je suis dans le domaine, c’est quelque chose qui est tout nouveau pour moi. Tout le monde est dans le néant et l’incertitude. Ça rend la tâche complexe, » souligne Stéphane Dubé, qui a notamment œuvré pendant plusieurs années chez le Canadien de Montréal et les Penguins de Pittsburgh au long de son riche parcours. Aujourd’hui, il aide des athlètes sur une base personnelle à plusieurs niveaux, que ce soit la LNH, la ligue américaine ou les rangs juniors, par exemple.
De son côté, Nelson Ayotte en est à sa 15e saison dans la LNH. Après 11 ans au sein de l’organisation des Blues de St Louis, il travaille maintenant avec les joueurs des Blue Jackets de Columbus.
À lire également
« J’ai vécu deux lockouts. Maintenant, c’est une crise différente. On commence à avoir un peu de millage. John Tortorella nous a demandé d’être prêts quand on aura la tape sur l’épaule. »
Le principal défi auquel les préparateurs physiques font face présentement est de s’assurer que les joueurs maintiennent un bon niveau de forme physique, avec des moyens limités. Les joueurs n’ont pas accès aux installations de leurs équipes respectives et ne peuvent se présenter dans une salle d’entraînement, puisque tout est fermé actuellement.
« Beaucoup de joueurs ici à Columbus ont commencé à s’acheter de l’équipement, mentionne Ayotte. Ça va mal à la bourse en ce moment, mais je mettrais mon argent sur les équipements sportifs, ça peut valoir la peine! » dit-il à la blague.
Stéphane Dubé lui trouve le temps bien long dans le bureau de sa salle d’entraînement qui est déserte présentement.
« J’ai beaucoup d’athlètes qui me demandent de les prendre en privé. Ils me disent : "je vais me tenir à 10 pieds de toi". On refuse toutes les demandes en ce sens. »
Comme on ne peut travailler ensemble en personne, la technologie aide grandement à faire le suivi avec les différents athlètes.
« Je n’ai jamais eu autant d’appels Facetime dans ma vie que dans les quatre ou cinq derniers jours. Je recharge mon cellulaire plusieurs fois par jour », note Dubé.
« On utilise le fax beaucoup moins maintenant ! blague Ayotte. On fait appel à Facetime ou au courrier électronique. Les moyens de communication sont beaucoup plus avancés que par le passé. C’est facile de maintenir le contact avec les athlètes, peu importe où ils sont sur la planète. »
Les préparateurs physiques doivent innover pour trouver des alternatives au niveau de l’entraînement. Des images de joueurs qui innovent ont circulé sur les réseaux sociaux. Brooks Laich a présenté de nouvelles installations chez lui, alors que Miko Rantanen utilise son gros chien comme poids pour faire des exercices axés sur la force des jambes. Mais évidemment, le concept va beaucoup plus loin que cela... surtout lorsque les joueurs ne sont pas en mesure de patiner. Les deux préparateurs physiques s’entendent sur un point, il est impossible de maintenir une forme optimale sans pouvoir patiner.
« On est plus dans des contenus de forme raisonnable, souligne Dubé. »
« C’est impossible de maintenir sans la glace. Après l’entraînement estival, les joueurs ont l’impression de ne pas s’être entraînés de l’été. Donc, ça va être dur à reproduire, fait remarquer Ayotte. »
Les joueurs vont tenter d’utiliser plusieurs outils pour maintenir la forme : vélo, course à pied, entraînements en utilisant le poids corporel. Par contre, ces entraînements sont surtout statiques et ne reproduisent pas les mouvements que les joueurs effectuent sur la patinoire.
À court terme, il est possible de trouver une façon de maintenir la condition physique, mais Stéphane Dubé s’inquiète si la situation perdure.
« La majorité des blessures à l’aine et à l’abdomen surviennent en début de saison. C’est une inquiétude. Le contraste est grand entre ce qui se fait l’été et en début de saison. Un camp d’entraînement d’une dizaine de jours ne sera pas assez long. »
Pour sa part, Ayotte souligne que tout le monde partira sur un même pied d’égalité lorsque les activités reprendront éventuellement.
« On va être capables de maintenir notre force, mais ça va prendre au moins une semaine de retour sur la glace avant d’atteindre la forme de match. Personne ne peut y échapper. Ça arrive à 31 équipes, tout le monde est dans le même bateau. »
Dans tout bon programme d’entraînement, il est évident que l’alimentation est la clé. Il s’agit d’un autre défi qui s’ajoute, puisque la dépense énergétique n’est plus la même pour ces joueurs qui dépensent énormément de calories lors des matchs, dans leur calendrier habituellement très chargé. Si la situation actuelle est un défi pour monsieur et madame tout le monde, elle peut avoir des conséquences importantes pour un athlète de pointe.
« Nos diététistes font les ajustements auprès de nos athlètes, parce que la dépense quotidienne est sous la moyenne normale. On est un peu en mode veille, ajoute Dubé. Les joueurs ne peuvent tomber dans les excès, ils doivent demeurer très disciplinés. Un joueur qui se laisserait aller pourrait gagner 5, 10 ou 15 livres très rapidement. Ce ne serait pas l’idéal pour un retour au jeu. »
« On a commandé plus de suppléments pour les joueurs au niveau de la vitamine B, précise Ayotte. C’est certain qu’il faut être plus à l’affût pour que leur système immunitaire reste le plus élevé possible. »
Dans l’adversité que la situation présente, Nelson Ayotte trouve une façon de dénicher un aspect positif. Les Blue Jackets ont été sévèrement touchés par les blessures cette saison et une pause avant une reprise des activités leur sera bénéfique.
Pour Stéphane Dubé, et son associé Stefano Lanni, préparateur physique chez le Rocket, l’heure est maintenant à établir plusieurs scénarios pour la supervision des athlètes à tous les niveaux, même chez les juniors ou au niveau Midget AAA. Ils gardent toutefois en tête que la situation est hors de leur contrôle.
« C’est la première fois de ma vie que je ne travaille pas en 30 ans, c’est un sentiment assez particulier. Ce qui arrive présentement, c’est bien plus gros que nous. C’est une crise humanitaire, on va faire ce qu’on a à faire pour contribuer à la situation. »
Bien entendu, on parle ici d’athlètes, d’entraîneurs et de personnes passionnées de leur sport qui voient leur quotidien bousculé du jour au lendemain. Avant de penser reprendre leurs activités normales, ils souhaitent d’abord contribuer à leur façon au cœur d’une pandémie qui affecte les gens à tous les niveaux de la société.