Le 21 octobre dernier, le chandail numéro 9 que Paul Kariya a endossé au cours de sa trop courte carrière à Anaheim est allé rejoindre celui de son coéquipier et grand ami Teemu Selanne qui l’attendait sagement depuis 2015.

Dans un monde idéal, Kariya et Selanne seraient allés s’installer dans les hauteurs du Honda Center en même temps. Un peu comme ils l’ont fait il y a un an ou presque alors qu’ils ont franchi en même temps les portes du Temple de la renommée du hockey à Toronto.

Car quand on revient, sur l’histoire de l’équipe qui Disney a fait apparaître à Anaheim en 1993, Kariya et Selanne sont des personnages indissociables.

Aujourd’hui membre de l’équipe de dépisteurs professionnels des Blackhawks de Chicago et ancien directeur général du Canadien – il a succédé à Bob Gainey avant d’être remplacé par Marc Bergevin – et des Sénateurs d’Ottawa, Pierre Gauthier a eu un impact direct sur la sélection de Paul Kariya.

Adjoint de Jack Ferreira, premier directeur général de l’histoire des Ducks, Pierre Gauthier et son patron ont mené de front le repêchage d’expansion et le premier repêchage amateur de cette franchise qui a fait son entrée dans la LNH en même temps que les Panthers de la Floride.

« On travaillait presque jour et nuit durant les mois qui ont mené aux deux repêchages. Il fallait trouver des gars pour former notre première équipe, mais il fallait aussi profiter du repêchage amateur pour mettre la main sur un très bon joueur qui allait devenir le visage de notre franchise », lance Pierre Gauthier en ressassant des vieux souvenirs.

À cette époque, Gauthier était déjà un recruteur aguerri. Son « CV » était auréolé des sélections des Joe Sakic, Mats Sundin, Owen Nolan et autres Adam Foote qui ont permis de transformer les Nordiques de Québec, un club moribond à l’époque, en club champion dès le déménagement à Denver. C’est aussi Gauthier qui a longuement analysé les propositions des Flyers et des Rangers et poussé Marcel Aubut à finalement préférer l’offre de Philadelphie dans le dossier Eric Lindros en 1992 dans le cadre d’une des plus importantes transactions de l’histoire de la LNH.

À l’aube du repêchage de 1993, le nom d’Alexandre Daigle était sur toutes les lèvres. Rapide patineur, attaquant prolifique dans la LHJMQ, le Québécois avait l’étiquette de premier choix de la cuvée 1993 accroché au chandail depuis des mois lorsque les Sénateurs d’Ottawa l’ont sélectionné.

Encore disponible au 4e rang

Après que les Whalers de Hartford eurent sélectionné Chris Pronger et que le Lightning de Tampa Bay eut choisi Chris Gratton, les Ducks d’Anaheim ont frappé un grand coup.

« Paul Kariya était notre gars. C’est lui qu’on voulait. Tu ne sais jamais ce que les clubs qui parlent avant toi feront. Alexandre Daigle était un très bon choix pour Ottawa en matière de hockey et aussi pour le marché là-bas. Chris Pronger a une brillante carrière, mais quand nous avons vu que Paul était disponible nous étions vraiment très contents. On mettait la main sur le joueur qu’on avait identifié pour devenir le visage de notre club. On n’avait pas le droit de se tromper et on savait qu’on ne se trompait pas », raconte Pierre Gauthier avec un sourire de satisfaction évident.

Paul Kariya était petit pour le hockey de l’époque. En plus, il était un poids plume. Mais bien que le hockey de cette époque était encore dominé par l’accrochage et l’intimidation, Pierre Gauthier et son patron étaient depuis longtemps convaincus.

« Paul était un joueur dynamique. Dès qu’il posait les patins sur la patinoire, il prenait le contrôle du jeu. Et il ne le faisait pas seulement une, deux ou trois fois par match. Il le faisait à chacune de ses présences. C’était une machine de travail. Autant sur la patinoire qu’à l’entraînement en gymnase. Mais plus important encore, il aimait jouer au hockey. Il s’intéressait à tous les aspects du hockey. Il aimait parler de stratégies. Mais il s’intéressait aussi à l’administration du hockey. Au fil des ans, j’ai réalisé qu’il connaissait la convention collective aussi bien que Jack et moi. Peut-être mieux même. »

Duo pas arrêtable

Après une saison de 25 buts et 100 points en 39 matchs disputés avec l’Université du Maine en 1992-1993, Paul Kariya a défendu les couleurs de l’équipe nationale du Canada – il est allé aux Jeux olympiques Lillehammer en 1994 – l’année suivante. Cette transition lui a permis d’arriver mieux préparé à Anaheim où il s’est immédiatement hissé au rang de premier marqueur, devant Shaun Van Allen et Stéphane Lebeau qui est passé du Canadien aux Mighty Ducks dans le cadre de la transaction qui a permis au Canadien d’obtenir le gardien Ron Tugnutt.

Lors de cette première saison, Kariya a marqué 18 des 300 buts qu’il a enfilés dans la LNH. Il a récolté 39 des 669 points amassés dans sa carrière trop courte de 606 parties seulement.

C’est toutefois en 1995 que la carrière de Kariya a explosé. Un des responsables de son arrivée à Anaheim, Pierre Gauthier était directeur général des Sénateurs d’Ottawa et tentait de redresser un club qui allait à la dérive lorsque son ancien patron a réalisé un grand coup.

« Quand Jack a obtenu Teemu Selanne – les Ducks ont acquis le Finlandais en retour du défenseur Oleg Tverdovsky et de l’attaquant Chad Kilger dans le cadre d’une transaction qui doit aujourd’hui être considérée comme un vol de grand chemin –, il a créé un duo pas arrêtable. Individuellement, Paul et Teemu étaient des grands joueurs. Ensemble, ils étaient encore meilleurs », insiste Pierre Gauthier.

Bien qu’il ait été séparé trop rapidement à son goût de Paul Kariya et qu’il n’ait pu profiter de ses performances au sein de sa propre équipe, Pierre Gauthier a toujours été un admirateur sans borne de Paul Kariya.

Il l’est d’ailleurs toujours.

De fait, Pierre Gauthier refuse de minimiser sa portée bien qu’elle aurait pu être plus grande encore s’il était arrivé dans la LNH aujourd’hui, à une époque où le talent et la vitesse sont les qualités premières des joueurs de hockey. Des qualités qui étaient un brin mises de côté par l’aspect physique du hockey de l’époque.

Miné par les commotions

C’est d’ailleurs à un double-échec au visage, un double échec asséné par Gary Suter – l'oncle du défenseur Ryan Suter du Wild du Minnesota – qu’on doit le début de la série de commotions cérébrales qui ont écourté la carrière de Paul Kariya.

Après cette première commotion, Kariya en a subi une autre « gracieuseté » de Scott Stevens – Kariya a marqué un but dont il ne se souvient absolument pas tout comme des 48 heures qui l’ont suivi après qu’il eut été mis en échec par l’ancien capitaine des Devils du New Jersey en finale de la coupe Stanley – avant de finalement tomber une dernière fois devant Patrick Kaleta qui évoluait alors pour les Sabres de Buffalo.

« Les commotions ont privé la LNH d’un très grand joueur de hockey», se souvient Pierre Gauthier qui, directeur général d’Équipe Canada avec Bob Gainey et Bobby Clarke, a perdu Paul Kariya à quelques semaines des Jeux olympiques de Nagano en raison de l’assaut de Gary Suter.

« Les résultats à Nagano auraient été bien différents si on avait eu Paul avec nous et si nous n’avions pas perdu Joe Sakic qui s’est défait un genou en ronde éliminatoire. Mais le pire c’est pour la carrière de Paul dans la LNH. C’est vrai que le hockey est moins physique aujourd’hui, mais Paul pourrait difficilement être meilleur qu’il ne l’a été. Il aurait peut-être pu jouer plus longtemps. C’est la grosse différence à mes yeux. Avec Teemu et Steve Rucchin – le chanceux qui a hérité du rôle de centre au sein de ce trio – Paul était parmi les meilleurs de la LNH. Il a été critiqué parce qu’il ne parlait pas beaucoup, mais c’était dans sa nature. Il n’y avait que le hockey, ses coéquipiers et sa famille qui comptaient pour lui. Paul s’entraînait 12 mois par année parce qu’il n’arrivait pas à conserver sa masse musculaire. Il devait s’entraîner à l’année pour garder sa forme parfaite. C’était un gars engagé. Quand il décidait de prendre le club sous son aile, il sortait les joueurs et savait les rassembler. C’était aussi un athlète engagé. Il aurait pu s’acheter des voitures de grand luxe et s’offrir tout ce qu’il voulait. Mais je me souviens qu’il arrivait tous les matins avec une auto bien ordinaire qu’il a usée au fil des ans comme le font les gens ordinaires. C’était ça Paul Kariya. Un joueur de hockey extraordinaire, remarquable même, mais aussi un homme vrai, entier, qui donnait de la crédibilité au hockey et à notre franchise. Paul était un joueur unique. Un homme unique », conclu Pierre Gauthier.