John Tortorella s’est ennuyé des joueurs, de la vie dans le vestiaire, de la griserie de la victoire et de l’agonie de la défaite pendant le purgatoire qui a suivi son congédiement à Vancouver en mai 2014 et qui s’est prolongé jusqu’à son embauche à Columbus le 21 octobre dernier.

« Je ne me suis certainement pas ennuyé de vous », a déclaré pince-sans-rire le nouvel entraîneur-chef des Blue Jackets.

Pourtant, après avoir habitué les journalistes à des points de presse éclair qui duraient rarement plus d’une minute, Tortorella a échangé avec les journalistes pendant 12 minutes et 11 secondes bien comptées mardi matin au Centre Bell.

Plus encore, le coach bourru qui balayait du revers les questions qui le rebutaient s’est montré respectueux, affable, attentif, généreux dans ses échanges avec les journalistes. Par moment, il semblait presque sensible.

« Je n’irais pas jusqu’à mettre les mots "sensible" et "Tortorella" dans la même phrase, mais il est clair que John a une nouvelle approche. Il est et sera toujours un coach exigent, mais il est peut-être plus réservé », a indiqué Brandon Dubinsky, croisé dans le vestiaire des Blue Jackets après l’entraînement optionnel de son équipe ce matin.

Un fils soldat d’élite

Après avoir répondu longuement aux questions reliées au hockey et à son équipe, John Tortorella s’est arrêté net lorsque je lui ai demandé s’il était prêt à répondre à quelques questions sur l’aventure de son fils Dominick qui est un soldat d’élite au sein de l’armée américaine.

J’ai cru un moment que Tortorella m’enverrait sèchement paître à quelques heures de l’affrontement contre le Canadien. C’est tout le contraire qui est arrivé.

« Les questions reliées à l’aventure de "Nick" et de tous ceux qui vivent la même passion que lui sont bien plus importantes que toutes les questions reliées au hockey », a lancé Tortorella.

Soudainement, ce n’était plus l’entraîneur-chef des Blue Jackets qui se tenait devant moi, mais un père à la fois très fier de son fils, mais aussi affreusement inquiet face aux risques immenses avec lesquels il doit composer quotidiennement.

Soldat d’élite au sein du 75e régiment de Rangers, Dominick Tortorella, âgé de 25 ans, est au front quelque part dans le monde. Son père et ses proches n’ont aucune idée de l’endroit où il était hier, où il est aujourd’hui, où il sera demain. Ils savent toutefois que lui et ses compagnons d’armes sont largués dans les endroits les plus hostiles de la terre.

« Je me tiens le plus loin possible de tout ce qui est nouvelle sportive. Mais depuis que Nick a amorcé ses campagnes au sein de sa brigade élite, je dois admettre que je suis attentivement l’actualité internationale. Quand CNN lance une nouvelle de dernière minute sur un conflit quelque part sur la planète, j’ouvre les yeux et les oreilles. Ça m’intéresse parce que je me dis que c’est peut-être là où mon fils s’en ira. Ou qu’il y est déjà », a expliqué Tortorella.

Si l’entraîneur-chef peut composer avec les problèmes que le hockey place sur sa route quotidiennement et apporter les correctifs qui s’imposent, il est à la merci des rares nouvelles qu’il obtient sur les allées et venues de son fils. Qu’elles soient bonnes ou mauvaises.

« Comme parent, c’est l’absence d’information qui est le plus difficile à gérer. À la base, tu sais qu’il est en danger. Comme tous les parents des soldats qui ont choisi le même défi que Nick, on vit dans donc l’attente. On pense à lui tous les jours. On prie pour lui et ses camarades tous les jours. Nous savons qu’ils sont très bien entraînés. Qu’ils sont braves. Qu’ils sont parmi les meilleurs soldats du monde. Qu’ils vivent leur rêve et leur passion de faire une différence dans le monde. Mais il est normal de s’inquiéter. Je te dirais que c’est la fierté qui nous tient. Nous sommes fiers de notre fils mon épouse et moi. Nous sommes fiers de ses compagnons d’armes. C’est une grande source de réconfort », expliquait Tortorella mardi matin au Centre Bell.

La journée de l'Action de grâce est venue et passée aux États-Unis jeudi dernier. Plus grande fête familiale chez nos voisins américains, l’Action de grâce donne lieu aux plus grands rassemblements familiaux de l’année. Plus que Noël ou que toutes les autres fêtes encerclées sur le calendrier.

Chez les Tortorella, cette fête s’est déroulée en l’absence du fils-soldat.

« Il nous arrive de recevoir un appel. C’est toujours réconfortant de pouvoir lui parler. De savoir qu’il va bien. Qu’il est en santé. Qu’il est vivant. On espérait des nouvelles à l'Action de grâce, mais nous n’en avons pas eu. On espère en avoir à Noël. Est-ce que ce sera par le biais d’un appel, d’une carte, d’une visite-surprise? On ne le sait pas. Mais peu importe où il sera, il sera avec nous », a conclu Tortorella.

Palmarès éloquent

John Tortorella n’a pas besoin du hockey pour être heureux. Il a soulevé la coupe Stanley en 2004 alors qu’il dirigeait le Lightning de Tampa Bay. Il s’est rendu en finale d’association en 2012 avec les Rangers de New York. Ses équipes ont accédé aux séries 8 fois au cours de ses 12 saisons à titre d’entraîneur-chef dans la LNH. Il occupe déjà le premier rang de tous les entraîneurs-chefs américains pour le nombre de victoires (456) en carrière dans la LNH et sera à la barre de Team USA lors de la prochaine Coupe du monde de hockey qui se déroulera à Toronto en septembre prochain.

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Ajoutez à ce palmarès le fait qu’il aurait pu empocher les huit millions $ que les Canucks lui devaient après l’avoir congédié au terme de la première saison de son contrat de cinq ans, et vous avez un tas de raison qui aurait pu pousser Tortorella à consacrer le reste de sa vie à sa famille et aux chiens maltraités et abandonnés que lui et son organisme récupèrent aux quatre coins des États-Unis pour les soigner et leur trouver ensuite des refuges.

Il a plutôt décidé de sauter sur l’offre des Blue Jackets.

« J’aime le hockey. J’aime l’aspect enseignement qui est primordial surtout au sein de cette jeune organisation qui doit apprendre à gagner et à faire ce qui doit être fait pour y arriver. J’aime l’activité autour du vestiaire. J’aime guider les joueurs. J’aime les voir fêter après une victoire, entendre la musique forte après ces victoires qui récompensent les efforts déployés à l’entraînement. C’est ce qui m’a incité à revenir. On a une belle équipe ici. On a de bons joueurs. Il y a beaucoup de travail à faire, mais nous avons amorcé un virage », expliquait Tortorella.

Bien qu’ils soient encore bons derniers dans l’Est après un début de saison catastrophique de huit revers consécutifs – Tortorella a été embauché au lendemain de la septième défaite –, les Blue Jackets jouent du bien meilleur hockey depuis l’entrée en scène de leur nouveau coach.

Ils présentent un dossier de 10-8 depuis son arrivée. Plus encore que cette fiche gagnante, les Jackets sont dans le coup tous les soirs.

Tortorella a d’ailleurs réussi à relever le premier défi qu’il s’était fixé en arrivant à Columbus : réduire le nombre de buts accordés. Les Jackets sont toujours derniers dans l’Est avec 76 buts accordés en 25 matchs. Mais après en avoir accordé 34 lors des sept premières parties (3,04 par matchs) ils en ont accordé 42 lors des 18 matchs dirigés par Tortorella, ce qui représente une moyenne de 2,33 buts accordés par rencontre. Une moyenne qui place les Jackets dans le top-10 de la LNH.

À l’image de l’équipe qui évolue devant lui, Sergei Bobrovsky – il sera devant le filet contre le Canadien mardi soir – affiche de bien meilleures performances.

Ryan Johansen joue aussi du bien meilleur hockey. Le grand joueur de centre affiche cinq buts et dix points à ses 10 derniers matchs après s’être contenté d’un but et huit points lors des 15 premiers matchs de la saison, dont 2 qu’il n’a pas disputés après avoir été laissé de côté par Tortorella qui lui reprochait sa mauvaise forme physique.

Malgré cet éveil, le nom de Johansen est au centre de la majorité de rumeurs de transactions impliquant les Blue Jackets. Fait à noter, ni le président des opérations hockey John Davidson ni le directeur général Jarmo Kekalainen sont à Montréal pour l’affrontement face Canadien. Ils sont tous deux en missions de dépistage et c’est Bill Zito, le DG adjoint qui a accompagné l’équipe au Centre Bell.

ContentId(3.1164129):Blue Jackets : la troupe de John Tortorella est prête à affronter le Canadien ce soir au Centre Bell.
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Les succès des Jackets passent aussi, et surtout, par Brandon Dubinsky dont John Tortorella parle aujourd’hui avec éloquence après l’avoir souvent criblé de critiques lorsqu’il le dirigeait avec les Rangers de New York.

« Brandon est un leader. Un travaillant. "Dubi" affiche beaucoup plus de maturité qu’à ses débuts à New York. C’est lui qui donne le ton à notre équipe et l’équipe le suit. Vendredi dernier, à Pittsburgh, il a été notre meilleur joueur sur la glace. Il a fait ce qu’il fait de mieux : il a déstabilisé ses adversaires », a raconté Tortorella qui a aussi défendu son protégé qui a fait l’objet d’une suspension d’un match pour ses doubles-échecs assénés à la nuque et au bas du dos de Sidney Crosby.

« Il méritait une pénalité. C’est clair. Je ne suis pas d’accord avec la suspension. Brandon l’a purgée, il nous a d’ailleurs beaucoup manqué lors de notre dernier match à St Louis (défaite de 3-1), mais il sera de retour en forme et en force ce soir. Je m’attends d’ailleurs à ce qu’il nous offre un gros match ce soir face à l’une des meilleures équipes de la LNH », a conclu Tortorella.