Il y a un an, sur le parquet du repêchage tenu au Prudential Center du New Jersey, un jeune entraîneur à peine débarqué dans la Ligue nationale, Patrick Roy, volait la vedette en réclamant Nathan MacKinnon comme tout premier choix de la moisson 2013.

Au cours des mois précédents, les observateurs étaient d'avis que l'Avalanche du Colorado réclamerait Seth Jones, un défenseur format géant, un produit local de surcroît. Jones, un joueur de couleur, était également susceptible de valoir une nouvelle clientèle à cette organisation en chute libre au niveau des assistances.

Si l'Avalanche avait laissé le grand patron, secteur hockey, décider de ce premier choix, on ne doute pas que Jones aurait été la sélection de Joe Sakic et de ses recruteurs. Toutefois, à l'occasion de discussions préliminaires avec les hommes de hockey de l'équipe, Roy avait mis son pied à terre. « Un petit instant, leur avait-il dit. Le joueur qu'il nous faut est Nathan MacKinnon. Notre premier choix, ce sera lui et personne d'autre. » Ça devait ressembler à ça comme ultimatum.

En connaissez-vous beaucoup des entraîneurs n'ayant pas encore dirigé un match dans la Ligue nationale et qui se permettent de prendre une décision comme celle-là? Pas un seul candidat issu des rangs juniors n'a déjà joui du pouvoir de décision de Roy dans cette ligue. C'est un statut qu'il a négocié et obtenu.

À titre d'entraîneur des Remparts, Roy avait vu jouer régulièrement MacKinnon. Il en savait suffisamment sur lui pour être convaincu de son talent au niveau professionnel. MacKinnon a du chien dans le nez. Il y a du Sidney Crosby en lui. Donc, personne n'a vraiment été étonné que Roy ait fait valoir son opinion avec autant de fermeté.

Pour le reste, on se disait que l'Avalanche ne serait pas aux bout de ses peines avec Roy, un gars reconnu pour prendre de la place partout où il passe. On l'imaginait déjà empiétant sur les responsabilités de Sakic, un ami et coéquipier de longue date.

Dès le premier match de la saison, quand Roy a balancé une baie vitrée, séparant les bancs des joueurs, dans la face de l'entraîneur des Ducks, Bruce Boudreau, on a qualifié son comportement de «stuff de junior» alors que dans les faits, Roy a voulu démontrer à l'ensemble de la ligue que le temps où on se moquait de l'Avalanche était révolu. Il voulait aussi passer le message à ses joueurs qu'il serait là pour eux quand ils se feraient malmener, comme ce fut le cas ce soir-là.

Des messages très clairs

Tous les messages de Roy ont donc été passés en très peu de temps. Primo, il a démontré qu'il connaissait son affaire en repêchant le gagnant éventuel du trophée Calder. Secondo, il a redonné à l'Avalanche sa crédibilité perdue en faisant passer l'équipe des bas-fonds de la ligue à la seconde place dans la très puissante Association ouest. L'exploit lui a valu de mériter le titre d'entraîneur de l'année à son année recrue.

L'Avalanche possédait un très bon noyau de jeunes joueurs qui n'allaient nulle part parce qu'ils ne savaient pas gagner. Or, pour gagner, on leur a déniché le meilleur professeur qui existe. Roy a vite changé l'ambiance dans la chambre. Sur la glace, il a entraîné les joueurs dans son sillon. Résultat: l'équipe a égalé son record d'équipe de 52 victoires. Et qui croyez-vous leur avait permis d'établir cette marque? Roy, évidemment. En 2001, il avait aussi amassé au passage une quatrième coupe Stanley et un troisième trophée Conn Smythe.

On ne se moque plus de l'Avalanche. On se moque encore moins de Roy qui ne cessera pas de talonner ses joueurs tant qu'il ne gagnera pas sa première coupe Stanley à titre d'entraîneur. Personne ne doute qu'il y arrivera car partout où il est passé, il a gagné, comme on en a eu une autre preuve cette saison.

Comment ne pas prendre au sérieux le seul entraîneur de la ligue à avoir mérité la coupe Stanley comme joueur? Il a réussi l'exploit à quatre occasions au sein de deux formations différentes. Bilan de la confrérie : 29 entraîneurs, aucune bague. Patrick Roy : quatre bagues. Mieux encore, il est l'unique entraîneur-chef membre du Panthéon du hockey dans une ligue où 18 entraîneurs n'ont même pas eu une carrière dans ce circuit.

Incidemment, depuis que Roy a dirigé son premier match en octobre, pas moins de neuf entraîneurs ont déjà été remerciés. A ce rythme, dans deux ou trois ans, il sera considéré comme un doyen.

Toujours la même réponse

Au cours des dernières années, quand on demandait à Roy ce qu'il attendait pour faire ses débuts dans la Ligue nationale, il répétait à qui voulait l'entendre qu'il ne se sentait pas prêt. Pourtant, il accumulait les saisons gagnantes dans les rangs juniors où il avait même remporté une coupe Memorial.

Ça ne suffisait pas. Il lui fallait apprendre tous les trucs imaginables. Rien ne pressait. L'important pour lui, c'était d'être le meilleur entraîneur possible quand une offre impossible à refuser allait lui être présentée. Il savait sans doute depuis longtemps qu'il allait poursuivre sa carrière à un niveau supérieur.

Peut-être attendait-il une équipe attrayante? En fait, il n'y en avait que deux sur sa liste: dans l'ordre le Canadien et l'Avalanche. Il a probablement vécu d'espoir quand Marc Bergevin l'a rencontré. Malheureusement, la discussion a été de courte durée. On a peut-être eu peur que son style abrasif enflamme le Centre Bell et le Québec. Chez le Canadien, on n'est pas entiché par les athlètes qui occupent trop de place. N'est-ce pas le reproche qu'on lui a adressé quand il a quitté l'organisation dans les circonstances que l'on sait? Pourtant, ce reproche semble bien inutile quand on gagne en prenant la place qu'il faut pour faire une différence. 

L'important, c'est que Bergevin ne se soit pas trompé dans le choix qu'il a fait. Pour ce qui est de Roy, c'est la seconde fois dans sa carrière que les choses tournent vraiment bien en choisissant le Colorado comme destination. Après avoir quitté le Canadien, il est allé empocher des salaires mirobolants et gagner deux autres coupes à Denver. Jamais, il n'aurait touché un salaire de 8 millions $ à Montréal. Dix-neuf ans après son départ, P.K.Subban pourrait être le premier joueur à atteindre ce sommet salarial.

Jamais, il n'aurait détenu un tel statut d'autorité et jamais il n'aurait eu droit à la décision finale en matière de transactions s'il avait obtenu le poste d'entraîneur à Montréal. Comme quoi, tout est bien qui finit bien.

C'est une façon de parler parce que la vraie vie, malgré sa très longue feuille de route, commence à peine pour lui. Roy a gagné sa première coupe Stanley à 20 ans, il est au Panthéon et son chandail est retiré dans deux villes différentes. La seule étape qu'il n'ait pas encore franchie, c'est une coupe Stanley à titre d'entraîneur, ce qui ne saurait tarder.

Pierre Lacroix, qui a dirigé les premiers pas de sa carrière à titre d'agent, n'est pas du tout étonné de ce qui se passe. « Comme client, Patrick savait déjà ce qu'il voulait, a-t-il déjà raconté. On dit que les gardiens sont des gens spéciaux. Il avait des caractéristiques qui annonçaient ça. »