MONTRÉAL – Pendant ses cinq premières années dans l’organisation du Lightning de Tampa Bay, Daniel Walcott n’avait touché à la Ligue nationale que par malchance ou par sa propre initiative.

Il y a eu cette fois où il avait décidé d’aller prolonger son printemps en Floride après une élimination précoce avec le club-école de la Ligue américaine. Celle, aussi, où il était resté avec le grand club pour soigner une blessure subie lors du camp d’entraînement. De bonnes anecdotes à raconter, mais rien pour se vanter non plus. Son objectif ultime, bien qu’il croyait s’en approcher, lui échappait toujours.

En avril dernier, le téléphone a sonné. En pénurie de joueurs, le Lightning l’invitait sur son escouade de réserve. Son premier vrai rappel dans la LNH.

De défenseur à attaquant : une transition payante

« Juste ça, c’était assez pour moi au début, raconte le Québécois de sa chambre d’hôtel de Tampa. Je savais que je n’allais pas jouer tout de suite, peut-être pas du tout. Mais juste être autour des gars, faire les voyages, c’était une expérience incroyable. »

Cette petite histoire sympathique a pris des proportions gigantesques au cours des derniers jours. Dimanche, Walcott a reçu un appel de l’entraîneur-chef Jon Cooper, qui voulait le prévenir qu’il pourrait faire appel à lui dans le dernier match de la saison régulière. Le lendemain, après une nuit écourtée par la nervosité, la recrue de 27 ans a obtenu la confirmation qu’il attendait.

Mais Cooper ne lui avait pas tout dit. Ce n’est qu’en arrivant à l’aréna, quelques heures avant son premier match dans la LNH, que Walcott a constaté qu’il formerait un trio avec Mathieu Joseph et Gemel Smith, deux joueurs Noirs comme lui. Ça ne s’était jamais vu dans l’histoire plus que centenaire de la Ligue.

« On a ri, on trouvait ça drôle et on était excités parce que les trois gars, on est des grands chums. Mais on n’avait vraiment pas réalisé à quel point on aurait un impact dans le monde du hockey, avoue-il en rétrospective. Après le match, quand j’ai regardé mon téléphone, c’était TSN, NHL... Gemel aussi avait son cell et me disait : ‘Hey, c’est toi qui viens de jouer son premier match ou c’est moi?’ »

« Là, j’y pense et je réalise à quel point c’était un beau moment, un gros moment. On peut être une inspiration pour des jeunes de couleur et j’espère que c’est le cas. J’espère vraiment que c’est le cas », souhaite celui qui a grandi en voulant suivre les traces de Jarome Iginla.

Sur la glace, l’ancien capitaine de l’Armada de Blainville-Boisbriand a trouvé le moyen de laisser sa marque. Dans une défaite de 4-0, il a été crédité de sept mises en échec et a engagé le combat avec le colosse Kevin Connauton.

« C’est sûr que mon rôle, je savais très bien c’était quoi. Mon jeu, c’est très simple. Finir mes mises en échec, aller au but, prendre des tirs, peut-être brasser la soupe un peu. Je suis content sur cet aspect-là. C’est sûr que j’aimerais ça continuer à jouer. Je ne veux pas être un one-and-done. Je pense que j’ai d’autres choses à montrer aussi. Comme je dis, j’ai joué ma première, j’étais satisfait de ma première, mais je peux en donner plus et j’espère que j’aurai la chance de le faire. »

Une série de refus

Peu importe sa suite, l’histoire de Daniel Walcott a de quoi inspirer les jeunes de tous les milieux et de toute origine.

Au début de l’adolescence, après une première saison au niveau Pee-Wee AA, il déménage avec sa mère à Rigaud et s’inscrit au Collège Bourget. « On n’avait pas vraiment les moyens de voyager, de faire les tournois dans le AA. Alors j’ai joué dans le BB cette année-là », narre le natif de l’Île-Perrot.

À partir de l’année suivante, Walcott délaisse presque complètement le hockey et se concentre plutôt sur le football. « Je touchais un peu à tout. Je m’amusais comme n’importe quel étudiant du secondaire avec mes chums », dit-il simplement.

« Je n’ai pas fait l’équipe au Cégep St-Laurent »

Après un temps, Walcott décide de renouer avec le hockey. Il ambitionne d’aller jouer avec les Patriotes du Cégep St-Laurent, en première division du réseau collégial québécois. Mais sa mince feuille de route ne lui vaut qu’une invitation au camp d’entraînement, où il ne peut convaincre qui que ce soit de lui accorder une chance. Il quitte donc rejoindre son père à Chicago et y trouve une équipe prête à l’accueillir. « Ça a donné comme un deuxième boost à ma carrière. »

Un an plus tard, Walcott vise la United States Hockey League (USHL) ou la North American Hockey League (NAHL), deux circuits juniors aux États-Unis. « J’ai fait cinq ou six camps, je pense, et toujours la même réponse. J’étais trop petit ou j’étais considéré comme un joueur étranger et les équipes n’avaient plus de place disponible. »

Mais un entraîneur d’une petite université au Missouri le remarque et lui offre une bourse. Walcott y passe un an, puis lorsqu’il apprend que l’un de ses entraîneurs connaît bien Jean-François Houle, alors le pilote de l’Armada, il lui demande de glisser un mot à son sujet. Non seulement gagne-t-il sa place au camp d’entraînement l’automne suivant, mais il devient le pilier et le grand leader de la brigade défensive de sa nouvelle équipe.

À la fin de l’année, il est repêché en cinquième ronde par les Rangers de New York.

La bonne position

Un autre obstacle se dresse devant Walcott lorsqu’il fait le saut chez les professionnels, deux ans après son retour au Québec. À Syracuse, où il aboutit après avoir été échangé au Lightning, il y a congestion à la position de défenseur.

« À un moment donné, on est allé à St. John’s avec neuf défenseurs et neuf attaquants. Le coach, Rob Zettler, qui est aujourd’hui l’assistant ici à Tampa, m’avait demandé si je pouvais jouer à l’attaque pour dépanner l’équipe. J’ai dit oui. Je voulais juste être dans l’alignement. J’avais bien fait, il avait aimé ma présence physique en échec-avant. Alors pour cette année-là, j’ai fait du moitié-moitié. Certains matchs, je commençais à l’attaque et je finissais à la défense. D’autres fois c’était le contraire. »

Quand Benoît Groulx prend la relève de Zettler l’année suivante, Walcott lui dit qu’il souhaite obtenir une véritable chance de s’imposer comme défenseur. Mais des blessures dans le groupe d’attaquants l’incitent une fois de plus à se porter volontaire pour le bien collectif.

« Ben m’a vu à l’attaque pour la première fois et il a aimé ce qu’il a vu. J’étais donc rendu avec la même situation, je jouais aux deux places. Mais j’avais réalisé que j’étais très efficace à l’attaque, que Ben aimait ça, et je ne voulais plus être pris entre deux positions. »

La croisée des chemins survient à la fin de son contrat d’entrée. Pour maximiser ses chances d’atteindre la Ligue nationale, Walcott décide qu’il est temps de penser un peu plus à lui et de se concentrer une fois pour toutes sur une position unique. Il s’assied avec Groulx, consulte Joël Bouchard, son mentor avec l’Armada, et arrive à la conclusion qu’il sera désormais un attaquant à temps plein.

Encore aujourd’hui, il remercie Benoît Groulx de l’avoir appuyé dans sa décision.

« Tu sais, il faut que tu trouves ton chemin pour jouer dans la Ligue nationale, nous avait dit Groulx en février dernier. Scott Walker, avec qui j’ai coaché dans le programme de Hockey Canada, était un défenseur dans la Ligue junior de l’Ontario. Un très bon défenseur. Et puis il a joué 12-15 ans dans la Ligue nationale à l’aile droite, parce qu’il a trouvé son chemin. »

« Daniel Walcott, sans dire que c’est Scott Walker, c’est un joueur d’énergie, c’est une peste pour l’adversaire. Chez nous, on l’a développé comme un joueur qui joue en désavantage numérique. Il a beaucoup amélioré ses tracés sur la glace, sa façon de réagir, etc. C’est un gars qui se sacrifie pour l’équipe en bloquant des lancers. Dans l’ensemble, je crois qu’il a pris une bonne décision en allant jouer à l’attaque. On verra où tout ça va l’amener... »

Trois mois plus tard, quand Jon Cooper a appelé Daniel Walcott pour lui demander de se tenir prêt, il avait une question pour lui. « Si tu joues demain, où t’aimerais mieux jouer? »

« Il voulait dire "aile gauche ou aile droite?", mais j’ai répondu : "tu veux dire défense ou attaque?", rigole le nouveau numéro 85 du Lightning. Il a trouvé ça drôle et m’a dit : "Ben oui, c’est vrai! Si jamais on a besoin..." Ça va toujours me suivre, mais ça ne peut pas nuire à mes chances de percer et de rester. »