MONTRÉAL – À Erie, on savait bien avant que les joueurs des Otters reviennent en ville pour le début de la saison 2015-2016 que Connor McDavid ne jouerait plus jamais une autre partie au niveau junior. On se préparait aussi à la possibilité de ne plus revoir Dylan Strome, qui était parti faire sa place au camp d’entraînement des Coyotes de l’Arizona.

Loin de pleurer le possible départ de ses deux coéquipiers, Alex DeBrincat y a vu l’opportunité parfaite de passer son message. Ils étaient plusieurs à expliquer les succès qu’il avait connus à sa saison recrue par la présence de McDavid et à douter de ses capacités à produire sans l’aide d’un joueur de centre étoile. Il allait leur prouver qu’ils avaient tort.

« Il ne fait aucun doute que je voulais utiliser ces rencontres pour prouver que je pouvais jouer sans eux et je crois l’avoir fait, estime DeBrincat avec le recul. J’ai connu un départ canon. J’ai fini par ralentir quelque peu, mais je peux dire que dans l’ensemble, j’ai connu une saison dont je peux être fier. »

Comment fermer le clapet à ses détracteurs? DeBrincat a utilisé une méthode simple : faire ce qu’il fait de mieux – marquer des buts – et le faire souvent. Très souvent.

Utilisé au centre de deux autres joueurs de 17 ans, Taylor Raddish et Kyle Maksimovich, il a marqué une fois et ajouté une aide à son premier match de la saison, une victoire de 5-4 contre le Sting de Sarnia. Six jours plus tard, il a frappé un grand coup en enfilant cinq buts dans un gain de 6-1 sur les IceDogs de Niagara.

Strome est finalement revenu à Erie au début du mois d’octobre. À son premier match avec son nouveau joueur de centre, DeBrincat a marqué quatre buts.

« Bien sûr qu’Alex a bénéficié de la présence de Connor. Qui n’en bénéficierait pas? », demande l’entraîneur des Otters d’Erie, Kris Knoblauch. « Mais je crois que trop peu de personnes lui ont donné la part de mérite qui lui revenait et comprenait à quel point il était bon. Je crois aussi que ces doutes ont été éliminés très rapidement à sa deuxième année avec nous. »

DeBrincat a fini par retrouver une cadence plus réaliste, mais pas avant d’avoir mis le feu à l’OHL pendant près de deux mois. Il a marqué au moins un but dans six matchs de suite entre le 28 octobre et le 10 novembre, séquence au cours de laquelle il a notamment complété deux tours du chapeau. Après 16 matchs, il avait déjà 25 buts à sa fiche.

Le jeune natif du Michigan s’en est finalement plutôt bien tiré sans l’aide de Connor McDavid. Il a complété la saison avec 51 buts, égalant sa marque de l’année précédente, et un total de 101 points en seulement 60 rencontres.

« Pensez à plusieurs marqueurs naturels qui sont passés dans la Ligue nationale, propose le directeur de la Centrale de recrutement de la LNH, Dan Marr. Les Brett Hull, Eric Lindros, Ilya Kovalchuk... En avantage numérique, tout le monde savait qu’ils allaient trouver le moyen de se positionner pour décocher ce tir qui était leur marque de commerce. Mais comment se faisait-il qu’ils trouvaient tout de même le moyen de se démarquer? C’est l’atout que possède Alex DeBrincat. Il a ce sixième sens qui lui permet d’échapper à ses couvreurs et de mettre la rondelle dans le filet. Son arsenal comprend une variété de lancers qui lui permettent tous de terminer le travail. »

Un problème de taille

Il y a toutefois un point important dont on ne vous a pas encore parlé.

Chaque année, un joueur ultra-talentueux, mais au gabarit douteux, suscite la curiosité et alimente les discussions en marge du repêchage de la LNH. L’année dernière, par exemple, on parlait beaucoup de Jeremy Bracco, un attaquant doué, mais frêle que les Maple Leafs de Toronto ont repêché avec le tout dernier choix de la deuxième ronde.

Alex DeBrincatCette année, cet honneur revient à DeBrincat, un lilliputien ailier gauche de 5 pieds 7 pouces et 160 livres.

Chez ISS Hockey, une firme indépendante qui évalue annuellement, depuis 14 ans, les meilleurs espoirs d’âge junior, on admet que l’inclusion de DeBrincat dans la liste finale des 30 joueurs les plus prometteurs de la cuvée 2016 n’a pas fait l’unanimité. Son directeur, Dennis MacInnis, affirme pourtant sans hésiter que les habiletés du jeune homme se comparent à celles d’espoirs qu’on dit destinés au top-10.

« Il a probablement été la plus grande source de débat quand nous nous sommes réunis pour rédiger notre simulation de la première ronde cette année, confie MacInnis. Je viens de la vieille école, j’ai tendance à mettre la barre à environ 5 pieds 9 pouces. Mais plusieurs jeunes évaluateurs au sein de notre équipe arguaient, et avec raison, que dans la LNH d’aujourd’hui, il était possible pour des joueurs plus petits de faire leur marque. J’ai finalement décidé de hisser le drapeau blanc et de l’inclure dans notre première ronde en raison de ses talents de marqueur. »

MacInnis soulève l’exemple populaire de Johnny Gaudreau qui, avec toute la force que lui confèrent ses 157 livres, propulse l’attaque des Flames de Calgary depuis deux ans. Gaudreau a été un choix de quatrième ronde en 2011, mais son succès et celui d’autres joueurs issus du même moule contribuent à défoncer les portes pour les joueurs de petite stature.

« Il y a beaucoup de plus petits joueurs dans la Ligue aujourd’hui si on compare même à il y a quelques années, a bien sûr remarqué DeBrincat. Ces gars-là connaissent du succès et il ne fait pas de doute qu’ils m’ont pavé la voie. D’une certaine façon, je suis chanceux d’arriver à la bonne époque. »

« Certaines organisations ne sont simplement pas intéressées aux petits joueurs et celles-là n’ont probablement pas de temps à perdre avec Alex. Mais je crois que la majorité des équipes de la LNH, sans vouloir être trop petites, réalisent que le talent est plus important que la taille, résume Kris Knoblauch. Marquer des buts, c’est plus important que de compléter une mise en échec. Je crois qu’il n’y a plus d’inquiétude à avoir à propos de ce que ce type de joueur peut apporter, en autant qu’ils possèdent cet esprit de compétition. Et Alex le possède. »

Brendan Gallagher comme modèle

Si Alex DeBrincat croit qu’il peut réussir à faire sa place dans la Ligue nationale, c’est qu’il n’est pas le genre de marqueur naturel qui fait dans la dentelle. Il compare lui-même son style de jeu à celui de Brendan Gallagher, que le Canadien a repêché en cinquième ronde après la première de ses trois saisons d’au moins 40 buts dans la Ligue junior de l’Ouest.

« C’est un petit joueur combatif qui aime marquer ses buts en se mettant le nez dans le trafic. C’est exactement où j’aime jouer », compare celui que la Centrale de recrutement de la LNH classe au 21e rang sur sa liste des meilleurs patineurs nord-américains.

« Ses buts se ressemblent pas mal tous. La plupart d’entre eux proviennent de l’enclave, à peu près à la hauteur des points de mises en jeu. C’est pas mal là qu’il fait ce qu’il a à faire », confirme Knoblauch.

« À son année recrue, on avait un défenseur de 6 pieds 5 pouces qui s’appelait Kurtis MacDermid, raconte l’entraîneur des Otters. Alex voulait y être opposé dans les entraînements et il ne reculait jamais. Je crois qu’il a compris que s’il ne fait pas tout ce qui faut pour être compétitif, il n’est qu’un joueur moyen. Et il ne veut pas être moyen. »

« Il a certainement prouvé qu’il pouvait prendre des coups, concède Dennis MacInnis. Il est très agile pour éviter les collisions, et lorsqu’il les encaisse, il se relève immédiatement sans perdre le fil du jeu. Ça, il faut le lui donner. »

DeBrincat réalise qu’à défaut d’avoir les épaules plus carrées, il devra compenser en excellant dans les autres facettes de son jeu. Lui-même ne croit pas en ses chances de jouer dans la LNH s’il n’améliore pas son coup de patin. Mais « si », c’est un mot beaucoup trop petit pour lui résister.

« Toute ma vie, j’ai dû prouver aux autres qu’ils avaient tort et jusqu’ici, ça a plutôt bien fonctionné. Je crois avoir ouvert bien des yeux depuis deux ans », dit le petit franc-tireur.