MONTRÉAL – Caractère. Leadership. Dévouement. Ces trois mots sont si souvent associés à Tyson Jost qu’on pourrait croire qu’on les lui a tatoués avant qu’il quitte le berceau.

Mais si c’était le cas? Si la principale force de Tyson Jost ne se trouvait pas dans les milliers d’heures qu’il a passées à perfectionner ses habiletés sur la patinoire, à souffrir au gymnase ou à étudier les faiblesses de ses adversaires dans la fluorescence de rayons cathodiques, mais plutôt dans une partie de son ADN?

Un meneur né qu’on dit sculpté dans le même moule que Jonathan Toews, Jost affirme lui-même qu’il tire sa force de la résilience de sa mère Laura, qui a élevé ses deux enfants sans l’aide d’une présence paternelle.

« Je ne veux pas prétendre que j’ai eu une enfance difficile parce que ce n’est pas le cas, clarifie le jeune homme qui se dresse aujourd’hui sur le seuil de la grande porte menant à la Ligue nationale. Mais j’ai tellement de respect pour les sacrifices que ma mère a faits pour nous que chaque jour de ma vie, je tente de mettre en pratique les leçons qu’elle m’a enseignées. »

Le père de Jost a quitté la maison alors que son fils n’était qu’un bambin et n’est jamais revenu. Entre les entraînements de volleyball de l’aînée de la famille et les nombreux aller-retour à l’aréna pour le petit Tyson, la chef du clan a tenu le fort sans dévier des valeurs qu’elle voulait leur inculquer.

« Je crois que j’ai toujours été plus mature que les autres gars de mon âge à cause de notre situation familiale, avance Jost. J’ai toujours vu ma mère travailler pour tout ce qu’elle voulait et c’est ce qu’elle n’a jamais arrêté de me dire. Dans la vie, si on veut quelque chose, il faut travailler pour l’obtenir. Beaucoup de mes qualités proviennent d’elle et j’essaie seulement d’être le juste reflet de la battante qu’elle est. »

Dans ses fonctions de président, directeur général et entraîneur-chef des Vees de Penticton, de la British Columbia Hockey League (BCHL), Fred Harbinson se targue d’investiguer en profondeur le profil des jeunes qu’il recrute de façon à dénicher des joueurs de caractère pour se doter d’un vestiaire fort. Ses premiers contacts avec la famille de Tyson Jost, qui a aussi profité de l’encadrement de ses grands-parents maternels, l’ont rassuré.   

« La façon dont on doit manœuvrer avec les jeunes et leurs parents a beaucoup changé au cours des vingt dernières années, souligne Harbinson, qui vient de finir sa neuvième saison à la tête des Vees. De nos jours, tous les parents semblent enclins à trouver des excuses pour leurs ados. Mais cette famille provient de la vieille école. Depuis qu’on nous a confié Tyson, on nous fait une confiance aveugle pour l’éducation du jeune homme. Celui-ci est arrivé ici avec un grand sens des responsabilités et depuis le Jour 1, il a tout fait pour nous inciter à lui en confier. »

Jost a joué ses premiers matchs dans la BCHL comme joueur affilié alors qu’il n’était âgé que de 15 ans. L’année suivante, il a amassé 45 points en 46 matchs et a aidé les Vees à atteindre le tournoi de la Royal Bank Cup, où est couronnée chaque année la meilleure équipe junior A au Canada. À 17 ans, c’est à titre de capitaine qu’il a amorcé une campagne au cours de laquelle il allait empiler 104 points en 48 matchs.

« Aujourd’hui, les jeunes joueurs de hockey se font enseigner ce qu’ils doivent dire et comment ils doivent agir. Mais avec Tyson, tout est naturel. Tout ce qu’il dit, tout ce qu’il fait est pensé en fonction de l’équipe. Ça fait longtemps que je fais ce métier, assez longtemps pour reconnaître les joueurs chez qui le leadership sonne faux. Tyson, lui, a ça dans le sang. »

Pascal Laberge était le cochambreur de Jost à Grand Forks, en mai, quand les deux attaquants sont allés représenter le Canada au Championnat du monde des moins de 18 ans. C’est le nom qui vient immédiatement aux lèvres de l’attaquant des Tigres de Victoriaville quand on lui demande si un coéquipier en particulier l’a impressionné lors de son récent passage en équipe nationale.

« C’est un gars super sérieux. Il veut faire ça dans la vie et ça paraît », a retenu Laberge.

« C’est drôle parce que le joueur qu’il tente d’imiter, dont il tente de suivre les traces, est Jonathan Toews, qui se fait surnommer ‘Capitaine Sérieux’. Tyson est de commerce fort agréable, ses coéquipiers l’adorent, mais vous savez quoi? Il n’est pas là pour rigoler, confie Harbinson. Ce n’est pas comme s’il passait ses journées à parler à 100 miles à l’heure. Il choisit ses moments pour prendre la parole, mais quand il le fait, ceux autour de lui écoutent. C’est difficile de ne pas vouloir suivre un gars comme lui. Et le reste, il s’en charge avec la qualité de son jeu. »

Confondre les sceptiques

Oui, parce qu’il ne faudrait pas faire l’erreur de limiter la contribution de Tyson Jost à son leadership. En plus d’être inspirant, le joueur de centre gaucher de 5 pieds 11 pouces et 191 livres est polyvalent et productif.

Son entraîneur depuis deux ans le décrit comme une valeur sûre dans le cercle des mises en jeu, une option en désavantage numérique, un travailleur consciencieux sur qui on peut compter dans chacune des trois zones. Sa force d’accélération en zone neutre, un point à améliorer à 16 ans, a pris du mieux grâce aux séances privées de patinage qu’il s’imposait hebdomadairement avec le personnel de son équipe junior.

« Il a toujours eu un instinct offensif, dit Fred Harbinson. Il est solide en protection de rondelle, vraiment difficile à déplacer lorsqu’il l’a en sa possession. Et il n’abandonne jamais. Les meilleurs joueurs de son âge sont souvent reconnus pour ce qu’ils peuvent faire avec la rondelle, mais Tyson travaille tout aussi fort quand vient le temps de la récupérer que lorsqu’il l’a sur sa palette. »

« C’est un gagnant, résume un recruteur de la LNH qui a accepté de livrer ses observations sous le couvert de l’anonymat. Je ne dis pas qu’il est aussi bon que Sidney Crosby, ce dernier lui est vraiment supérieur, mais leur style de jeu est similaire. Il se présente chaque soir, il joue blessé et il récolte ses points peu importe l’adversité à laquelle il doit faire face. C’est du leadership et de la constance. »

« Ça fait longtemps que nous suivons la progression de Tyson et des constantes ressortent de nos rapports, ajoute le directeur de la Centrale de recrutement de la LNH, Dan Marr. À chaque tournoi où nous l’avons observé, il était l’un des plus jeunes joueurs de son équipe, mais aussi l’un des meilleurs. Et la plupart du temps, il avait une lettre sur son chandail. Ça en dit long. C’est un jeune homme qui livre la marchandise, peu importe où il joue, avec qui il joue ou contre qui il joue. »

Jost a justement dû se battre contre les préjugés au cours des dernières années. Pour demeurer admissible à la bourse d'études que lui avait offerte l’Université North Dakota – la même par laquelle est passée Toews – il a dû tourner le dos aux Silvertips d’Everett et s’est plutôt enrôlé dans la BCHL, une ligue junior de calibre inférieur à la Ligue junior de l’Ouest (WHL) et moins reconnue que la United States Hockey League (USHL) son penchant américain.

À Penticton, Jost a assurément obtenu moins de visibilité qu’il en aurait reçu dans un marché plus traditionnel, mais il s’est assuré d’ouvrir les yeux chaque fois que Hockey Canada l’a appelé à endosser l’Unifolié sur la scène internationale. Lors des récents championnats du monde des moins de 18 ans, il a été le meilleur attaquant du tournoi avec une récolte de 15 points en seulement sept parties. Plusieurs observateurs ne l’ont vu apparaître sur leur radar qu’à ce moment, mais les plus attentifs n’ont pas bronché.

« Ça ne m’a pas surpris le moins du monde, répond Harbinson. La seule chose qui m’inquiétait, c’est que je savais qu’il avait terminé les séries avec deux blessures distinctes et je me demandais s’il allait être prêt pour le tournoi. Mais jamais je n’ai douté qu’il pouvait être aussi dominant contre l’élite de son groupe d’âge. »

« Tous ces gars jouaient dans la LCH, moi dans la BCHL, j’en étais conscient. Je voulais vraiment profiter de cette occasion pour prouver à tout le monde que j’avais ma place parmi les meilleurs au monde. C’était très important pour moi et je pense l’avoir fait », se réjouit le natif de l’Alberta.

Le « coming out » de Tyson Jost a placé son nom aux lèvres de milliers de directeurs généraux de salon qui le voient aujourd’hui dans leur soupe. Sur la liste finale de la Centrale de recrutement de la LNH, qui a été publiée avant le Mondial U18, il apparaît au 16e rang des patineurs nord-américains. Toutefois, plusieurs sites spécialisés qui ont depuis mis leur classement au goût du jour le placent aux portes du top-10.

« Ce n’est pas une surprise pour moi de voir qu’il s’approche de l’un de ses rêves, celui d’être repêché par une équipe de la Ligue nationale, réitère Fred Harbinson. Mais je connais Tyson, je sais comment il opère. Pour lui, ça ne sera que le début. Il n’arrêtera pas tant qu’il ne sera pas un contribuable majeur au sein de l’équipe qui l’aura sélectionné. »