MONTRÉAL – Dan Boyle a joué pendant six saisons en compagnie de Patrick Marleau. Quatre cent vingt et un matchs au cours desquels il croit avoir trouvé le secret de sa longévité légendaire.

« Il faisait quelque chose de spécial que moi je n’ai jamais vu personne d’autre faire, révèle Boyle en entrevue à RDS. Après chaque période, il enlevait tout son équipement et il allait dans le bain de glace. Moi, j’enlevais presque rien parce que ça prenait trop de temps à tout remettre. Lui, il se déshabillait au complet et disparaissait pendant quelques minutes. Trois ou quatre fois par soir, 82 matchs par année. Je ne peux pas comprendre comment il faisait. Je trouvais ça fou... mais en tout cas! »

Marleau avait divulgué quelques détails de ce rituel en 2018, à la fin de sa première saison avec les Maple Leafs de Toronto. Il disait l’avoir adopté huit ans auparavant et prétendait uniquement s’y adonner au deuxième entracte.

Mais Steve Bernier, qui a côtoyé Marleau pendant trois saisons, de 2005 à 2008, corrobore la version de Boyle.  

« C’est la chose qui m’a marquée le plus, affirme l’ancien choix de première ronde des Sharks de San Jose. Il faisait ça quand je jouais avec aussi, un bain de glace entre chaque période pour se rafraîchir. C’est drôle, faire ça pendant si longtemps... Imagine, ça veut dire qu’il a attaché ses patins très souvent! »

Vincent Damphousse ne peut s’empêcher de rire quand l’histoire arrive à ses oreilles. « Le bain de glace était populaire à San Jose quand j’étais là. On s’en servait après les matchs pour favoriser la récupération. Mais entre chaque période? Personnellement, ça m’épuise juste d’y penser! Mais faut croire que ça a marché pour lui. »

Les méthodes de Marleau ne sont effectivement plus à mettre en doute. Samedi, le vétéran de 41 ans égalera la marque établie en 1980 par Gordie Howe en disputant un 1767e match de saison régulière dans la Ligue nationale. Si tout va bien, il laissera « Mr. Hockey » dans ses traces lundi prochain lorsqu’il affrontera les Golden Knights de Vegas.

Marleau, qui a donné ses premiers coups de patins à une époque où la LNH ne comptait encore que 26 équipes, atteindra le chiffre magique dix ans plus vite que Howe, qui avait 51 ans lorsqu’il avait quitté l’Association mondiale pour revenir disputer une saison de 80 parties avec les Whalers de Hartford.

En 23 saisons, le vieux métronome n’a raté que 31 matchs. Sa dernière absence remonte au 7 avril 2009, dernier match d’une série de cinq qu’il avait ratés en raison d’une blessure au bas du corps. Par-delà un lockout, une pandémie et deux transactions, la saison actuelle pourrait être la 13e consécutive où il dispute tous les matchs de son équipe.

« Ça fait quelques entrevues que je fais à ce sujet cette semaine et à un moment donné, on m’a demandé si je croyais que c’était de la chance, dit Boyle, qui a lui-même franchi le plateau des 1000 matchs avant de prendre sa retraite en 2016. C’est certain que la luck, ça compte un peu là-dedans. Mais je pense que pour jouer aussi longtemps, tu dois être intelligent dans la manière de protéger ton corps. Il y a des joueurs qui ont une tête de hockey incroyable, mais qui ne savent pas comment se protéger. Pour jouer autant de matchs, ça prend un gars qui sait éviter les situations où il se met à risque. »

« La chance, j’y crois plus ou moins, approuve Damphousse, qui a terminé sa carrière avec 1378 matchs au compteur. Oui, il faut être chanceux. J’ai été blessé une fois dans ma carrière, j’avais trébuché par-dessus mon bâton. Mais une de mes forces, c’est que j’étais capable de savoir où était le monde autour de moi. C’est comme une intuition que j’avais développée. Le meilleur là-dedans, c’était Gretzky. Il était dur à frapper parce qu’il savait d’où la pression allait arriver. Patrick était bon aussi, il avait une bonne vision. Ça ne veut pas dire qu’il ne fonçait pas au filet. Il y a une distinction à faire entre la façon dont tu joues et ta capacité à savoir d’où viennent les adversaires, contre qui tu joues. »

Les vertus de la simplicité

Marleau était une verte recrue lorsque le Canadien a échangé Damphousse aux Sharks à la fin de la saison 1998-99. Déjà, sa vitesse impressionnait et il exhibait le talent nécessaire à la longue carrière qui l’attendait. Mais il y avait d’autres signes, plus subtils.

« Il avait 19 ans quand je l’ai connu, raconte Damphousse. Il était jeune, mais il était facile à coacher, il absorbait l’information. Il était aimé des vétérans parce qu’il était à sa place. C’était un professionnel, il s’entraînait fort, il était en forme et il écoutait les instructions et les conseils des autres gars. Il était aussi super tranquille. Je ne sais pas comment il était plus tard dans la trentaine, comme leader, mais à 19 ans, il avait déjà sa blonde, il s’est "casé" très tôt. C’était un petit gars de la Saskatchewan, fils de bonne famille avec les valeurs à la bonne place. Il n’a rien vécu de majeur dans sa vie personnelle qui aurait pu le faire déraper. »

Steve Bernier peut témoigner de cette simplicité qui s’est avérée salutaire pour son ancien coéquipier. À sa première saison avec les Sharks, les Marleau l’ont sorti de l’hôtel et l’ont accueilli chez eux, comme ils allaient le faire plusieurs années plus tard avec Auston Matthews et Mitch Marner à Toronto. Christina, la femme de Patrick, était alors enceinte du premier des quatre garçons qu’allait avoir le couple.  

« Son éthique de travail est au-dessus de tous les autres joueurs avec qui j’ai joué. La façon dont il s’entraîne, la façon dont il s’alimente. Il vit une vie très simple, il fait attention à lui. C’est l’un des facteurs qui font en sorte qu’il a été capable de se rendre aussi loin », croit Bernier.

Ceux qui ont croisé Marleau sur leur chemin déplorent tous le fait qu’il n’ait toujours pas eu la chance de soulever la coupe Stanley, ce que Gordie Howe a fait à quatre reprises. Les probabilités qu’il y arrive cette année avec les Sharks sont plutôt minces et aussi fringant puisse-t-il être à 41 ans, le temps risque de lui manquer. Mais qui sait ce que l’avenir lui réserve?

Bernier note qu’un profil aussi impeccable correspond exactement à ce qu’un directeur général peut rechercher dans la finition d’une équipe qui aspire aux grands honneurs. « Il patine encore aussi bien que la majorité des joueurs, ajoute Dan Boyle. En frais de salaire, c’est pas un gars qui fait beaucoup d’argent. Il y a des chances qu’il pourrait continuer. Ça va dépendre de lui. »