MONTRÉAL – En 2003, André Savard et l’état-major du Canadien ont ouvert la porte du hockey professionnel à l’homme fort Jimmy Bonneau en le repêchant en huitième ronde. Treize ans plus tard, Savard a, de nouveau, accueilli Bonneau qui vient d’accéder au rôle de dépisteur.

Même s’il a jeté les gants plus de 260 fois, selon Hockeyfights.com, Bonneau a encore toute sa tête. Lucide, l’ancien hockeyeur originaire de Baie-Comeau a compris que ce serait plus judicieux pour la suite de sa carrière de se retirer à la fin de la dernière saison, sa onzième au niveau professionnel.

Bonneau a donc accroché ses gants et ses patins pour de bon avec l’espoir de poursuivre sa carrière dans ce milieu.

Jimmy BonneauIl a utilisé ses mains pour rédiger son curriculum vitae et le faire parvenir à plusieurs organisations. Passionné par le hockey, Bonneau n’avait pas laissé des traces uniquement avec sa robustesse.

En effet, les astres se sont alignés pour lui alors que les Sharks de San Jose lui ont proposé un poste de dépisteur professionnel pour les villes situées dans le nord-est du territoire couvert par la LNH.

Préalablement à sa dernière saison, avec le Rush de Rapid City dans la ECHL, Bonneau avait porté les couleurs des Sharks de Worcester dans la Ligue américaine de hockey. Durant cette association de quatre saisons, les dirigeants ont été convaincus par ses connaissances.

« Je m’étais bâti une belle relation avec plusieurs personnes de l’organisation. Les gens savaient que je voulais rester dans le hockey après ma carrière.

« Je n’ai pas hésité deux fois quand ils m’ont offert un poste de dépisteur professionnel, c’était comme une offre de rêve pour moi », a raconté Bonneau, qui était au volant en direction de Buffalo mardi.

L’ancien dur à cuire du Rocket de Montréal et l’Île-du-Prince-Édouard assiste à une panoplie de matchs principalement à Montréal, Ottawa, Toronto, Buffalo, Boston et Detroit.

« Je bâtis mes connaissances sur la Ligue nationale et la Ligue américaine. Je fais juste commencer et j’ai beaucoup à apprendre même si j’ai joué longtemps dans LAH et que j’ai suivi la LNH de près. C’est très différent de connaître les ligues sous l’œil d’un dépisteur », a confié le volubile recruteur.

Sans tarder, Savard – qui œuvre comme dépisteur pour les Devils du New Jersey – a aidé Bonneau à faciliter sa transition de l’équipement aux vestons.

« Même si je n’ai pas travaillé avec lui parce qu’il n’était plus là quand j’ai commencé à jouer professionnel, il y a quand même le respect et l’admiration que je lui dois. Il m’a donné une chance et il se souvenait bien de moi », a témoigné Bonneau en vantant l’accueil reçu par ses nouveaux pairs.

« André disait que c’est le fun pour lui de voir que les gars que tu repêches quand ils sont pratiquement des adolescents finissent par accéder à cet emploi après leur carrière », a relaté Bonneau.

Cette saison, Bonneau a été aperçu plus d’une fois aux côtés de Savard au Centre Bell. Le partage se ressent même si les deux hommes ne peuvent quand même pas aller jusqu’à se partager leurs informations précieuses.

« Tout ce qu’il m’offre comme aide, c’est sûr que je le prends. Nos notes sont nos notes, mais il peut quand même m’aider dans plusieurs aspects du métier comme la méthode de travail, les endroits où aller ou bien de voir les deux côtés d’un jeu sur la patinoire. C’est vraiment apprécié de voir que quelqu’un de son importance me donne de son temps et me traite avec respect », a-t-il remercié.

« Ce n’est pas des conseils. On jase un peu et je pouvais voir qu’il est très content d’entrer dans le monde du hockey comme dépisteur. On voit qu’il a de bonnes connaissances, du jugement et qu’il va travailler très fort. C’est aussi un gars qui a du caractère, il va tenir ses opinions. On voit qu’il a un talent. C’est un gars qui va réussir, il a une belle personnalité, il s’adonne bien avec les gens », a expliqué Savard.

Bonneau se situe dans la nouvelle garde chez les dépisteurs, un contingent qui rajeunit d’année en année. Ça ne veut pas dire pour autant que les vétérans n’ont plus leur place.

« Ceux qui sont encore là ont été capables de s’ajuster. Ça varie de 30 à 70 ans sur la galerie de presse! L’expérience a une immense valeur dans ce métier parce que tu connais tellement bien les ligues et les joueurs », a jugé le sympathique intervenant qui utilise surtout les statistiques avancées pour vérifier si elles concordent avec ses analyses.

Bonneau sait bien que certains de ses confrères ont connu des carrières plus illustres que la sienne. Cependant, en tant qu’homme fort, il a eu à approfondir ses connaissances pour conserver son boulot, ce qui rapporte aujourd’hui.

« Les joueurs de soutien peuvent moins se fier sur leurs habiletés donc il faut trouver n’importe quelle petite façon de s’améliorer et s’accrocher. C’est vrai que j’avais un rôle plus physique, mais j’essayais d’avoir les connaissances sur les systèmes de jeu et d’autres détails. Ce n’est pas si rare de voir des joueurs physiques s’établir dans le milieu. Dennis Bonvie (dépisteur avec les Bruins) et Wade Brookbank (dépisteur avec les Blackhawks) sont les premiers noms qui me viennent en tête. Ça s’explique souvent par notre facilité à travailler en équipe, notre ouverture d’esprit et nos connaissances du hockey », a argué Bonneau.

« Je suis bien content pour lui, il a bûché fort pour avoir une carrière dans le hockey. Son éthique de travail sur la glace, il va l’avoir comme dépisteur. Selon moi, il sera un bon homme de hockey », a proposé Savard.

Le hockey l’a récompensé

Trois années dans la LHJMQ, onze saisons professionnelles, 99 points en 730 matchs, mais surtout 266 combats et 2106 minutes de punition. Ce ne sont pas des statistiques communes, mais Bonneau ne voudrait pas les changer pour leur signification.

« Je suis vraiment content. Pendant que tu le vis, tu es rarement satisfait, mais c’est normal. Quand je regarde l’ensemble, je pense que j’ai atteint le sommet de mon potentiel. Ça m’a donné une carrière professionnelle de 11 ans. Je suis arrivé quand mon rôle a commencé son déclin, mais j’ai réussi à m’accrocher. Évidemment, mon rêve aurait été de jouer dans la LNH, mais je n’ai pas de regret.

« Ça m’a ouvert plusieurs portes et je me retrouve avec un travail avec une équipe de la LNH. Je rêvais d’une vie dans le hockey. Ce n’était pas exactement comme je l’avais anticipé, mais je ne pourrais pas être plus content de ce que j’ai accompli », a dévoilé le dépisteur qui pourrait aisément songer à une carrière dans les médias sportifs.

Jimmy BonneauLe repêchage conservera toujours une place privilégiée dans ses souvenirs. Toutefois, il retient surtout les amitiés tissées au courant de sa carrière. Très apprécié partout où il est passé, il a été inondé de plus de 200 messages d’anciens coéquipiers quand il a officialisé sa retraite.

Quant aux moments difficiles, il est facile de comprendre que ce ne sont pas toutes les journées qui sont plaisantes quand on doit se mesurer aux adversaires les plus forts ou qu’on est rayé de la formation.

« Ce n’est pas évident d’être blessé ou de ne pas être en uniforme pendant six ou sept matchs de suite. Mais tu sais que tu ne peux pas faire la baboune et commencer à chialer sinon tu vas nuire à ton club. L’incertitude, ce n’est pas facile, sauf que ça bâtit le caractère et ça te donne une dose de plus pour pousser », a identifié Bonneau.

« J’ai toujours pensé que si tu traites le hockey de la bonne manière, il allait te le rendre. Ça arrive de perdre la foi envers ce dicton, mais au final, ça s’est confirmé. »

À l’écouter parler, on réalise tout de suite que le cerveau de Bonneau n’est pas fait de roc. Pourtant, aussi étonnant que ça puisse paraître, il n’est pas ennuyé par aucune séquelle cérébrale en dépit de plus de 250 combats et c’est tout ce qui compte à ses yeux.

« N’importe quel joueur qui va consacrer sa vie au hockey pendant 25 ans avec la pédale au fond va composer avec quelques séquelles. De mon côté, la tête va très bien et je me considère très chanceux. C’est la seule chose qui est vraiment importante pour moi », a dit Bonneau en citant ses genoux, ses hanches et ses mains dans la liste de ses bobos du quotidien.

« J’ai toujours bien vécu avec mon rôle, je le faisais par choix et non par devoir. J’avais beaucoup de support de ma famille. Je ne dis pas que ce n’est pas stressant et que c’est facile, mais ça m’a permis de rester dans le monde du hockey et je le referais demain matin », a-t-il lancé sans hésitation.

Après avoir autant sacrifié son corps pour le hockey, Bonneau aurait pu évaluer d’autres avenues pour sa deuxième carrière professionnelle, mais sa passion était trop forte.

« J’avais parlé de mes projets dans les dernières années et on m’a beaucoup encouragé dans ce sens. Mes coéquipiers me poussaient à le faire. Je ne veux pas avoir l’air ignorant non plus, je savais qu’il y avait une possibilité que ça ne fonctionne pas. Mais en te donnant trop de portes de sortie, ça peut réduire ta motivation et tu peux être porté à te diriger vers un autre domaine quand c’est plus difficile.

« J’aurais pu me retrouver comme entraîneur adjoint dans le junior ou la ECHL ou même entraîneur vidéo avec des conditions financières moins généreuses. Mais je voulais mettre le pied dans la porte. C’est dans le hockey que je pense que je suis le meilleur et que ma vie professionnelle peut être la plus excitante. J’ai vraiment mis mes œufs dans le même panier », a exprimé Bonneau.

« J’ai été très chanceux, l’équipe la plus présente dans mon cœur m’a permis de me joindre à elle. Je ne pourrais pas être plus heureux », a conclu Bonneau qui s’est ouvert des portes à sa manière.