MONTRÉAL – Samuel Poulin a deux options.

 

Lancer lui-même un crayon dans la poubelle située au fond de la salle d’entrevue, environ 15 pieds plus loin,  ou encore demander à un dépisteur situé à proximité de la cible de s’exécuter pour lui. Dans un cas comme dans l’autre, si le crayon atterrit au fond de la poubelle, le Canadien de Montréal lui offrira un contrat professionnel.

 

Il ne s’agit bien sûr que d’une mise en contexte. Poulin n’a jamais eu à lancer de crayon et n’a encore moins signé de contrat. L’attaquant du Phoenix de Sherbrooke a toutefois été véritablement confronté à ce dilemme l’an dernier, lors de son entrevue avec le club montréalais au Combine.

 

Le VO2max, le bench press, le wingate ou les chin-ups, c’est bien beau, mais ça n’expose pas la personnalité d’un joueur à qui on pourrait bien consentir plusieurs millions $ dans un avenir rapproché. Voilà pourquoi certains clubs de la LNH rivalisent d’originalité pour révéler ce qui se cache sous le casque des meilleurs espoirs admissibles au repêchage.

 

Pour en savoir davantage sur les dessous de cet exercice, le RDS.ca a récemment invité huit Québécois ayant pris part aux deux derniers Combines et un dépisteur à raconter leur expérience dans leurs mots. Confrontations, questions déstabilisantes, énigmes... Tout y est, même un serpent.

 

Et vous vous demandez sans doute ce que Poulin a répondu au CH...

 

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« Aimes-tu mieux pratiquer, t’entraîner ou bien manger? »

Gabriel Fortier, choix de 2e ronde du Lightning en 2018 (no 59)

 

Gabriel FortierVite de même, j’avais répondu m’entraîner. Je voulais dire que je veux m’entraîner, que je veux m’améliorer, mais en y repensant après, je m’étais dit : « Ouin... C’était peut-être plus pratiquer la bonne réponse ». On joue au hockey, et même si « s’entraîner » a rapport au hockey, « pratiquer » était mieux à dire [...]. Je ne pense pas que ç’a changé grand-chose.  

 

Une équipe m’a demandé d’agir comme un recruteur et de noter des joueurs; leurs forces et leurs faiblesses. Chaque fois que je répondais, je sentais que la personne qui m’avait posé la question jugeait ce que je disais. Juste de la manière qu’il me regardait ou qu’il me posait une autre question [j’avais l’impression] qu’il essayait de me picosser en dénigrant ce que je disais. Je ne savais pas trop quoi faire, j’étais un peu mal à l’aise. D’après moi, il voulait voir si j’étais vraiment sûr de mon opinion. Si quelqu’un dit le contraire de ce que je dis, est-ce que je vais changer ma version ou ne pas savoir quoi dire?

 

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Jeter son entraîneur « sous le bus »?

Kevin Mandolese, choix de 6e ronde des Sénateurs en 2018 (no 157)

 

Kevin MandoleseBeaucoup d’équipes me questionnaient à propos de mon coach. Dans un scénario où sa manière de nous faire jouer ne me plairait pas, est-ce que j’irais le voir pour lui dire de changer son système de jeu? Je trouvais ça déstabilisant. Je ne savais pas quoi répondre. J’ai figé un peu. Dans le fond, je pense qu’ils attendaient juste de voir si j’allais le mettre en dessous du bus.

 

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« Choisis tes coéquipiers »

Nicolas Beaudin, choix de 1re ronde des Blackhawks en 2018 (no 27)

 

Nicolas BeaudinUne équipe m’a demandé de choisir trois coéquipiers que je souhaiterais garder avec moi pour le reste de ma vie et trois autres que je ne voulais pas avec moi. C’était inconfortable. Est-ce que j’étais vraiment obligé de dire trois noms, ou je pouvais dire qu’il n’y a personne que je ne veux pas voir pour le reste de ma vie? Tu ne sais pas quoi répondre, il faut que tu y ailles avec ton instinct. Si tu as trois noms, tu les donnes et si tu n’en as pas, tu n’en donnes pas. Moi, je n’avais pas dit de noms, il n’y avait personne. Ils m’ont répondu : « Ah ouin, t’es sûr? On aimerait ça avoir trois noms... »

 

« Non, personne. »

 

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« Même pas le temps de parler »

Raphaël Lavoie, choix de 2e ronde des Oilers en 2019 (no 38)

 

Raphaël LavoieJ’étais avec [les Coyotes de] l’Arizona. Je m’assois dans leur loge à Buffalo. Tout le monde est autour de toi et tout le monde te jase. Chaque entrevue, c’est 25 minutes. Il y en a beaucoup, alors il faut que ça roule.

 

Après les petites questions normales, le gars me dit je vais mettre des clips vidéo sur l’écran et je veux que tu me décrives les choses qui se passent. Il branche alors son ordinateur et part la clip. C’est moi qui arrive et qui me fais déjouer. Après trois secondes, la vidéo s’arrête. Je dis alors que je me suis fait déjouer. Il répond : « Tu as raison, tu as fait une mauvaise approche au porteur ». Il part ensuite la deuxième clip, dans laquelle je rentre, je fais une shot et je manque le net. Je dis : « Ben là... J’ai manqué le net ». Le gars me répond : « Ouin, t’as manqué le net, tu ne peux pas faire ça ». Je n’ai pas fait exprès pour manquer le net, je voulais scorer. Il dit « c’est correct » et part la troisième clip. C’est moi qui frappe un gars et mon bâton est dans les airs au lieu d’être sur la glace. « Là, à cause de toi, ç’a donné une chance de marquer ». Après, le gars met la 4eclip, la 5e, la 6e, la 7e, la 8e, la 9e, la 10e... Pendant 10 minutes, il ne fait que mettre des clips de moi qui fais des petites erreurs.

 

On était à la fin mai et il y avait des games d’avant Noël. Si tu regardes les 40 dernières games que j’ai jouées, c’est sûr que je fais plein de petites erreurs, tout le monde en fait plein. Il mettait ça sur l’écran et il ne me demandait même plus d’expliquer, il faisait juste les rouler.

 

À l’intérieur de moi, je me disais : « Tabarnane, je suis pourri! » Je ne disais plus rien. Au début, c’était possible de m’expliquer, mais après ça il enchaînait les clips de 3 secondes les unes après les autres. Je n’avais même pas le temps de parler. Il a fini ses clips, puis a dit : « Bon, c’est ça. À la prochaine ». Je me suis levé et je suis parti.

 

J’en ai parlé à d’autres gars après pour réaliser qu’ils avaient faisaient ça à d’autres aussi (Samuel Poulin, notamment, NDLR). On se demandait pourquoi il faisait ça, c’était quoi le but? C’est la seule équipe qui a fait ça dans toutes celles que j’ai rencontrées. [...] J’étais déstabilisé, je ne vais pas te mentir.

 

C’était sûrement pour voir comment les gars allaient réagir face à la critique et si les gars allaient être tristes, fâchés ou orgueilleux. J’ai trouvé ça différent, je vais dire ça comme ça.

 

 

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Avec qui sur une île déserte?

Alex Beaucage, choix de 3e ronde de l’Avalanche en 2019 (no 78)

 

Alex BeaucageJe me rappelle qu’une équipe m’avait demandé : « Si tu fais un voyage en avion avec seulement tes amis ou ta famille, aimes-tu mieux être un passager ou le pilote? » Ils voulaient sûrement savoir si j’étais quelqu’un qui prend en charge tout ça ou si j’aime mieux laisser faire les autres. J’avais dit le pilote. Je pense que c’était la bonne réponse.

 

Une autre équipe m’a demandé : « Si tu étais sur une île déserte avec une seule autre personne, avec quel genre de personne aimerais-tu être? ». J’avais répondu quelqu’un d’organisé, qui ne panique pas et qui garde son calme. Une personne organisée qui garde la tête froide pour trouver des solutions.

 

 

 

 

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« Donner le meilleur de toi, ou battre le gars à côté? »

Nathan Légaré, choix de 3e ronde des Penguins en 2019 (no 74)

 

Nathan LégaréL’entrevue avec le Canadien, c’était spécial. C’était mon équipe de jeunesse. Je pense que c’était un psychologue sportif qui était là. Il te plaçait dans des situations comme : « Aimes-tu mieux donner le meilleur de toi et donner ton 100%, ou battre le gars à côté de toi? » C’était l’une des entrevues les plus difficiles et les plus bizarres un peu parce que ce n’était pas sur le hockey, c’était plus psychologique.

 

J’ai dit que si je donnais le meilleur de moi-même, j’avais de très bonnes chances de battre celui à côté de moi et que j’allais m’améliorer. Mais le monsieur m’a répondu : « Oui, mais tu peux quand même perdre ». Ça m’avait un peu surpris, mais je pense que ç’avait quand même été une bonne entrevue.

 

Une autre question bizarre qui m’a été demandée [par une équipe] et qui m’a mis un peu mal à l’aise était : « Si t’avais le choix entre repêcher Samuel Poulin, Jakob Pelletier – deux de mes très bons amis – ou toi, qui sélectionnerais-tu? »

 

Dans des questions comme ça, tu ne veux pas te dénigrer et tu ne veux pas te montrer trop confiant comparé aux autres non plus. J’ai hésité un peu avant de répondre. J’ai répondu qu’on avait chacun nos forces, qu’on était des joueurs différents, mais que rendu là, on était tous pas mal égal et on jouait dans nos forces.

 

Il y a aussi un dépisteur de Tampa Bay qui m’a demandé si je faisais des [exercices pour les] jambes en voyant mon polo qui était quand même assez serré sur le haut de mon corps. J’ai dit oui. C’était juste pour faire rire.

 

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Rencontrer... Hitler

Luc Gauthier, dépisteur pour les Penguins depuis 2006

 

Je ne me souviens peut-être pas de son nom, mais je me souviens de la question : « Si tu as une personne à rencontrer, n’importe qui dans le monde entier sauf un joueur de hockey, ce serait qui? ». La réponse avait été tellement incroyable.

 

« Moi, j’aimerais ça rencontrer Hitler. »

 

On parle d’un kid de 17 ans! On lui a demandé pourquoi. Il a répondu : « J’aurais tellement de questions à lui poser ». Il a ensuite développé et on voyait que c’était réfléchi. Ce n’était pas une affaire lancée comme ça. Il doit avoir lu là-dessus ou avait peut-être un intérêt pour la Deuxième Guerre mondiale. « Il a causé tellement de souffrances dans le monde entier [...]. J’aimerais ça savoir ce qu’il avait en tête. »

 

Je le regardais et je me disais : « Wôw! Tabarnouche! » Certains auraient peut-être dit Céline Dion, parce qu’ils aiment ses tounes. Lui, c’était profond et ce n’était pas parce qu’il voulait devenir un terroriste. Cette réponse était très, très surprenante.

 

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« Il y a peut-être un python de 20 pieds dans le couloir... »

Samuel Bolduc, choix de 2e ronde des Islanders en 2019 (no 57)

 

Samuel BolducUne équipe m’a demandé de raconter une blague ou de leur poser une question. J’ai décidé de leur poser une question bien normale, genre qui allait gagner les playoffs?

 

À l’instar de l’attaquant américain John Farinacci, Bolduc affirme avoir dû répondre à une question pour moins unique lors de son entrevue avec le Canadien l’an dernier :

 

« Il y a 50% des chances qu’un python de 20 pieds n’ayant pas mangé depuis cinq mois se retrouve dans le couloir. Nous sommes cinq dans la salle, lequel d’entre nous sortirait? »

 

J’ai répondu : « Je sais pas... Je sortirais. » Le psychologue posait des questions où il fallait que tu réfléchisses vraiment. Je ne m’attendais pas à ça.

 

*Aux journalistes présents au Combine l’an dernier, dont NHL.com, Farinacci affirmait avoir offert la réponse suivante : « Je pense que ça se transpose un peu à ce qui se passe sur la glace, quand tu te sacrifies pour tes coéquipiers. Le message [que l’équipe] tentait sans doute de communiquer était si tu es un leader, tu sors, et s’il y a un serpent, que feras-tu? Tu travailles pour l’éviter, tu communiques avec tout le monde avant pour établir un plan au cas où il y aurait bel et bien un serpent. »

 

Lancer ou pas le crayon?

Samuel Poulin, choix de 1re ronde des Penguins en 2019 (no 21)

 

Samuel PoulinC’était avec les Rangers. J’ai encore sa face en tête, je ne sais pas si c’était le recruteur en chef, mais c’était un peu le même principe [qu’avec les Coyotes]. Il était vraiment sur mon cas. Il a commencé à me basher (dénigrer), mais j’ai répliqué. Toutes les affaires qu’il me disait, je lui répondais que ce n’était pas vrai. [...] Il disait que mon coup de patin en arrachait, et moi je disais que j’allais continuer à le travailler, que ce n’était pas une lacune pour moi d’avoir ce coup de patin dans la NHL et que même si je n’avais pas le meilleur des coups de patin, il n’était pas aussi pire qu’il le disait. Je relançais un peu la balle dans son camp. De son côté, il restait sur son point et il voulait vraiment voir si j’allais changer mes idées et si je me défendais bien. Quand je sais que c’est vrai, je suis confiant. S’il dit de quoi et je sais que ce n’est pas vrai, je vais m’obstiner. Si c’est vrai, je vais te donner raison et passer à autre chose.

 

Et le crayon dans tout ça?

 

J’ai répondu que j’essaierais de le lancer dedans parce que je crois en mes chances de l’avoir et que je ne veux pas mettre ma carrière entre les mains de quelqu’un d’autre.