PITTSBURGH - La première ronde du repêchage de la Ligue nationale de hockey est vieille d'environ 90 minutes lorsque Zemgus Girgensons décide qu'il a besoin d'une pause.

Avec un calme contrastant singulièrement avec le bourdonnement étourdissant des alentours, l'adolescent se lève d'un trait, pivote de 180 degrés et escalade une à une les quelques marches qui le séparent d'une loge du Consol Energy Center, où il s'engouffre pour prendre congé d'une enceinte où il devient peu à peu l'un des principaux centres d'attraction.

« Il est mieux de se dépêcher. Tampa Bay l'aime bien », laisse échapper, sans quitter son sujet des yeux, un homme vêtu d'un complet-cravate assis sur le bord de l'allée qui mène le Letton vers son havre de paix temporaire.

Vendredi soir, Girgensons était l'un des quatre jeunes espoirs qu'avait particulièrement à l'œil Philippe Lecavalier dans la section 112 du domicile des Penguins de Pittsburgh. Avec Brendan Gaunce, Phillip Di Giuseppe et le Québécois Michael Matheson, il était l'un des quatre clients de la firme MFIVE Sports susceptibles de devenir la propriété d'une équipe de la LNH avant la fin de la soirée.

Pour ce talentueux quatuor ainsi que la poignée de confrères qui devront assurément attendre au lendemain avant de connaître leur sort, la fin de semaine du repêchage représente un moment marquant, unique. Mais Lecavalier, agent de joueurs et conseiller depuis douze ans, en a vu d'autres.

« À mes premières années, j'étais presque aussi nerveux que mes joueurs. Mais avec le temps, on réalise que le repêchage, ça ne veut rien dire », dédramatise celui qui a accepté d'accueillir le RDS.ca parmi ses protégés et leur famille pour la durée de la première ronde.

C'est devant l'évidence qu'un talent limité et de douloureuses blessures à un genou l'empêcheraient de réaliser son rêve de jouer dans la LNH que Lecavalier a décidé, après sa troisième année à l'Université Clarkson, que c'est en devenant un agent de joueur qu'il se rapprocherait désormais de ses ambitions. Diplômé en administration avec des certificats en marketing et en communications un an plus tard, il a déniché un emploi chez Bauer qui le comblait jusqu'à ce qu'il reçoive, en 2000, l'appel de Kent Hughes.

Hughes, l'ancien entraîneur de Philippe Lecavalier au niveau peewee, était à la tête d'une firme de représentation qui venait de mettre la main sur son frère Vincent et cherchait un associé pour veiller sur une nouvelle branche montréalaise de l'entreprise. Le défi était trop attirant pour le laisser passer.

« C'est un milieu très féroce, tu dois garder tes amis près de toi. Le métier est demandant, mais c'est une merveilleuse façon de rester associé au monde du hockey. J'adore ça. »

Prévenir les déceptions

Girgensons, recensé au 18e rang chez les patineurs nord-américains au dernier classement de la Centrale de recrutement de la LNH, regagne sa place juste à temps pour apprendre que le Lightning lui a finalement préféré Slater Koekkoek, un défenseur des Petes de Peterborough.

Suivent ensuite Filip Forsberg, qui prend la direction de Washington, et Mikhail Grigorenko, qui rejoint la grande famille des Sabres de Buffalo. Le Suédois était vu comme l'attaquant européen le plus prometteur de la cuvée 2012 tandis que le Russe avait été suffisamment impressionnant à sa saison recrue chez les Remparts de Québec pour se faire classer troisième plus bel espoir en Amérique. Les deux ont finalement dû attendre un peu plus longtemps que prévu avant de connaître leur destination.

Gérer les attentes de ses poulains afin d'éviter les désenchantements trop brutaux, voilà l'une des nombreuses tâches dont doit s'acquitter un agent en marge du repêchage, un événement qui peut rapidement mener les plus beaux espoirs au désespoir.

« Personnellement, j'envisage toujours le pire des scénarios en disant à mes gars que tout ce qui viendra avant sera un bonus. Et si je crois qu'un joueur ne sortira pas dans les cinq premières rondes, je lui conseille de rester chez lui. Je suis d'avis qu'il est préférable de vivre un grand moment de bonheur à la maison qu'une amère déception dans des gradins vides. »

Lecavalier préfère laisser aux autres les scénarios comme celui qu'il a vécu en 2001, alors qu'il avait dû ramasser Jonathan Ferland à la petite cuiller.

« Ça lui avait fait mal d'être ignoré. Sauf qu'il était parti en se disant qu'il allait leur montrer qu'ils s'étaient tous trompés… et il a réussi. » L'année suivante, le Canadien faisait de Ferland son choix de septième ronde.

Le temps qui passe

La délégation des Stars de Dallas s'apprête à monter sur l'estrade pour annoncer la 13e sélection de l'encan et Lecavalier, soudainement, est plus attentif au tableau indicateur qu'aux interrogations de son interlocuteur. Girgensons, que certains observateurs voyaient dans le top 10, est toujours bien enfoncé dans son siège et celui qui voit au bon déroulement de sa jeune carrière s'impatiente un brin.

« Je suis surtout déçu pour eux parce que je ne veux pas qu'ils s'en fassent. De mon côté, comme je disais tantôt, un draft, c'est un draft. À quel rang tu sors, ce n'est pas grave. C'est ce que tu fais après qui compte. »

Quand un prospect encaisse mal la disparité entre ses attentes et la réalité, Lecavalier lui parle de Patrice Bergeron, un client qui a accédé à la LNH à l'âge de 18 ans malgré le fait qu'il ait dû attendre à la deuxième journée du repêchage pour trouver preneur.

« Dans 98% des cas, je cite son nom en exemple. Patrice est un exemple parfait de détermination et du sens du sacrifice. Kristopher Letang en est un autre. Je dis toujours à mes joueurs que le repêchage, ce n'est que le début du début. »

Le dialogue est interrompu par la voix nasillarde de Gary Bettman. Le commissaire de la LNH prend la parole pour annoncer que les Sabres de Buffalo, qui détiennent un autre choix au premier tour, viennent tout juste de transiger avec les Flames de Calgary pour précipiter leur retour au micro. Un bon signe pour Girgensons?

« Je ne sais pas, avoue sincèrement son représentant. Mais ce que je sais, c'est que les joueurs adorent quand une équipe effectue une transaction pour s'assurer de ne pas les rater. Ça veut dire qu'elle tient vraiment à eux, c'est extrêmement flatteur. »

Le suspense ne dure pas très longtemps. Dès que Kevin Devine, le directeur du département de recrutement des Sabres, prononce le nom de la ville de Dubuque, qui accueille l'équipe de la USHL pour laquelle Girgensons était le capitaine, Lecavalier anticipe la suite et se lève d'un bond pour aller féliciter son plus récent gradué. À son grand bonheur, le plus bel espoir de MFIVE Sports n'est plus sur le marché.

Au tour de Matheson

L'ajout du nom de Girgensons sur le gigantesque tableau électronique qui décore l'extrémité sud de l'amphithéâtre ravive le moral des troupes. À partir de ce moment, toute l'attention semble dirigée vers Matheson, qui sera, croit-on, le prochain élu.

« Je dois me rapprocher, Michael va sortir bientôt », s'excuse poliment Lecavalier avant de rejoindre ses associés quelques rangées plus bas.

Huit défenseurs ont déjà vu leur vœux exaucé lorsque Matheson, un arrière à caractère offensif, est placé au cercle d'attente par celui qui gère sa carrière. Un neuvième s'ajoute immédiatement au groupe, mais il s'agit de Cody Ceci, que les Sénateurs d'Ottawa vont piger directement dans leur cour.

Au 21e rang, les Flames de Calgary jettent leur dévolu sur Mark Jankowski, un jeune joueur de centre ontarien qui a dominé la compétition sous les couleurs de l'école secondaire québécoise de Stanstead. Jankowski s'est déjà engagé à rejoindre les Fighting Saints de Dubuque, l'équipe au sein de laquelle Matheson et Girgensons étaient coéquipiers la saison dernière.

Les hôtes de la soirée optent ensuite pour leur deuxième défenseur de la première ronde en faisant du Finlandais Olli Maatta le nouveau favori de la foule. L'attente est officiellement terminée pour les Panthers de la Floride. Ils mettent aussitôt fin à celle de Matheson, natif de Pointe-Claire et ancien capitaine des Lions du Lac-Saint-Louis, en sélectionnant pour la troisième année consécutive un joueur qui s'exprime en français lors de la première ronde.

Dans la section 112, c'est l'explosion de joie. Selon l'estimation de Lecavalier, Matheson a distribué à lui seul 70 des quelque 260 billets dégotés pour satisfaire les besoins de l'entourage des clients de MFIVE Sports. Aux cris de sa garde rapprochée qui l'entoure à la hauteur de la patinoire s'ajoutent aussitôt les clameurs de ses nombreux accompagnateurs juchés au balcon.

Matheson se prête au même manège médiatique que les 22 chanceux qui l'ont précédé. Et pendant qu'il partage, dans un espace spécialement aménagé sous les gradins, ses états d'âmes avec les journalistes francophones, Brendan Gaunce devient la propriété des Canucks de Vancouver.

Il arrive 23h, les sièges jaunes et gris du voisin du défunt igloo sont maintenant majoritairement inoccupés et seul Di Giuseppe, le quatrième mousquetaire en qui Philippe Lecavalier avait placé son optimisme en début de soirée, devra ranger son épée et s'armer de patience.

Au repêchage de la LNH, on ne choisit pas toujours quand on prend notre pause.

« Un draft, c'est un draft… », se dira Lecavalier.