Un statut qu'il n'a pas volé
Hockey samedi, 28 janv. 2012. 17:02 dimanche, 15 déc. 2024. 01:30
Quand on a observé un moment de silence à la mémoire de Ronald Caron, avant un récent match entre les Blues de Saint-Louis et le Canadien, ses deux seules équipes dans la Ligue nationale, le public s'est montré respectueux jusqu'à la dernière seconde.
Il n'y a pas eu les cris habituels de quelques bozos impatients. Puis, celui qu'on surnommait affectueusement le Prof a été applaudi, une réaction plutôt rare après ce genre d'hommage.
Le disparu a reçu le traitement qu'on réserve habituellement aux anciennes gloires du Canadien. Il y avait 29 ans que Caron avait quitté l'organisation dans le cadre de la première purge de Ronald Corey qui avait emporté avec lui, le directeur général Irving Grundman, son fils qui agissait comme recruteur et l'entraîneur Bob Berry qu'on avait finalement repris quelque temps plus tard.
Cela signifie que quelques milliers de spectateurs présents à ce match n'étaient même pas nés quand Caron a été remercié. Mais un ancien Canadien est un ancien Canadien pour la vie. S'il y a quelqu'un qui n'a pas volé sa place dans l'histoire, c'est bien lui car celui dont on a célébré les funérailles aujourd'hui a vraiment franchi toutes les étapes au sein de l'organisation.
Caron enseignait l'anglais au Collège Saint-Laurent (d'où son surnom) quand Sam Pollock lui a offert un poste de recruteur à temps partiel avec le Canadien junior. Recruteur bénévole dans une formation junior, c'est vraiment ce qu'on appelle commencer au bas de l'échelle. Les échelons, il les a gravis un à la fois. Il a mis huit ans à devenir le recruteur en chef du Canadien junior. Plus tard, on lui a demandé de diriger la filiale des Voyageurs, dans la Ligue américaine. Puis, il est devenu directeur général de cette équipe avant d'être promu adjoint à Sam Pollock. Après avoir hérité du rôle de directeur du recrutement, il est finalement devenu le bras droit de Grundman. Après un tel parcours, il n'a vraiment pas volé son statut d'ancien Canadien.
Caron ne ressemblait en rien aux hommes de hockey d'aujourd'hui. Il était disponible, serviable, enjoué et généreux. On a beaucoup fait état de ses colères devenues légendaires, mais il était avant tout un être chaleureux. Il ouvrait d'emblée sa porte à tous ceux qui désiraient boire ses paroles en vue d'un bon article. Et il en jasait un coup.
Comme je l'ai déjà mentionné, j'ai fait sa connaissance à l'époque des Voyageurs de Montréal, dans la Ligue américaine. C'était ma première année sur le beat du hockey. J'arrivais de Chicoutimi avec un vocabulaire anglophone de quelques mots. Ça m'intimidait de commander un repas dans un restaurant en compagnie d'un professeur d'anglais qui roucoulait cette langue sans accent. Afin de ne pas trop m'humilier devant lui, j'attendais qu'il commande son repas avant de glisser «same thing» à la serveuse. J'en ai mangé du «same thing» à mes débuts. Ce qui se trouvait dans mon assiette n'était pas toujours ce que je voulais, mais je ne pouvais pas me permettre d'être capricieux.
Il m'a beaucoup appris à l'occasion des longs voyages de l'équipe en autocar. Il était le champion des anecdotes. Comme il était les yeux et les oreilles de Sam Pollock dans cette équipe, il était très respecté des joueurs, dont une bonne dizaine étaient francophones: Réjean Houle, Marc Tardif, Phil Myre, Jude Drouin, Guy Charron, Guy Lapointe, Pierre Bouchard, Alain «Boum Boum» Caron, Jean Gauthier et Lucien Grenier. Une belle brochette complétée par Pete Mahovlich, Larry Pleau, Dennis Hextall et deux joueurs qui allaient éventuellement diriger le Canadien, Bob Berry et Al MacNeil.
Après chaque match sur la route, nous attendions tous dans l'autocar pendant que le Prof était en conversation téléphonique avec l'autorité suprême, Sam Pollock, qui ne pouvait aller dormir sans savoir comment s'était comporté son club-école.
Il a adopté une famille complète
Caron n'a pas été sans emploi très longtemps après son départ du Canadien. Harry Ornest, qui venait d'acheter les Blues de Saint-Louis, lui a offert la possibilité de reconstruire cette équipe en chute libre. Le Prof a eu un impact majeur sur les Blues qui n'ont jamais manqué les séries en 12 ans.
C'est lui qui a sorti Jacques Demers des Maritimes où les Nordiques l'avaient rejeté après son congédiement. Sans la perche providentielle qu'il lui a tendue, Demers n'aurait pas connu une longue et fructueuse carrière qui fait de lui encore aujourd'hui le dernier entraîneur à avoir gagné la coupe Stanley au Canada. Une distinction qui l'a mené au Sénat.
Au pied du podium qui accueillait son urne, portant les logos du Canadien et des Blues, une gerbe de fleurs était accompagnée de cette note: «Prof, merci pour tout ce que tu as fait pour moi». Signé Jacques Demers. Ça dit tout.
Caron n'a jamais été marié; il n'a pas eu d'enfants. Son existence entière a été consacrée au hockey. Il n'y a jamais eu de place pour autres choses dans sa vie. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas aimé ou qu'il n'a pas été aimé. Le hasard a d'ailleurs voulu qu'il adopte une famille durant son stage chez les Blues.
Il avait été profondément touché par l'accident de la route qui avait failli emporter la fille de son adjointe administrative. L'adolescente, qui avait subi de sévères traumatismes à la tête, est restée longtemps dans le coma. Le Prof, qui était lui-même passé par là, s'est senti interpellé. Durant un match de football au collège, il avait subi une fracture du crâne qui avait failli lui coûter la vie. Il avait passé un certain temps dans le coma, lui aussi. L'accident, qui l'avait laissé avec une cavité sur le côté droit de la tête, avait mis un terme à sa carrière athlétique.
Caron avait visité plusieurs fois la jeune fille à l'hôpital. Cette situation, qui l'avait beaucoup touché, avait contribué à le rapprocher de sa famille. Le Prof, qui habitait seul une maison spacieuse, les avait plusieurs fois accueillis chez lui. Ensemble, ils avaient visionné beaucoup de hockey à la télévision. Ils avaient appris à se connaître et à s'apprécier. Durant ses nombreuses absences, ils faisaient le ménage et entretenaient la maison. Ils n'avaient pas à sonner quand ils le visitaient. Ils avaient leur clef. Ils étaient devenus sa famille.
Comment tous les directeurs généraux, Caron a réussi des bons coups et des moins bons. Il est derrière la décision d'avoir préféré Doug Wickenheiser à Denis Savard. Il avait recommandé qu'on choisisse Marcel Dionne avant Guy Lafleur. Par contre, plusieurs de ses choix au repêchage sont devenus des joueurs étoiles. Il a également eu le flair de compléter une transaction qui lui a permis de mettre le grappin sur Brett Hull alors qu'il était un joueur sans nom qui n'annonçait rien de bon à Calgary. Hull a donné 527 buts aux Blues.
« Ron n'aurait jamais dû être remercié en 1983, me fait remarquer Serge Savard dont la nomination comme directeur général a coïncidé avec le départ du Prof. On s'en allait au repêchage et je n'étais pas préparé pour ça. Je n'y connaissais rien. Je lui ai téléphoné pour lui demander son aide puisqu'il connaissait tous les plans du Canadien en vue de ce repêchage. Il est venu me porter ses dossiers. »
Cette année-là, Savard a pu repêcher Alfie Turcotte, Claude Lemieux, Sergio Momesso et John Kordic.
Pour ma part, je conserve le souvenir d'un homme coloré, toujours prêt à rendre service. Un homme à l'aise financièrement, amoureux de la vie et du bon vin, dont la cave était quelque chose à voir, paraît-il. Un homme charmant qui ne méritait pas de passer les sept dernières années de sa vie dans une résidence pour personnes en perte d'autonomie après avoir subi un AVC peu de temps après sa retraite.
Jusqu'à la toute fin, il a profité de l'amitié de Savard qui a veillé sur lui comme s'il s'agissait de son propre frère. Il a vu à ce que le Prof ne manque de rien et profite des meilleurs soins.
Il y a aussi cet ami inséparable qu'est devenu Fred Relihan, l'ex-responsable du video chez le Canadien à l'époque du Forum. Durant ses rares sorties, c'est cet homme discret et effacé, âgé de 85 ans, qui poussait son fauteuil roulant. Relihan a été ses yeux au cours des dernières années quand Ronald a perdu partiellement la vue, une conséquence de son diabète.
Qu'un simple responsable du video se soit attaché à lui de cette façon nous en dit beaucoup sur l'empreinte que Caron a laissée sur les gens qu'il a cotoyés. Un juste retour des choses pour un homme qui a beaucoup donné.
Il n'y a pas eu les cris habituels de quelques bozos impatients. Puis, celui qu'on surnommait affectueusement le Prof a été applaudi, une réaction plutôt rare après ce genre d'hommage.
Le disparu a reçu le traitement qu'on réserve habituellement aux anciennes gloires du Canadien. Il y avait 29 ans que Caron avait quitté l'organisation dans le cadre de la première purge de Ronald Corey qui avait emporté avec lui, le directeur général Irving Grundman, son fils qui agissait comme recruteur et l'entraîneur Bob Berry qu'on avait finalement repris quelque temps plus tard.
Cela signifie que quelques milliers de spectateurs présents à ce match n'étaient même pas nés quand Caron a été remercié. Mais un ancien Canadien est un ancien Canadien pour la vie. S'il y a quelqu'un qui n'a pas volé sa place dans l'histoire, c'est bien lui car celui dont on a célébré les funérailles aujourd'hui a vraiment franchi toutes les étapes au sein de l'organisation.
Caron enseignait l'anglais au Collège Saint-Laurent (d'où son surnom) quand Sam Pollock lui a offert un poste de recruteur à temps partiel avec le Canadien junior. Recruteur bénévole dans une formation junior, c'est vraiment ce qu'on appelle commencer au bas de l'échelle. Les échelons, il les a gravis un à la fois. Il a mis huit ans à devenir le recruteur en chef du Canadien junior. Plus tard, on lui a demandé de diriger la filiale des Voyageurs, dans la Ligue américaine. Puis, il est devenu directeur général de cette équipe avant d'être promu adjoint à Sam Pollock. Après avoir hérité du rôle de directeur du recrutement, il est finalement devenu le bras droit de Grundman. Après un tel parcours, il n'a vraiment pas volé son statut d'ancien Canadien.
Caron ne ressemblait en rien aux hommes de hockey d'aujourd'hui. Il était disponible, serviable, enjoué et généreux. On a beaucoup fait état de ses colères devenues légendaires, mais il était avant tout un être chaleureux. Il ouvrait d'emblée sa porte à tous ceux qui désiraient boire ses paroles en vue d'un bon article. Et il en jasait un coup.
Comme je l'ai déjà mentionné, j'ai fait sa connaissance à l'époque des Voyageurs de Montréal, dans la Ligue américaine. C'était ma première année sur le beat du hockey. J'arrivais de Chicoutimi avec un vocabulaire anglophone de quelques mots. Ça m'intimidait de commander un repas dans un restaurant en compagnie d'un professeur d'anglais qui roucoulait cette langue sans accent. Afin de ne pas trop m'humilier devant lui, j'attendais qu'il commande son repas avant de glisser «same thing» à la serveuse. J'en ai mangé du «same thing» à mes débuts. Ce qui se trouvait dans mon assiette n'était pas toujours ce que je voulais, mais je ne pouvais pas me permettre d'être capricieux.
Il m'a beaucoup appris à l'occasion des longs voyages de l'équipe en autocar. Il était le champion des anecdotes. Comme il était les yeux et les oreilles de Sam Pollock dans cette équipe, il était très respecté des joueurs, dont une bonne dizaine étaient francophones: Réjean Houle, Marc Tardif, Phil Myre, Jude Drouin, Guy Charron, Guy Lapointe, Pierre Bouchard, Alain «Boum Boum» Caron, Jean Gauthier et Lucien Grenier. Une belle brochette complétée par Pete Mahovlich, Larry Pleau, Dennis Hextall et deux joueurs qui allaient éventuellement diriger le Canadien, Bob Berry et Al MacNeil.
Après chaque match sur la route, nous attendions tous dans l'autocar pendant que le Prof était en conversation téléphonique avec l'autorité suprême, Sam Pollock, qui ne pouvait aller dormir sans savoir comment s'était comporté son club-école.
Il a adopté une famille complète
Caron n'a pas été sans emploi très longtemps après son départ du Canadien. Harry Ornest, qui venait d'acheter les Blues de Saint-Louis, lui a offert la possibilité de reconstruire cette équipe en chute libre. Le Prof a eu un impact majeur sur les Blues qui n'ont jamais manqué les séries en 12 ans.
C'est lui qui a sorti Jacques Demers des Maritimes où les Nordiques l'avaient rejeté après son congédiement. Sans la perche providentielle qu'il lui a tendue, Demers n'aurait pas connu une longue et fructueuse carrière qui fait de lui encore aujourd'hui le dernier entraîneur à avoir gagné la coupe Stanley au Canada. Une distinction qui l'a mené au Sénat.
Au pied du podium qui accueillait son urne, portant les logos du Canadien et des Blues, une gerbe de fleurs était accompagnée de cette note: «Prof, merci pour tout ce que tu as fait pour moi». Signé Jacques Demers. Ça dit tout.
Caron n'a jamais été marié; il n'a pas eu d'enfants. Son existence entière a été consacrée au hockey. Il n'y a jamais eu de place pour autres choses dans sa vie. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas aimé ou qu'il n'a pas été aimé. Le hasard a d'ailleurs voulu qu'il adopte une famille durant son stage chez les Blues.
Il avait été profondément touché par l'accident de la route qui avait failli emporter la fille de son adjointe administrative. L'adolescente, qui avait subi de sévères traumatismes à la tête, est restée longtemps dans le coma. Le Prof, qui était lui-même passé par là, s'est senti interpellé. Durant un match de football au collège, il avait subi une fracture du crâne qui avait failli lui coûter la vie. Il avait passé un certain temps dans le coma, lui aussi. L'accident, qui l'avait laissé avec une cavité sur le côté droit de la tête, avait mis un terme à sa carrière athlétique.
Caron avait visité plusieurs fois la jeune fille à l'hôpital. Cette situation, qui l'avait beaucoup touché, avait contribué à le rapprocher de sa famille. Le Prof, qui habitait seul une maison spacieuse, les avait plusieurs fois accueillis chez lui. Ensemble, ils avaient visionné beaucoup de hockey à la télévision. Ils avaient appris à se connaître et à s'apprécier. Durant ses nombreuses absences, ils faisaient le ménage et entretenaient la maison. Ils n'avaient pas à sonner quand ils le visitaient. Ils avaient leur clef. Ils étaient devenus sa famille.
Comment tous les directeurs généraux, Caron a réussi des bons coups et des moins bons. Il est derrière la décision d'avoir préféré Doug Wickenheiser à Denis Savard. Il avait recommandé qu'on choisisse Marcel Dionne avant Guy Lafleur. Par contre, plusieurs de ses choix au repêchage sont devenus des joueurs étoiles. Il a également eu le flair de compléter une transaction qui lui a permis de mettre le grappin sur Brett Hull alors qu'il était un joueur sans nom qui n'annonçait rien de bon à Calgary. Hull a donné 527 buts aux Blues.
« Ron n'aurait jamais dû être remercié en 1983, me fait remarquer Serge Savard dont la nomination comme directeur général a coïncidé avec le départ du Prof. On s'en allait au repêchage et je n'étais pas préparé pour ça. Je n'y connaissais rien. Je lui ai téléphoné pour lui demander son aide puisqu'il connaissait tous les plans du Canadien en vue de ce repêchage. Il est venu me porter ses dossiers. »
Cette année-là, Savard a pu repêcher Alfie Turcotte, Claude Lemieux, Sergio Momesso et John Kordic.
Pour ma part, je conserve le souvenir d'un homme coloré, toujours prêt à rendre service. Un homme à l'aise financièrement, amoureux de la vie et du bon vin, dont la cave était quelque chose à voir, paraît-il. Un homme charmant qui ne méritait pas de passer les sept dernières années de sa vie dans une résidence pour personnes en perte d'autonomie après avoir subi un AVC peu de temps après sa retraite.
Jusqu'à la toute fin, il a profité de l'amitié de Savard qui a veillé sur lui comme s'il s'agissait de son propre frère. Il a vu à ce que le Prof ne manque de rien et profite des meilleurs soins.
Il y a aussi cet ami inséparable qu'est devenu Fred Relihan, l'ex-responsable du video chez le Canadien à l'époque du Forum. Durant ses rares sorties, c'est cet homme discret et effacé, âgé de 85 ans, qui poussait son fauteuil roulant. Relihan a été ses yeux au cours des dernières années quand Ronald a perdu partiellement la vue, une conséquence de son diabète.
Qu'un simple responsable du video se soit attaché à lui de cette façon nous en dit beaucoup sur l'empreinte que Caron a laissée sur les gens qu'il a cotoyés. Un juste retour des choses pour un homme qui a beaucoup donné.