Personne n'aurait pu mieux écrire le scénario de la sortie sportive de Guy Lafleur en ce dimanche après-midi mémorable.

Une dernière victoire, un tour du chapeau, la première étoile et une ovation durant laquelle on a laissé le temps s'écouler au cadran jusqu'à ce que la dernière seconde soit disparue. On a vite compris qu'il était inutile d'aller plus loin.

Combien d'athlètes ont pu marquer le dernier but d'une éblouissante carrière dans la ville où ils ont été les plus adulés et voir coéquipiers et adversaires quitter la glace sur-le-champ sans en demander davantage? Encore une fois, Flower n'aura pas fait les choses comme tout le monde.

C'était le dernier tour de piste d'un athlète à nul autre pareil qui ne risque pas de se perdre dans la nature à partir d'aujourd'hui. Il restera présent dans la communauté parce que son oeuvre amicale et humanitaire auprès d'un public de tout âge sera toujours requis. Et le Démon blond, c'est bien connu, ne sait pas dire non.

Dans les deux vestiaires, légendes, membres du Panthéon, recordmen de la ligue, athlètes dont les chandails ont été retirés et joueurs ayant connu des carrières plus modestes ont tous raconté ce que le héros du jour a représenté pour eux. Ils ont évidemment fait allusion à son incroyable talent. Ils ont parlé de ce que cela a représenté pour eux de jouer à ses côtés, de l'affronter ou tout simplement de jouer un jour dans la rue en portant un chandail tricolore numéro 10. Et combien d'entre eux ont ajouté : « Guy est si gentil avec nous... »

Les quelque 16 000 spectateurs présents n'ont pas eu besoin qu'on leur rappelle les faits saillants de sa carrière. Ils savaient déjà absolument tout de son cheminement. Ils n'étaient pas venus parce qu'il a marqué 560 buts, dont 518 avec le Canadien. Ils étaient venus lui dire merci. Merci de n'avoir jamais triché sur la patinoire. Merci de leur en avoir mis plein la vue dans les moments importants. Merci, surtout, pour être resté lui-même et pour n'avoir jamais fait faux bond aux gens ordinaires, une fois sa carrière terminée.

Peu importe où il était, Lafleur n'a jamais été pressé de partir. Tant qu'une casquette, un chandail ou un simple bout de papier était tendu vers lui, il y griffonnait son nom. Il ne l'a jamais fait pour la galerie. On ne peut pas se comporter de cette façon durant un quart de siècle si on n'est pas foncièrement généreux.

Durant toutes ces années de la tournée des légendes à travers le pays, ses coéquipiers l'ont toujours attendu dans l'autobus après le match. Personne ne protestait en le regardant, les pieds dans la neige, faire cadeau de sa précieuse signature. Comment auraient-ils pu démontrer de l'impatience à son endroit? S'ils venaient de disputer un autre match à guichets fermés, malgré leurs cheveux gris et leur tour de taille proéminent, c'est parce que Lafleur avait fait accourir la foule. C'est à lui qu'ils devaient de recevoir encore des applaudissements longtemps après avoir fait leurs adieux aux patinoires de la Ligue nationale.

Je le revois encore, quelques jours avant Noël, dans une grande salle paroissiale de Longueuil, où il avait répondu à l'invitation de servir le souper à des démunis en compagnie de plusieurs personnalités sportives. Une fois l'événement terminé, les personnalités étaient rentrées chez elles. Lafleur était resté. Il s'était assis à une table dans le hall d'entrée de l'édifice et avait signé des autographes jusqu'à ce que le dernier fan ait obtenu satisfaction. Il était près de minuit. Il était loin de la maison, mais il n'avait jamais regardé l'heure. Il n'avait pas exprimé le moindre signe d'impatience.

Voilà pourquoi on l'aime toujours autant, 20 ans après son dernier match. Voilà pourquoi le Québec a vigoureusement protesté quand une procureur de la couronne et un juge de paix ont émis un mandat d'arrestation contre lui pour une simple affaire de déclarations contradictoires après l'arrestation de son fils. Lafleur n'est pas à l'abri des lois, mais un personnage sportif plus grand que nature, une icône québécoise qui accourt toujours quand on a fait appel à son aide et qui répond à l'invitation de son pays quand on lui demande d'aller divertir nos troupes en territoire de guerre, aurait certainement mérité plus de respect.

Son dernier but

Avant ce match à saveur de nostalgie, on a pu visionner quelques-uns des plus beaux buts de Lafleur sur l'écran géant. Habituellement, quand on revoit les images des années 70, ce qui nous frappe surtout, c'est la différence au niveau de la vitesse. Vitesse sur patins, vitesse d'exécution. Tout est tellement plus rapide aujourd'hui. Pourtant, sur l'écran, Lafleur affichait sensiblement la même rapidité que les joueurs actuels. Pas étonnant qu'on se souvienne d'abord du joueur qui patinait la couette au vent et les patins aux fesses. Pas étonnant qu'on comprenne mieux pourquoi une fois en marche, on ne parvenait pas à le ralentir, encore mois à le stopper.

Lafleur a complété son tour du chapeau avec la complicité des joueurs sur la glace. Ses coéquipiers ont tout fait pour lui refiler la rondelle. Ses adversaires se sont discrètement sortis de la trajectoire des passes. Et le gardien Billy Smith, âgé de 60 ans, qui lui avait volé un but certain plus tôt dans le match, a à peine bougé sur le jeu.

La foule a explosé de son siège. Les coéquipiers de Lafleur l'ont entouré et l'équipe adverse toute entière a souri. Comme c'était le cas quand il était en tournée avec l'équipe des légendes, on l'a laissé totalement à ses admirateurs. C'était sa journée, après tout.

Les spectateurs avaient souhaité voir quelques réminiscences du grand cru qu'a déjà représenté Lafleur. Ils ont bu ses trois derniers buts jusqu'à la dernière goutte.