COLLABORATION SPÉCIALE

Les Jeux de Pékin auront-ils leur Colin Kaepernick? C’est la question que je me pose après avoir participé à un webinaire de la Chaire Raoul-Dandurand intitulé Les Jeux olympiques outil de propagande, auquel participait Jean-Luc Brassard, avec qui j’ai discuté de longues minutes à bâton rompu.

Pour ceux qui l’auraient oublié, ou qui vivent sous une roche, en 2016 le quart-arrière, alors qu’il est le meneur des 49ers de San Francisco, décide de protester contre le racisme aux États-Unis en s’agenouillant durant l’hymne national avant les matchs de son équipe. Bien qu’il soit encore un joueur vedette de la NFL et qu’il ait mené son équipe au Super Bowl quelques années auparavant en 2013, il ne se retrouvera pas d’équipe après être devenu joueur autonome à la fin de la saison.

Plusieurs textes ont déjà été écrits sur sa situation et sur l’hypocrisie de la NFL qui dit lutter contre les injustices sociales, mais qui ignore le talent d’un quart-arrière qui proteste pacifiquement. Quel est le rapport entre Kaepernick et les Jeux olympiques? Comment une conversation avec Jean-Luc Brassard m’a fait penser à l’ancien quart des 49ers?

Si vous suivez l’actualité, vous savez que le champion olympique est très critique du Comité international olympique (CIO) et de la décision de présenter les Jeux de 2022 dans un pays où les droits humains sont bafoués. Comme il l’a dit à Tout le monde en parle, « c’est la 2^e fois de l’Histoire que les Jeux sont présentés dans un pays où il y a des camps de concentration ». Ces mots sont lourds de sens. La minorité ethnique des Ouïghours est en effet victime ni plus ni moins d’un génocide. Les femmes sont stérilisées de forces et les membres de cette minorité sont torturés dans des camps de « rééducation » selon les termes utilisés par le gouvernement de Xi Jinping.

Plusieurs observateurs se demandent pourquoi les instances sportives et les gouvernements du monde ne réagissent pas plus fermement face aux horreurs perpétrées par le gouvernement chinois. Certains se demandent aussi pourquoi ces Jeux n’ont pas été boycottés par les pays démocratiques. Tout ça, c’est sans compter le traitement par le gouvernement chinois de ressortissants étrangers en représailles contre les politiques d’autres pays. On a qu’à penser à l’emprisonnement arbitraire de Michael Spavor et Michael Kovrig durant près de trois ans. On ne parle même pas des risques de sécurité pour les membres des médias, les athlètes et autres visiteurs, qui risquent d’être espionnés par le gouvernement du pays hôte.

La pression de protester et d’attirer l’attention sur les horreurs commises par le gouvernement chinois retombe également sur les athlètes. Ils sont pourtant pris entre l’arbre et l’écorce. Pris entre leur rêve olympique et la justice. Entre le devoir moral de dénoncer et le danger d’être puni par le CIO ou pire, être persécuté par les autorités de la Chine.

C’est ce qui me pousse à me poser la question : qui sera l’équivalent de Colin Kaepernick pour les Olympiques de 2022? Traditionnellement, comme me l’explique Jean-Luc Brassard, les Jeux d’hiver n’ont pasd’athlètes fédérateurs, pas de grandes vedettes connues internationalement. Qui est le Usan Bolt, Michael Phelps ou Simone Biles des Jeux d’hiver? Quel athlète pourrait boycotter les Jeux de Pékin 2022 et créer une onde de choc, ou qui sait, une vague de fond qui en pousserait d’autres à faire de même? C’est dans ce contexte que je me demande, qui sera le Colin Kaepernick des Jeux. Peut-on s’attendre à voir un ou une athlète protester à la manière du quart-arrière américain et ainsi mettre en danger sa carrière au nom de la justice et de la décence humaine?

On peut arguer que les athlètes n’ont pas à se mêler de politique et que le sport et la politique ne font pas bon ménage, pourtant l’Histoire nous a montré que le sport et la politique sont intimement liés. De toute façon, on ne parle même pas de politique ici, mais de l’empathie élémentaire face à l’injustice.

Je n’ai pas de réponses à toutes ces interrogations. Je me pose simplement des questions sur notre lien avec le sport olympique et notre aveuglement partiel et parfois volontaire. Mais surtout je me demande, comment en sommes-nous arrivés là?