Même si Guy Carbonneau offre diverses explications pour justifier sa décision d'aller aiguiser ses réflexes d'entraîneur dans le hockey junior, il y a des sceptiques dans la salle.

On souhaite que sa démarche soit heureuse. Carbonneau a connu une brillante carrière sur la glace qu'il aimerait bien couronner avec brio dans un rôle différent. Cet homme au caractère très particulier, qui a toujours aimé faire les choses à sa manière, n'était pas l'un des préférés de l'ancien directeur général Serge Savard qui, un jour, l'a échangé en retour d'un athlète qui a duré le temps des roses à Montréal, Jim Montgomery.

Là encore, Carbo s'est assuré d'avoir le dernier mot. Montgomery, un centre de petite taille, a disputé cinq matchs avec le Canadien pendant que sous d'autres cieux, Carbonneau a ajouté 406 parties et une autre coupe Stanley à son palmarès déjà bien garni. L'ex-capitaine du Canadien a ainsi pu connaître une carrière de 19 saisons, auréolée de trois coupes Stanley et d'autant de trophées Frank Selke. Ce sont des exploits qu'on ne pourra jamais lui enlever, peu importe ce qui se passera durant la carrière d'entraîneur qu'il souhaite reprendre.

Il rêve probablement de pouvoir se forger une seconde carrière qui lui vaudrait autant de notoriété que la première. Il a goûté au métier d'entraîneur et il a ressenti l'inévitable piqûre qui atteint tous ceux qui passent par là. Il donnerait cher pour que l'expérience se poursuive. D'où le long chemin de croix qu'il s'imposera à travers le Québec et les Maritimes.

Son ex-coéquipier et ami Bob Gainey lui a ouvert les portes du coaching avant de lui tirer le tapis sous les pieds moins de trois saisons plus tard. Carbonneau en a sans doute voulu à Gainey d'avoir brutalement mis fin à ce beau rêve, mais bien honnêtement, si ces deux-là n'avaient pas été des amis de longue date, il n'aurait probablement jamais profité d'une première chance.

Carbonneau essaie donc de relancer son après-carrière qui l'avait plongé dès le départ dans la chaude marmite de Montréal, l'un des marchés les plus difficiles de la ligue, même pour un coach d'expérience.

Il a raison d'affirmer haut et fort que sa décision n'est pas d'ordre financier. Carbonneau n'a pas besoin d'un job comme celui-là pour affronter ses fins de mois. Quant aux Saguenéens, ils n'auraient pas été acculés à la faillite s'ils avaient embauché un vieux routier du hockey junior tout en respectant l'onéreux contrat de Richard Martel durant une saison et demie.

Il revient parce qu'il croit qu'il s'agit d'une façon logique pour lui de retourner dans la Ligue nationale. Les entraîneurs déchus, qui rêvent d'obtenir un autre essai à ce niveau, ne se font jamais prier pour accepter un rôle d'analyste à Hockey Night in Canada ou à TSN. Parfois, rester visible dans un sport qui ne se déroule qu'en anglais est un truc qui fonctionne. Cependant, pour un coach qui s'essaie de la même façon dans l'unique marché francophone de la ligue, la visibilité est loin d'être la même. Cela lui ouvrira rarement des portes. Dans le cas présent, passer derrière le banc d'une organisation junior représente donc l'unique planche de salut de Carbonneau.

Deux personnalités différentes

Par contre, ne devient pas Patrick Roy qui veut. Sitôt sa carrière terminée, Roy est devenu un gars de terrain. Il s'est impliqué à fond dans le hockey junior sans jamais brailler sur du lait renversé. Jamais, il n'a manifesté l'intention de retourner à la Ligue nationale, même si on se doute bien qu'il y gagnera sa vie éventuellement. Il s'est toujours dit heureux dans cet environnement plutôt particulier pour un athlète plusieurs fois millionnaire. Sa passion pour le hockey, Roy la vit au quotidien avec des jeunes dont il s'applique à développer le talent. Il lui arrive de se faire remarquer et critiquer pour d'autres raisons, mais on ne changera pas le personnage.

La personnalité de Carbonneau est différente. Toujours rémunéré par le Canadien, il s'est payé du bon temps depuis son congédiement. Dans la vie de tous les jours, on ne le sent pas aussi intense que son copain des Remparts qui est resté un homme assoiffé de victoires après avoir quitté la patinoire. On ne le sentait pas aussi pressé d'aller se donner un élan à un niveau inférieur pour mieux remonter une pente qui s'annonce abrupte. Carbonneau y va par obligation. Roy y est allé par plaisir.

Ils préconisent également des méthodes fort différentes. Roy est un guerrier qui n'hésite pas à parler à ses joueurs entre quatre yeux quand il est mécontent de leur rendement. Carbonneau, c'est bien connu, n'est pas un expert en communication. D'ailleurs, Roy ne s'est pas gêné pour lui conseiller de s'améliorer sur ce plan s'il veut connaître du succès avec sa jeune équipe.

Carbonneau a eu à s'expliquer plusieurs fois sur le sujet depuis son point de presse de lundi. Chaque fois, il a répondu à la blague que cette lacune ne peut pas être aussi néfaste qu'on le dit puisqu'il travaille dans le milieu des communications depuis deux ans. Il y a toutefois une énorme différence entre faire part de ses expériences devant les caméras et affronter quotidiennement une vingtaine d'athlètes dans un vestiaire.

J'espère que Carbonneau sait exactement dans quoi il s'embarque. Pour que ce boulot lui serve de tremplin pour un retour à un palier supérieur, il devra rester assez longtemps au Saguenay pour qu'on le remarque et qu'on note la progression de son équipe.

Déjà, Roy s'est vu offrir le double rôle de directeur général et entraîneur de l'Avalanche du Colorado, une offre qu'il a déclinée parce qu'il voulait profiter pleinement de la possibilité de diriger ses deux fils chez les Remparts. On l'a approché parce qu'il avait connu de beaux succès à la tête des Remparts, notamment une coupe Memorial à sa première année comme entraîneur. Il n'y a pas de meilleure façon de se faire remarquer.

Quelles sont les chances?

En acceptant de relever ce défi à Chicoutimi, Carbonneau s'est peinturé dans le coin. Il ne peut pas tenter l'expérience pour une fin de saison seulement, tout en se trouvant une bonne excuse pour sortir de là, l'été prochain. S'il rentre à la maison sans s'accorder le temps de prouver quoi que ce soit, il ne convaincra personne de l'utilité de le ramener dans la Ligue nationale. Il lui faudra donc y mettre le temps, peut-être beaucoup de temps, pour qu'on le remarque. Et si ça ne marche pas, si le téléphone ne sonne pas, ce sera à lui de décider de la date définitive de sa retraite du hockey.

Quelles sont les chances de le revoir dans la Ligue nationale? Elles sont habituellement très minces chez les entraîneurs qui, comme lui, ont été remerciés sans avoir eu le temps de se bâtir une solide crédibilité. Ils sont nombreux les athlètes à avoir dirigé l'équipe avec laquelle ils ont passé une bonne partie de leur carrière et qui n'ont jamais pu profiter d'une autre chance après leur congédiement. Le stage de Carbonneau avec le Canadien n'a duré que 230 parties.

Vous voulez d'autres noms?

Lou Angotti a dirigé les deux équipes dont il a porté les couleurs, St. Louis et Pittsburgh. Il y a passé 112 matchs avant de sombrer dans l'oubli.

Bill Barber, une des grandes vedettes dans l'histoire des Flyers et membre du Panthéon du hockey, a été remercié après 136 parties. On ne l'a plus jamais revu derrière un banc.

Red Berenson, à Saint-Louis, a duré 204 parties.

Butch Goring a dirigé deux formations pour lesquelles il a joué, Islanders et Boston : 240 matchs.

Steve Kasper, des Bruins de Boston : 164.

Rick Kehoe, des Penguins de Pittsburgh : 160.

Kevin Lowe, une gloire des Oilers d'Edmonton : 82.

Keith Magnuson, des Blackhawks de Chicago : 132.

Ed Olczk, des Penguins de Pittsburgh : 113.

Denis Savard, des Blackhawks : 147.

Mario Tremblay, du Canadien : 159.

On souhaite pour Carbonneau que l'histoire s'avère différente. Malheureusement pour lui, son cercle d'amis parmi les directeurs généraux de la ligue n'est pas très grand. Ses relations amicales se limitent à Joe Nieuwendyk chez les Stars de Dallas, avec qui il a gagné sa troisième coupe Stanley, et à Doug Armstrong, à St. Louis, dont il a été l'adjoint à Dallas. Or, il sait déjà qu'il ne peut plus vraiment compter sur Armstrong qui l'a ignoré en lui préférant Davis Payne au poste d'entraîneur pendant qu'il était sans travail, il y a un an.

La possibilité de revoir Carbonneau dans la Ligue nationale un jour semble mince. À moins, bien sûr, qu'il reste assez longtemps au pays des bleuets pour gagner une coupe Memorial à son tour.

La loi du sport est souvent implacable. Pour gravir les échelons, c'est souvent qui tu connais. Pas toujours ce que tu vaux.