OTTAWA - Ca faisait un p'tit bout de temps que le match était terminé.

Dans le vestiaire des Devils du New Jersey, lundi soir, au Centre Corel, Martin Brodeur, sous le regard impatient du relationniste de l'équipe, répondait à chacune des questions qu'on voulait bien lui poser.

Il parlait du cinquième match, jusqu'à quel point les Sénateurs ont sorti les Devils de leur zone de confort. Il insistait aussi sur les erreurs coûteuses résultant en trois buts de l'adversaire. Il s'attarda pendant quelques minutes sur la nécessité pour les Devils de se regrouper et surtout de réaliser que cette équipe des Sénateurs peut leur jouer le même tour qu'ils, les Devils, avaient fait aux Flyers de Philadelphie, il y a trois ans.

On se rappelera de cette série la série des inprévus, des impondérables. Larry Robinson avait piqué une telle colère dans le vestiaire après le quatrième match de la série, rencontre qui envoyait les Devils au bord du précipice, qu'on en parle encore. Chez les Flyers, on s'était bêtement laissé embarquer par cette zone de confort qui, parfois, vous tend des pièges dangereux. Les vétérans des Flyers croyaient avoir les Devils dans les câbles mais s'amena Eric Lindros. Une erreur stratégique qui empoisonna l'atmosphère dans le vestiaire et les Flyers succombèrent devant les prouesses de Brodeur et surtout devant les exploits de Scott Stevens.

Les Sénateurs, sans vouloir imiter les Devils de l'an 2000, tout d'abord, ils ne pouvaient pas adopter le même scénario, ce n'est pas dans le style de Jacques Martin de crier à tue-tête ou encore de donner un coup de pied contre la poubelle. Les Sénateurs se sont plutôt tournés vers Roger Neilson qui a passé un message émouvant, un message qui a retenu l'attention de tous et chacun. Les joueurs des Sénateurs en parlaient abondamment après le match. Pourtant, ils devraient avoir honte. Honte parce qu'ils confirment qu'ils n'ont pas joué à la hauteur de leur talent, qu'ils n'ont pas fourni les efforts requis pour gagner un titre. Ce qui faisait dire, avec justesse, à Ken Hitchcock, pilote des Flyers, qui suit la série avec intérêt : « Les Sénateurs savent ce qu'il faut faire pour gagner. S'ils tirent de l'arrière dans cette série, c'est justement parce qu'ils ne veulent pas faire ce qu'il faut pour aller jusqu'au bout. » Une remarque à point.

Lundi, les Sénateurs ont donc relancé le débât en retroussant leurs manches, en acceptant de payer le prix, en allant devant le filet de Brodeur sachant qu'ils se feraient brasser par Stevens et compagnie. Une performance qui a semé le doute chez les Devils.

"Crois-tu à un retour des Sénateurs?"

Il y a eu un moment d'hésitation. « On ne jure de rien dans cette ligue, lança Brodeur. Les Sénateurs ont terminé au premier rang cette saison, c'est une équipe riche en talent et, surtout, c'est une formation qui est merveilleusement bien dirigée. Elle ne manque pas de ressources, il faudra donc trouver un moyen de freiner leurs élans et également avoir à l'œil tout nouveau-venu qu'ils peuvent insérer dans leur formation. On ne savait pas que (Jason) Spezza jouerait. »

Brodeur aime bien passer ses messages. Il a tenu à parler de Jacques Martin, un pilote qu'il a grandement apprécié pendant le tournoi olympique de Salt Lake City. C'est d'ailleurs Martin qui a plaidé la cause de Brodeur auprès de Pat Quinn après la dégelée du Canada face à la Suède. Curtis Joseph avait connu des ennuis et, chez les Canadiens, l'inquiétude avait montré d'un cran. Martin avait alors suggéré à Quinn d'utiliser Brodeur, un gardien qui a toujours aimé travailler sous la forte pression. Martin avait gagné son point et, finalement, cette décision devait changer totalement la tournure des événements.

Lundi soir, avant de quitter le Centre Corel, escorté par ce satané relationniste, je mentionne au gardien des Devils que cette victoire accorde un sursis à Martin. Qu'on se prépare à le passer à la varlope à Ottawa. En coulisses, on le dit « ennuyant », incapable de s'ajuster dans l'adversité. On questionne son attitude derrière le banc, c'est un entraineur qui n'a pas de réaction. On raconte aussi que ses messages ne passent plus, pourtant ils ont passé au cours de la saison. Bref, on n'attend que le moment pour le passer à tabac.

« Etrange, n'est-ce pas?, mentionna le gardien des Devils. Je crois qu'il est l'un des meilleurs entraineurs de la Ligue nationale. Ca prend du culot pour vendre un système défensif à 11 joueurs européens, la plupart des patineurs talentueux, élevés dans un système offensif, chez eux, dans leur pays. Il a réussi à développer les jeunes joueurs de l'organisation, il leur a vendu ce qu'il croit être le système approprié pour connaître du succès et, il en a connu du succès. »

Un plaidoyer intéressant.

Le problème de Martin et il le sait très bien, c'est que John Muckler s'est amené, il y a un an à titre de directeur général de l'équipe. Martin n'est pas son homme. Muckler a fait ses classes dans l'organisation des Oilers et a toujours préféré les équipes offensives, les équipes spectaculaires. On raconte même que Muckler aurait mentionné que Martin a peut-être passé trop d'années au même endroit. On avance même le nom de John Paddock. Qu'on ne vienne pas me dire que John Paddock est plus coloré que Martin. Plus plate que ça, tu meurs.

Martin est rendu au point qu'il n'a vraiment d'autres options de regarder ailleurs. Même s'il gagne la coupe Stanley, on dira que ce sont les joueurs, ces mêmes joueurs qui ont besoin d'un homme luttant pour sa survie pour trouver une source de motivation, à quelques jours du début de la série finale de la coupe Stanley.

Si Martin perd la série contre les Devils, on va tirer à boulets rouges sur lui. Pourtant, les Sénateurs n'ont jamais été aussi loin dans leur tentative de gagner le championnat. Martin pourra toujours garder la tête haute. Il aura donné à cette organisation la crédibilité qu'elle avait tant besoin pour attirer les investisseurs. Et, il n'aura pas à s'inquiéter, les offres viendront rapidement.