MONTRÉAL – Pendant que le Canadien prétend ne pas utiliser l’intelligence artificielle et que les Alouettes n’ont pas entamé ce virage, le CF Montréal a foncé tête première dans ce créneau en tâchant de ne pas perdre le contrôle.

Car il faut comprendre que les possibilités sont désormais infinies pour les organisations professionnelles. Le défi devient donc de trouver les outils qui sont véritablement pertinents au lieu de se laisser aveugler par une multitude de données.

« C’est tellement rendu gros qu’il faut vraiment être bon à réduire vers la qualité. Si tu n’es pas capable de le faire, il y a trop de variables, trop de combinaisons possibles. Je le vois souvent dans mes courriels, beaucoup de compagnies prétendent détenir le Graal. Mais ça va dans tous les sens, il y a de bonnes choses, mais aussi beaucoup d’autres que ça devient un pile ou face », a décrit Jules Gueguen, le préparateur physique du CF MTL. 

« Parfois, c’est mieux de se limiter à deux ou trois outils qui sont vraiment précis que de regarder 50 000 trucs », a-t-il ajouté. 

Ainsi, le CF Montréal combine quelques procédés. À commencer par Second Spectrum, un système qui analyse des données de performance techniques, tactiques et physiques. Le club greffe à cela un système d’exploitation de GPS d’une firme italienne pour recueillir d’autres variables comme les distances parcourues à différentes intensités. 

Maxime Chalier, l’analyste vidéo de l’équipe, se tourne aussi vers des systèmes d’analyse de données pour des trucs précis à surveiller sur le plan technique et tactique. Au final, des logiciels spécialisés viennent aider le CF MTL à extraire des analyses pertinentes. 

« Ce qui s’en vient en force, c’est la combinaison entre la donnée d’analyse en vidéo et la donnée GPS. Si je te donne un exemple concret, je peux savoir que Zachary Brault-Guillard a fait 30 sprints à quels endroits sur le terrain et dans quel contexte de jeu », a exposé Gueguen.  

Malheureusement, Gueguen perd les données GPS quand l’équipe joue dans un stade fermé comme à Atlanta ou au Stade olympique ou bien au Complexe sportif Marie-Victorin qui sert de lieu de camp d'entraînement. 

Le secret persiste tandis que les athlètes sont réceptifs

Quand on constate l’influence de l’intelligence artificielle auprès du CF Montréal, on s’étonne de la réponse du Canadien qui affirme utiliser plusieurs technologies, mais pas l’IA. C’est sans doute relié à l’interprétation du terme puisque nos recherches ont permis de savoir que le Canadien utilise certains outils d’IA notamment pour tenter de limiter les blessures chez ses joueurs. 

« Dans ce métier-là, le monde travaille tellement pour trouver quelque chose que les autres ne font pas qu’il y a peut-être un côté qu’ils ne veulent pas divulguer leur approche », a réagi Gueguen.

« Je réalise qu’on a un avantage à l’INS par rapport au Canadien puisque le hockey est un sport assez conservateur. L’équipe scientifique a probablement plus de misère à implanter ses idées et à obtenir le même niveau de rétroaction que nous. Du côté des athlètes professionnels, il y a également un taux de roulement plus élevé », a constaté Jérémy Briand, physicien à l’INS Québec où il travaille avec des athlètes amateurs canadiens. 

Alors que le secret est privilégié par bien des organisations, l’intégration de ces méthodes plus poussées se fait plutôt naturellement auprès des athlètes. 

« Les jeunes sont vraiment rendus numériques. On gagne et ils sont déjà sur leur téléphone 10 minutes plus tard. C’est une génération qui réagit bien à cette approche », a exposé Gueguen. 

Joaquin Torres et des statistiques via l'intelligence artificielleÇa ne veut pas dire que la séduction fonctionne de la même manière chez tous les entraîneurs. Il faut donc s’ajuster aux préférences de chacun comme Gueguen l’a fait avec Wilmer Cabrera, Thierry Henry et maintenant Wilfried Nancy avec lequel il partage une vision très similaire.  

Sauf que ça progresse de façon exponentielle. Dans 15 ans, Gueguen ne serait pas surpris que les grandes organisations misent sur 20 personnes pour le personnel dédié aux performances. Qui sait, peut-être que des robots viendront aider les clubs sportifs un jour. 

« Je ne veux pas y mettre un frein, mais, même si j’ai étudié en sciences, le soccer demeure un truc artistique à mes yeux », a ciblé Gueguen qui ne veut pas voir l’IA prendre trop de place. 

Le sport doit encore combattre des préjugés

Les nombreux développements cachent une réalité qui n’est pas nouvelle : le domaine sportif doit encore se battre avec certains préjugés. 

« Il n’existe pas beaucoup de programmes spécifiquement axés vers le sport. Il peut même y avoir parfois le côté mal vu du sport. Quand c’est un exemple sportif, ça peut être perçu comme moins sérieux », a reconnu Jean-François Plante, professeur agrégé au département des sciences de la décision à HEC Montréal et directeur associé au Pôle sports HEC Montréal.

Les étudiants, chercheurs et professeurs doivent donc travailler plus fort pour obtenir du financement. Les fonds sont souvent débloqués quand les recherches peuvent mener éventuellement à une application auprès du grand public. 

Jean-François Plante, directeur associé au Pôle sports HEC Montréal

Quant à la place que Montréal joue sur cette scène, l’absence d’équipes de la NBA, de la NFL et du Baseball majeur la prive d’investissements d’envergure. En dépit du haut niveau de qualification des étudiants montréalais, les équipes sportives américaines se tournent majoritairement vers les ressources de leur pays. 

« Malgré ça, une de nos étudiantes a eu des contacts avec des équipes professionnelles grâce à ses travaux », a souligné Plante. 

Le dernier volet n’est pas, à proprement parler, sportif. Cela dit, les organisations professionnelles emploient l’IA à bien des égards pour leurs opérations d’affaires. Que ce soit pour cibler des campagnes publicitaires, fixer le prix des billets et même fournir la durée d’attente, en temps réel, aux différents comptoirs des concessions et même aux toilettes. 

Jérémy Briand, physicien à l’INS Québec et champion canadien de triathlon
Cristina Rizzuto, étudiante au HEC
Thomas Romeas, chef, Recherche et Innovation à l’INS Québec