Et le serpent se bouffa la queue...
Coupe du monde de la FIFA 2022™ dimanche, 1 juil. 2018. 20:27 jeudi, 12 déc. 2024. 08:58Avouez qu’il n’y a pas de bonne Coupe du monde sans tirs au but. Si, si. Ce plaisir coupable, ce frétillement un peu malsain, ce va-et-vient entre l’agonie du tireur et l’extase du gardien. À condition, bien sûr, d’être du bon côté.
Vu comment Russie 2018 déboulonne toutes sortes de records bizarres (buts « contre son camp », penaltys, buts en temps additionnel), on ne serait pas surpris de la voir s’attaquer à cette autre marque (détenue par Italie 90 avec 5 matchs en tirs au but auxquels s’ajoutent quatre autres en prolongation). Avec deux d’un coup dès la deuxième journée des matchs à élimination, tu es dans les temps, Russie 2018.
On peut aussi prendre ça comme une punition après les deux matchs follement enlevants de la veille. Histoire de nous rappeler que cette édition est comme un prof d’une autre époque, généreux avec la règle sur les doigts de ceux qui n’ont pas appris leur leçon.
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Ce qui nous amène… à l’Espagne, pardi! Ce qu’elle nous a offert en début de journée est une bouillie de « tiki-taka »: ce modèle qu’elle a glorieusement hissé au sommet du football et qu’elle vomit maintenant par tous les orifices. Ce dimanche a Moscou, on a atteint un paroxysme de possession sans sens, sans accélération, sans pénétration. Possession pour « faire comme si ». Comme quoi? Comme avant? Un pseudo « tiki-taka » pathétiquement amputé de ses deux symboles: après le départ de Xavi, il restait Iniesta. Fernando Hierro l’a laissé sur le banc, pour la première fois depuis le sacre de 2010. Iniesta sur le banc? D’accord, à condition d’offrir quelque chose à la place. Mais Silva, Asensio et Koke ont joué dans le vide et si Isco a tenté, bougé, il était presque le seul. Trop seul dans les griffes de l’Ours russe.
Et à force de tourner en rond, le serpent a fini par se bouffer la queue.
Stanislav Cherchesov, lui, a le triomphe pas mal accroché, merci. Son plan a fonctionné, à la quasi-perfection, et il l’a fait savoir, expliquant en long et en large le temps passé à convaincre ses joueurs du bien-fondé de cette approche d’arrière-garde. Cinq défenseurs, capables de défendre bas, à l’occasion de sortir sur les ailes, du contre et un soupçon de balles arrêtées. C’est sur une de celles-ci que la Russie encaisse très vite (13e) sur un « contre son camp » assez hilarant d’Ignashevich, pris dans un tel duel de lutteurs avec Sergio Ramos qu’il en oublie de regarder le ballon, jusqu’à ce que celui-ci ne rebondisse sur ses talons.
Cela dit, ça ne va rien changer au plan de l’Oncle Stan et la Russie va continuer son bonhomme de match jusqu’à la fin de la mi-temps et un début de réveil russe: quelques longs ballons, histoire de permettre à Dzyuba de se mesurer à Piqué et Ramos, histoire de tirer un ou deux fois (sans cadrer) et d’obtenir un corner. Au bout duquel traîne le bras de Piqué, raide comme un piquet. Un penalty sans besoin du VAR, qu’on va finir par appeler « à l’ancienne », et sur lequel Dzyuba applique son pied vengeur.
La suite? On passe vite, si ce n’est pour mentionner qu’Iniesta entre finalement en jeu, que De Gea n’aura aucun arrêt à faire, que Fernando Hierro semble de moins en moins maîtriser les choses de son banc. On soulignera tout de même la tenue du bloc russe, parfois malmené, mais jamais dépassé et qui trouve une énergie renouvelée dans chaque tacle, chaque dégagement, chaque remontée.
On en arrive aux tirs au but et De Gea ne pourra jouer les sauveurs. Non, c’est Akinfeev qui repousse d’abord avec un arrêt devant Koke avant l’Apothéose. L’Espagne est en arrière au moment de son dernier tir (3-4), Iago Aspas frappe au centre, Akinfeev par d’un coté. Mais le bout de son pied traîne assez loin pour emporter le tir. La Russie vient de remporter le match le plus important de son histoire, chez elle, devant un public désormais totalement dévoué. Et Hierro, plutôt qu’Aspas, plutôt que De Gea, plutôt qu’Iniesta ou Piqué, devra faire face à de bien pénibles questions.
Autres causes, même résultat quelques heures plus tard. Croatie - Danemark a débuté comme un fonctionnaire qui vient de rater le 7h14. En mode panique et pas vraiment la tête sur les épaules. Le Danemark marque sur sa première attaque. Un très longue touche devant le but crée un mega-cafouillage dont « Zanka » Jorgensen profite pour glisser le ballon… quelque part, entre des jambes, sur le ventre de Subasic qui ne peut rien voir venir, mais constate que le rebond est entré dans son but. Et moins de trois minutes plus tard, l’égalisation vaut aussi son poids de patates avec un dégagement express de Dalsgaard qui rebondit en pleine tête de Christiansen et atterrit dans les pieds de Mandzukic, dont la reprise-réflexe est à saluer (tout comme le montage à l’origine de l’action).
Trop de folie nuit. Et les 110 minutes à venir vont nous le rappeler. Le Danemark, organisé pour minimiser l’emprise de Modric et Rakitic sur le jeu, va tout de même tenter quelques attaques issues de longs ballons généralement bien négociés par Cornelius et Poulsen, sans jamais arriver à se mettre en position de finir. La Croatie peine à placer ses attaques rapides, ses deux généraux ne parvenant pas à diriger la manoeuvre avec autant de réussite que face à l’Argentine.
La seule explosion arrivera très tard, une magnifique ouverture de Modric qui lance Rebic derrière la défense, le voit effacer Schmeichel… avant d’être envoyé au sol par un tacle de Jörgensen. Penalty à l’ancienne! Monsieur Pitana se rabattra généreusement sur la lettre du règlement, considérant que le geste du défenseur est fait dans le but de « jouer le ballon » et ne lui adresse qu’un avertissement (une autre interprétation eût été de se dire que le défenseur joue sciemment par-derrière les jambes de Rebic qui va marquer). Il reste deux minutes à la prolongation et Modric va plier tout ça. Non! Il a rarement tiré un penalty aussi mou et comme Schmeichel est parti du bon côté, ça ne fait pas un pli, on va aux tirs au but.
Dans les tribunes, Papa Peter apprécie le talent du rejeton. Et en arrivant à l’ultime épreuve, on se dit que les étoiles sont alignées pour Fiston. Qui arrêtera d’ailleurs deux tentatives, de Badelj et Pivaric. Mais voilà qu’en face se dresse Danijel Subasic. À première vue, venu sans son papa. Et un, et deux, et trois arrêts. Le record de Ricardo (autant lors de Portugal - Angleterre 2006) est égalé. Pour la petite histoire, Modric a réussi sa tentative. La Croatie se lèvera demain, le regard plus que jamais tourné vers un horizon russe, beau et inquiétant à la fois.