Il y a quelque chose de surréel dans cette fin de match à Ekaterinbourg où des milliers de Mexicains qui ont fait le long, pénible et coûteux voyage pour soutenir leur équipe semble d’un coup l’ignorer, alors qu’El Tri souffre, peine, hurle quelques mètres devant eux.

C’est le rejeton d’un mariage forcé entre football et technologie. Et pour une fois, on ne parle pas du VAR. Non, tout simplement du cellulaire. Car, à ce moment précis, l’avenir du Mexique ne se joue pas « ici » mais « là-bas ». Pas à Ekaterinbourg, où leur sélection vient de percuter un grand mur suédois. Mais à Kazan, où l’Allemagne souffre, peine et hurle face au but coréen et son gardien Cho Hyun-woo. Il ne reste que quelques minutes, le score est vierge, immaculé, improbable. C’est le scénario le plus fou: le Mexique dominé, battu, tient sa qualification grâce à une Allemagne incapable de marquer le moindre but à la Corée. Mais ce genre de scénario, les Mexicains s’en méfient… Sur leurs écrans se surimpose le film des dernières minutes d’Allemagne-Suède, il y a cinq jours…

Et comme il faut désormais un VAR dans toute bonne histoire de Coupe du monde, il va nous offrir un autre moment grandiose. But coréen! Non, hors-jeu! Allons au VAR… Kim Young-gwon est effectivement en position de hors-jeu lorsqu’il marque, mais la reprise indique bien qu’il est remis en jeu par… Tony Kroos, héros au destin tragique. Le but est validé. Le Mexique est qualifié. L’Allemagne éliminée. Son Heung-min marquera même un deuxième au bout d’un temps additionnel à rendre fou (10 minutes), suite à un moment assez burlesque de Manuel Neuer, monté à l’abordage dans le camp coréen.

On ne reviendra pas outre mesure sur les raisons de l’incroyable échec allemand. Dire qu’on s’en doutait serait un gros mensonge. Bien sûr, après coup, on peut toujours ressortir des signes avant-coureurs. Mais n’est-ce pas le propre des grandes équipes d’ajuster ce genre de réglages en cours de compétition? La victoire arrachée devant la Suède semblait avoir mis les Allemands à l’abri. Au moins, sortiraient-ils de ce groupe en ayant appris une leçon. Retenue et digérée au moment des huitièmes de finale, où l’on retrouverait une Allemagne maîtresse de son sujet…

Elle a été rattrapée, avalée, digérée par ses manques criants depuis le premier match face au Mexique. Manque de pénétration, manque de variations, manque d’opportunisme une fois parvenu devant le but. Un jeu d’une pénible lenteur, où Özil et Khedira, rappelés pour ce match après avoir été écartés face à la Suède, n’ont jamais su prendre la mesure du tournoi, de l’implication demandée.

On parle d’un « manque de renouvellement ». Évident! Mais il faut aussi le remettre dans le contexte d’une équipe championne du monde (oui, on ressasse les mésaventures de la France, de l’Italie ou de l’Espagne, il existe un fil rouge entre les quatre). Un renouvellement profond est quasiment impossible dans ces circonstances, même si nécessaire, voire évident. Et Joachim Löw n’est pas aveugle. Seulement, comme ses prédécesseurs dans la même situation, il n’a qu’une « liberté surveillée » dans ses choix.

Suède 3 - Mexique 0

Il y a sans doute aussi eu ce fonds d’arrogance, de prétention, ou plus exactement de « respect dû », cet acide qui ronge le questionnement, la remise en cause, l’humilité. Les trois anciens vainqueurs en question ont tous été infectés de ce parasite. Ils ont tous chuté. Et personne n’a versé la moindre larme alors. Pas plus aujourd’hui…

Mais pour en revenir aux qualifiés du jour… Le Mexique, si séduisant lors des deux premiers matches, s’est fracassé sur du dur. La Suède n’offre pas une grande variété de jeu, et demeure assez prévisible tactiquement. Ce qui ne l’a pas empêchée d’exécuter son plan de match à la perfection, gagnant les duels, jouant les contres et mettant une forte pression sur la défense mexicaine fébrile dès le départ. C’est simple, classique, rudimentaire et bien efficace. Fonctionnel. Attention à ne pas faire la fine bouche trop vite: après tout, on salue bien l’Islande qui n’offre certainement rien de plus au niveau jeu… Et ce ne sont pas les prochains adversaires des Suédois qui s’en moqueront. Car la Suisse n’a pas non plus fait des étincelles face au Costa Rica (2-2). Un minimum vital, assuré par l’impuissance serbe au même moment face au Brésil. La Suisse a su capitaliser au bon moment, en revenant et l’emportant face aux Serbes au match précédent, moment décisif dans ce groupe. Elle s’organise toujours autour d’un triangle Xhaka-Behrami-Dzemaili qui fait ses preuves depuis quelque temps et qui possède la remarquable qualité de savoir sortir cette équipe du pétrin au bon moment. Ajoutez à ça un Shaqiri en talent ajouté et ça peut marcher. Par contre, face à la Suède, les Suisses partiront d’entrée sans Schär et Lichtsteiner, les piliers défensifs, suspendus.

Reste donc le Brésil. Ce groupe semblait à sa mesure, histoire de se mettre en jambes et monter en puissance pour la suite. Ça n’a pas été trop pénible, mais certainement pas convaincant. Quelques moments de Neymar, une solide confirmation de Coutinho et des solutions qui apparaissent ponctuellement: ainsi le jaillissement de Paulinho sur le premier but face aux Serbes sur une magnifique ouverture de Coutinho; ainsi le coup de tête rageur de Thiago Silva sur un corner de Neymar. Ça peut faire cheap à l’occasion, mais dans ce tournoi c’est vraiment la dernière chose dont on semble se soucier. Tant que ça permet d’avancer. Le Brésil gagne son groupe, donc, et retrouvera le Mexique lundi prochain. Avec l’obligation d’en montrer maintenant un peu plus. Mais n’est-ce pas ce que l’on dit de tous les favoris jusqu’à présent?

Serbie 0 - Brésil 2
Suisse 2 - Costa Rica 2