Réfléchir à une finale de Coupe du monde quarante-huit heures avant son coup d’envoi est un exercice sûrement dangereux, et très certainement un peu futile. Trop d’impondérables susceptibles de faire dérailler n’importe quelle présentation, n’importe quel plan. Une longue touche après deux minutes de jeu (Croatie - Danemark), un coup-franc après quatre, ou encore un marquage d’une simplicité toute bête, mais oublié, mal exécuté, un instant, un tout petit instant.

 

Voici venu le moment auquel n’importe quel footballeur rêve, qu’il soit bon, moyen, médiocre, amateur ou professionnel. L’absolu sommet d’une carrière. L’étoile qui ne s’efface jamais.

 

L’étoile, Didier Deschamps est le premier Français à l’avoir eue. Le tout premier, puisqu’en tant que capitaine c’est à lui que fut remis le trophée avant tout autre. Cette étoile, désormais indélébile sur le maillot des Bleus. Indissociable de son capitaine de l’époque, est-elle destinée à revenir dans les mains de son successeur, Hugo Lloris?

 

Lloris est la force tranquille des Bleus. À leur image. Sobre, efficace, maîtrisant avec autorité chaque situation. Un ou deux arrêts déterminants par match (celui face à Alderweireld en demie), rien de plus, rien de moins. Un tournoi exemplaire pour mettre un terme aux petites critiques qui se cachent souvent derrière lui: « un excellent gardien, mais… » Mais, la petite bourde, la petite hésitation, le choix hasardeux lui ont souvent été reprochés. Très rarement, mais une fois de temps en temps suffit dans le cas d’un gardien.

 

En attendant, c’est cette autorité qu’il semble insuffler, partager avec une défense qui a aisément traversé ses deux derniers matchs: les trois buts pris contre l’Argentine n’ont vraiment pas plus à Deschamps et c’est une France qui se veut absolument hermétique qui se présente au Loujniki. La charnière Varane - Umtiti dégage cette même assurance, dans son placement, dans ses interventions. En plus, ils sont venus débloquer les deux derniers matchs, sur balles arrêtées. Que demander de plus? Sur les côtés, Pavard et Hernandez sont deux révélations à ce niveau. Loin d’être titulaires il y a six mois, ils ont été propulsés là avec les blessures de Sidibé et Mendy et ne lâchent pas leur place. Sûrs d’eux, ils s’impliquent régulièrement dans les mouvements français, même si leur travail purement défensif peut sans doute encore s’améliorer.

 

Le milieu est assurément le point fort de cette équipe. Avant le tournoi, on se pâmait devant l’embarras de choix offensifs s’offrant à Deschamps. Mais c’est bien dans cet entrejeu que la France a bâti son parcours. Dans un bon jour, Kante et Pogba sont tout simplement injouables, tant ils se complètent et offrent aux Français une formidable assurance dans ce secteur. Dans un bon jour? Ils ne connaissent que ça pour le moment, en tout cas dans les matchs à élimination. Pogba, en particulier, a dépouillé son jeu de tous ces petits irritants qui l’empêchent parfois de dominer une situation et son rendement est d’une efficacité impressionnante. Avec eux, Matuidi est l’homme des situations particulières, sa zone de travail étant singulièrement chargée, Messi ou De Bruyne hier, Modric demain.

 

De l’ensemble, il ressort une équipe impressionnante lorsqu’elle est sans ballon. Son match face à l’Uruguay et la deuxième mi-temps contre la Belgique l’ont prouvé. Ce sont les phases offensives qui peuvent encore se bonifier. La France a encore du mal à faire aboutir ses situations d’attaque et n’a trouvé que rarement l’ouverture sur des mouvements collectifs. Elle a débloqué bon nombre de ses matches sur balles arrêtées, ce qui en soi n’est pas une tare, d’autant que la Croatie risque de lui en offrir quelques-unes. Mais, c’est vrai, on cherche encore quelque chose de Giroud, on peut déplorer que Griezmann soit encore trop souvent éloigné du but et Mbappé semble parfois le seul capable d’apporter la déstabilisation, le déséquilibre, à moins d’avoir le soutien de Pogba ou des latéraux, lesquels pourraient avoir un rôle essentiel dans cette finale. Là non plus, la France ne crachera pas sur l’opportunité de voir Mbappé venir chercher Vida ou Strinic, certainement pas des modèles de vitesse.

 

En faisant le tour des aperçus d’avant-match, la France semble avoir l’avantage des pronostics. Ce qui n’empêche certainement pas les Croates de dormir. Et surtout, de récupérer. On ne reviendra pas une nouvelle fois sur le parcours du combattant des Vatrani dans ce Mondial. On ne se hasardera plus à présumer de leur état. Contre l’Angleterre, ils ont non seulement su une nouvelle fois revenir dans un match mal embouché, mais l’ont fait avec une assurance et une force de caractère hors du commun. Ainsi, ils ont réagi de façon un peu désordonnée après le but anglais en demie - s’exposant même à une ou deux occasions de 2-0, mais sont ensuite parvenus à se reconcentrer et remettre en place un jeu plus posé et cherché continuellement à pousser le jeu vers la défense anglaise.

 

Modric et Rakitic représentent un doublon aussi fondamental que Pogba - Kante de l’autre côté. Le choix de Brozovic pour les compléter semble le plus sensé, mais Zlatko Dalic a réussi à sortir plusieurs variations depuis le début du tournoi. Sortir Modric de la zone de Matuidi sera une chose, sortir à la fois Modric et Rakitic du milieu français en sera une autre, De Bruyne et Hazard ayant eu bien des difficultés dans une configuration semblable.

 

Alors, il est possible que l’une des options les plus directes pour les Croates soit de varier sur les côtés. Vrsaljko est constamment impliqué loin sur l’aile droite et ses centres créent le danger (égalisation croate en demie, par exemple). De l’autre côté, Strinic démarre ses matchs bien plus sobrement et ne monte que lorsque le besoin se fait sentir, plus souvent vers le couloir intérieur. S’ils arrivent ainsi à surcharger les ailes (par exemple si Matuidi revient trop sur Modric et laisse Rebic et Vrsaljko face à Hernandez), les Croates pourront amener le danger face à une défense qui a parfois laissé trop faire sur les ailes contre la Belgique. Devant, Mandzukic et Rebic sont une tout autre proposition que Lukaku ou Suarez et seront bien plus à leur aise si la France devait être amenée à défendre trop bas.

 

Clairement, la défense demeure un gros point d’interrogation. Elle n’a pas toujours paru à son aise face à des attaques et des combinaisons rapides (Lovren - Vida), comme l’Angleterre ou même la Russie ont su proposer. Et sa feuille de route sur balles arrêtées est inquiétante.

 

Si la Croatie est une formation qui aime posséder le ballon et s’exprime à son mieux avec, elle a montré aussi qu’elle pouvait vivre sans, le laisser à l’adversaire pour l’amener à s’ouvrir et à jouer sur la vitesse de Perisic et l’impact de Rebic. Avec les interrogations qui subsistent sur sa défense, c’est cependant un risque extrêmement élevé.

 

Cette finale nous réserve-t-elle un autre coup tordu du destin ou un lapin sorti du chapeau d’un des deux  sélectionneurs? Ce ne serait qu’à peine une surprise dans ce Mondial qui multiplie les fausses pistes et les contre-pieds.

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