MONTRÉAL – De sa position aux abords du terrain du RFK Stadium, Enzo Concina avait devant lui une contradiction à laquelle il ne pouvait trouver aucune explication.

La saison de la MLS était vieille de plus de deux mois et l’Impact de Montréal était arrivé à Washington avec une seule victoire en banque. La troupe de Frank Klopas n’avait marqué que sept buts à ses neuf premiers matchs. La semaine précédente, le Sporting KC lui avait infligé une correction de 3-0. C’était laid, mais pas autant que la raclée de 4-0 encaissée à la mi-avril contre cette même équipe au Missouri.   

Mais ce soir-là, le Bleu-Blanc-Noir en donnait pour son argent au DC United.  

« J’avais été impressionné, se souvient Concina, qui était alors adjoint à l’entraîneur Ben Olsen au sein de la formation de la capitale américaine. Je me souviens de m’être demandé comment ils pouvaient être en aussi mauvaise posture au classement, parce que j’avais l’impression de regarder l’une des meilleures équipes de la Ligue. Cette équipe était tout simplement fantastique. »

Fantastique. Voilà certainement un qualificatif qui n’a pas été entendu souvent l’an dernier au Stade Saputo. Après son match nul de 1-1 à Washington, l’Impact a été rossé 4-1 au Colorado. Il a ensuite récolté sept points à ses quatre matchs suivants, seulement pour s’enliser dans une série de sept revers. On connaît tous la fin de l’histoire. Un an après s’être qualifié pour les séries éliminatoires pour la première fois de son histoire en MLS, l’Impact s’est écrasé dans les bas-fonds du circuit Garber.

Mais à l’aube d’une nouvelle saison, l’optimisme est de retour à Montréal. Accusée de complaisance au camp d’entraînement l’hiver dernier, la direction du club a cette fois multiplié les transactions pour tenter d’améliorer une équipe qui a accordé vingt buts de plus qu’elle n’en a marqué en 2014.

Vous avez déjà entendu parler de Soumaré, Ciman et Reo-Coker. Vous apprendrez peut-être à connaître les Toia, Cabrera et Oyongo. Et si la meilleure décision prise par l’Impact dans le but d’améliorer sa défensive impliquait quelqu’un que vous ne verrez probablement plus jamais après avoir lu ce texte?

Dix matchs pour prendre racine

Montréal ne connaît peut-être pas Enzo Concina, mais Enzo Concina connaît très bien Montréal.

À l’été 1994, l’Impact accueille dans ses rangs un défenseur de 32 ans en fin de carrière. « Je venais de me faire opérer au tendon d’Achille, je ne savais même pas si j’allais être capable de jouer quand j’ai fait le voyage, se souvenait récemment le volubile Canado-Italien. J’ai fini par endurer la douleur et j’ai joué dix matchs avec l’équipe. Mais j’ai quand même eu le temps de récoler six points! Pour un défenseur, ce n’est vraiment pas si mal. »

Le séjour de Concina au Québec est court, mais intense. Sa nouvelle équipe se qualifie pour les séries éliminatoires et crée la surprise en remportant le premier championnat de sa jeune histoire. Sur la pelouse du Centre Claude-Robillard, devant les membres de sa famille qui ont fait le voyage de Toronto, le futur retraité termine sa carrière professionnelle dans l’euphorie. « Gagner, c’est toujours magique. Que ce soit la Coupe d’Italie ou cette conquête de 1994, la sensation est la même », insiste-t-il aujourd’hui, les yeux pétillants.   

Le foot reste d’abord en périphérie dans la deuxième vie d’Enzo Concina. Tout en gardant un œil sur le sport qui le passionne, il obtient un « vrai » boulot dans le département des ventes d’une compagnie européenne. Il passe son temps sur la route, voyage partout dans le monde.

« Et puis le dimanche, je me retrouvais souvent dans un stade de soccer. Des anciens coéquipiers me demandaient d’aller observer un joueur ou analyser le système de jeu d’un club. Et c’est de cette façon que j’ai pu, indirectement, rester connecté au sport », raconte-t-il.

Pendant tout ce temps, Concina reste en contact avec le Québec. Quand l’Impact a l’œil sur un prospect du Vieux Continent, son téléphone sonne. Et quand Mauro Biello ou Nick De Santis est à l’autre bout du fil, la conversation tourne inévitablement en débat autour d’une stratégie, un schéma tactique.

« J’ai toujours apprécié ces discussions, ces rencontres qui nous permettaient d’entretenir nos liens. Ces gars-là sont mes amis. Et il y a bien sûr Joey (Saputo). Il était ici en 1994, il me connaît bien et je crois qu’il y a un respect mutuel et un lien de confiance solide entre nous deux. Alors me voilà! Tout ça est arrivé si naturellement. »  

« De superbes défensives »

En 2009, une porte s’ouvre devant Enzo Concina et il décide d’accepter le poste d’entraîneur qui lui est offert à Naples, en Serie A. Quinze ans après la fin de sa carrière de joueur, il était de retour à temps plein dans le monde du soccer.  

« J’avais mes certifications, j’avais l’expérience... Ça me semblait être la suite logique, continue-t-il de narrer. Ça a été comme monter à vélo, vous savez? Même quand ça fait dix ans que vous ne l’avez pas fait, vous sautez là-dessus et ça vous revient, n’est-ce pas? »

Concina passe trois saisons à Naples avant de passer à l’Inter Milan, où il est muté dans un rôle de dépisteur. « Je faisais le tour de l’Europe à regarder des joueurs à qui mes patrons pensaient offrir vingt millions d’euros par saison. Ça m’a plu assez rapidement. C’était un job prestigieux, fascinant, très valorisant. »

En 2013, l’homme d’affaire indonésien Erick Thohir se porte acquéreur de l’Inter. Thohir possède déjà le DC United et lorsqu’il rencontre Concina, il lui fait comprendre que son club américain aurait besoin de ses services. À écouter Concina raconter son histoire, on comprend qu’il a traversé l’Atlantique parce qu’on lui en avait donné l’ordre bien plus que parce qu’on lui avait demandé une faveur.

« Je sentais que je devais rendre le proprio heureux et faire ça pour lui, concède-t-il après une brève hésitation. Mais je dois aussi avouer que le coaching me manquait, l’odeur de la pelouse à chaque jour... Et de toute façon, je crois que je suis meilleur pour enseigner le soccer que le regarder. »

À Washington, Concina contribue sans tarder à une métamorphose spectaculaire. Avant son arrivée, le DC United avait été la honte de la MLS en ne glanant que trois victoires et 16 points en 34 parties, une démonstration de médiocrité inégalée dans le format actuel de la Ligue. Mais dès l’année suivante, le Black-and-Red atteint le sommet du classement avec 59 points, un exploit notamment rendu possible grâce à une défensive qui ne concède que 37 buts, 22 de moins que lors de sa saison de misère vite oubliée.  

« Partout où je suis passé, on pouvait nous reconnaître par notre superbe défensive, se pavane Concina sans pour autant tomber dans l’arrogance. À Naples, nous étions l’une des équipes qui accordaient le moins de buts. Même chose l’an passé : je crois que seul Los Angeles a réussi à faire aussi bien que nous. Je sais! Je mets ma main là et... »

Concina ne veut pas qu’on le prenne pour un magicien. Seulement, il croit ardemment détenir la clé du succès pour rebâtir une défensive. Celle-ci se résume en deux mots : travail et connaissances.

« Il s’agit d’implanter un système, d’organiser une paquet d’individus et d’en faire un tout. Une fois que c’est fait, vous établissez des règles, un code de conduite. Et ça fonctionne. J’en ai été témoin au cours des cinq dernières années et c’est ce que je prouverai ici. »

Croire aux miracles

Embauché par l’Impact le 19 janvier pour remplacer Nikolaos Kounenakis, qui n’aura pas survécu à l’An 1 de l’ère Klopas, Enzo Concina vient à peine de défaire ses valises, mais il en a déjà vu assez pour être convaincu qu’il pourra copier à Montréal la recette qui lui a permis de réussir son impressionnant tour de force à Washington.

« Je suis convaincu que nous avons les joueurs qu’il faut, je vois le potentiel. Bien sûr, il n’y a pas de Cavani ni de Lavezzi ici, mais il y a plusieurs joueurs qui pourraient jouer en Serie A ou dans d’autres championnats importants d’Europe. Leur seul problème, c’est qu’ils possèdent un passeport canadien ou américain. Je connais la différence entre le soccer d’élite américain et celui qu’on voit en Europe. Bien souvent, c’est une question d’infimes détails. »

Le défi qui l’attend n’est peut-être pas aussi colossal que celui qu’il a relevé l’an dernier, mais Concina a du pain sur la planche. La défensive de l’Impact a été une vraie passoire en 2014, accordant trois buts ou plus à neuf occasions. Sur papier, l’équipe qu’il apprendra à connaître est certes améliorée, mais aussi talentueux puissent-ils être, tous ces nouveaux ajouts devront être modelés en un mur homogène, un tout impénétrable. Une forteresse, se plaît-on à dire ici depuis l’accession aux ligues majeures.

Élevé dans les plus pures traditions européennes, Enzo Concina n’a que faire des séries éliminatoires. Le championnat de la saison régulière – le Supporters’ Shield, comme on l’a baptisé en MLS – voilà ce qui représente pour lui l’ambition ultime. « Finir dixième, ce n’est pas bon! Il faut voir son nom tout en haut. C’est ça, le but qu’il faudrait se fixer », s’enflamme-t-il.

Même à Montréal?

« Je pense que c’est  réaliste, oh que oui! Dans cette ligue, les choses peuvent changer vite. Très vite. »