Ça s’en vient, mais ça va prendre du temps... et on ne sait pas encore combien. Voilà une façon d’interpréter les propos tenus par Joey Saputo lors de son allocution au Cercle canadien de Montréal. Oui, le soccer est populaire. Oui, l’Impact a fait des gains en 2016. Oui, le onze montréalais est capable de faire vibrer le stade et d’attirer l’attention de la communauté d’affaires. Mais, une fois la poussière retombée, non, la bataille corporative n’est pas encore gagnée.

Car au-delà de son rêve de Coupe MLS, le défi des cinq prochaines années pour l’Impact de Montréal, c’est d’abord de se maintenir et de continuer à progresser dans un environnement qui est, et sera, toujours archi-dominé par un club de hockey dont monsieur Saputo n’a pourtant pas parlé lors de son discours. Rien de bien nouveau sous le soleil, me direz-vous, mais ça demeurera à coup sûr la réalité du Bleu-blanc-noir dans un avenir rapproché.

Certes, il est question de demeurer un ambassadeur de prestige pour la ville de Montréal, comme on l’a vu lors des visites de Chelsea, du Real Madrid et de l’AS Roma. Un ambassadeur qui arrive à se démarquer de ses compétiteurs locaux en se faisant valoir sur la scène internationale. Malgré le petit velours que ça fait d’accueillir Zidane ou Mourinho, on parle d’un acteur de la scène sportive qui ne se satisfait pas seulement de ça et désire toujours accroître sa place au soleil. Mais il faut toutefois considérer que l’Impact a encore du pain sur la planche pour conserver ses acquis les plus récents.

L’idée n’est pas d’être pessimiste, ni au contraire de faire preuve de naïveté. L’Impact et son président ont raison d’être fiers de sa croissance depuis l’entrée en MLS, de l'érection de son stade conçu exclusivement pour le soccer ou encore du centre d’entraînement de son Académie. Tout ça est le fruit d’efforts considérables de la part des membres de l’organisation, et plus particulièrement de Joey Saputo lui-même. Mais il faudra des efforts de même ampleur pour prolonger les succès de popularité du club qui ont coïncidé avec le passage de Didier Drogba.

Si j’ai l’air de faire une mise en garde, c’est parce qu’il faut regarder les choses en face. Dans le monde des affaires, on dit qu’il faut prendre ses décisions avec sa tête. Or, nul ne connaît les changements à venir lors des cinq prochaines années dans l’écosystème sportif local. Évidemment, dans la présentation du président de l’Impact, il aurait été étrange qu’on évoque la possibilité d’un retour éventuel des Expos, ou d’un autre club de hockey de Ligue nationale ailleurs dans la province. Mais il s’agit là de scénarios capables de faire voler en éclat le plus brillant des plans marketing... L’idée, comme le mentionnait Saputo à propos du modèle de la MLS, c’est de continuer à « croître de façon graduelle, plutôt que de miser sur un succès rapide ne reposant pas sur une base solide ». Or, la valeur des franchises MLS aura beau monter en flèche, l'Impact a fort à faire pour demeurer attrayant pour la communauté locale d'affaires sans la présence d’un joueur désigné ayant une aura d’une magnitude inégalée.

Stagnation de la culture soccer

Afin de se prémunir contre toute forme de repli (ou contre les scénarios catastrophes), l’Impact vise le développement d’une culture soccer qui assurera qu’une partie des gradins du Stade Saputo seront remplis bon an, mal an. On ne se soustraira certainement pas à l’obligation de gagner pour attirer les spectateurs, mais on peut quand même parler d’une mesure atténuante. Au-delà de ça, l’objectif un peu plus ésotérique de la culture soccer, c’est de faire de notre club de soccer un sujet de discussion qui ne sort pas immédiatement l’amateur de sport moyen de sa zone de confort.

Ça, comme on disait en commençant, ça prend du temps. Beaucoup de temps, si on se rappelle que l'Impact existe depuis 1993. Mais peut-être bien qu’on approche du jour où Raymond appelle Ron le soir à la radio et qu’il décide de s’aventurer à jaser des choix de jeux trop personnels de Piatti au lieu de refaire et défaire le quatrième trio en plein milieu de l’été. Quoi qu’on puisse penser de la teneur de ce débat, ça, ce sera un signe de progrès... Qu’on me comprenne bien, je sais que ça existe déjà des discussions de ce type-là. Mais il est encore nécessaire de faire apprivoiser l’Impact à un plus grand nombre de gens et, par extension, de leur permettre de s’approprier toutes sortes de sujets qui traitent de ballon rond. Parce qu'on y joue même là où il fait froid, à ce sport-là. En attendant, tous les connaisseurs savent très bien qu’ils peuvent appeler Olivier pour avoir un entretien de niveau élevé.

Mais pour revenir à Joey Saputo, lequel s’est appuyé sur des statistiques pour rappeler à tout le monde que le soccer est extrêmement populaire au niveau de la participation, il demeure qu’on doit continuer à bâtir pour que l’Impact fasse partie des moeurs de la population, au même titre que le Canadien, les Alouettes, voire les défunts Expos. Tenez, tant qu’à parler culture soccer, sachez qu’en même temps que Saputo faisait son allocution, un des plus grands joueurs de l’histoire du soccer canadien annonçait à Ottawa sa retraite. Or, trop rares sont les gens au Québec et ailleurs au pays capables de me le nommer sans cliquer sur le lien.

C’est certainement là que le progrès est le plus lent. Et c’est là que la faiblesse du onze montréalais se fait ressentir, lorsque, par exemple, une compagnie hésite à commanditer un club de soccer alors qu’on est prêt à surenchérir pour apparaître quelques secondes sur des bandes de patinoires de hockey.

Pour paraphraser Saputo, la popularité mondiale du soccer ne se traduit pas en succès local en criant « ciseaux ». Vous savez, j’ai moi-même l’impression de vivre le jour de la marmotte quand on me fait l’observation - ça doit bien faire 20 ans que je l’entends - que ce n’est qu’une question de temps, ou de génération, avant que le soccer ne prenne la place qui lui revient. « Tout le monde joue à ça… Les jeunes… » En fait, ça prendra plus que ça. Car le progrès accompli par l’Impact depuis 1993 s’est fait à coup d’investissements, de corrections d’erreurs de parcours et, certainement, de succès sur le terrain. En attendant, je vous enjoins d’appeler Olivier pour jaser des mérites de Patrice Bernier ou de la carrière de Julian de Guzman.