MONTRÉAL – Frank Klopas lève les yeux et sourit. À une certaine époque, il était à la maison entre ces murs. Aujourd’hui, on l’y salue comme une vieille connaissance à qui on n’a jamais eu l’occasion de dire au revoir.

Peut-être parce que c’est précisément ce qu’il est. En ce samedi après-midi d’août, quelques heures avant que l’Impact ne croise le fer avec le Fire de Chicago, Klopas sillonne les coulisses du Stade Saputo pour la première fois depuis qu’il a été chassé de Montréal sans cérémonie il y a un peu moins d’un an.

À l’exception d’un malaise au genou qui le torture depuis les jours dorés de sa carrière de joueur, l’ancien entraîneur semble aujourd’hui en pleine forme. Les traits de son visage sont soulagés des signes de la pression qu’il avait accumulée pendant les vingt mois de son séjour houleux à Montréal. La sincérité de son sourire ne fait aucun doute.

« Oui, c’est vrai que ça fait un peu étrange d’être de retour, a admis l’homme de 49 ans, qui s’est recyclé en analyste des matchs du Fire pour une station locale de Chicago, dans un généreux entretien avec RDS. Mais les choses ont changé. Ce n’est plus à moi d’être sous les projecteurs maintenant. »

Même si les résultats qu’il a su soutirer de son équipe ne lui ont pas permis de compléter son mandat, Klopas dit garder de merveilleux souvenirs de son passage à la barre de l’Impact. Le parcours historique du club en Ligue des champions de la CONCACAF lui ont fait vivre des émotions que même les plus belles années de sa carrière de joueur n’ont pu lui procurer et  il dit avoir été séduit par les charmes de la métropole québécoise

« C’est l’un des rares endroits où j’ai retrouvé le même genre de pression qu’on ressent en Europe. J’ai adoré ça ici. J’ai travaillé avec des gens dévoués et je veux que les partisans sachent que j’ai travaillé très fort pour mettre une grande équipe sur le terrain. J’ai tout donné à chaque jour que j’ai travaillé pour cette organisation. » 

Klopas est entré en fonction en décembre 2013 pour succéder au bouillant Marco Schällibaum. La première saison sous son règne a été un désastre, l’équipe ralliant le fil d’arrivée avec seulement six victoires et la pire fiche de la MLS. À la fin de l’été suivant, il a été congédié avec onze matchs à faire en saison régulière. L’Impact venait d’en perdre trois de suite et montrait une fiche de 8-11-4.

Klopas a appris son renvoi en pleine nuit, au retour d’un match à Toronto, au cours d’une brève conversation téléphonique avec Nick De Santis. C’est l’un des deux seuls regrets qu’il conserve de son expérience montréalaise.

« C’est ce que j’ai trouvé difficile à ce moment, explique Klopas dans son premier entretien avec les médias montréalais depuis les événements. Si vous croyez que c’est la décision à prendre, pas de problème. Mais me faire congédier au téléphone à minuit et demi, ça m’a dérangé. Je suis sûr que Nick aurait fait les choses différemment, il ne faisait que suivre les ordres. Ce n’est que le lendemain que j’ai rencontré le propriétaire en personne. »

La nomination de Mauro Biello au poste d’entraîneur-chef par intérim combinée à l’effet Drogba a instantanément changé le visage de l’Impact, qui a gagné sept de ses onze derniers matchs pour entrer en force en séries éliminatoires. Klopas, qui, pour des raisons familiales, avait déjà pris la décision que sa deuxième année à Montréal serait sa dernière, demeure à ce jour convaincu que le sort de l’équipe aurait été le même si on lui avait donné la chance de finir ce qu’il avait commencé. Deuxième regret.

« C’est vrai que les résultats ne venaient pas, mais l’équipe jouait bien, argue-t-il. Piatti était blessé, Drogba venait à peine d’arriver. C’était lui, le grand attaquant dont je répétais qu’on avait besoin depuis le début de l’année et vous avez vu l’impact immédiat qu’il a eu sur les performances du club. J’aurais aimé qu’on me donne la chance de participer au dernier droit. Il n’y a aucun doute dans mon esprit que le résultat aurait été le même. »

Une bonne relation avec Biello

L’Impact est un club tissé serré enroulé dans une forte culture familiale. Historiquement, la présence d’un indélogeable noyau de complices au sein de la haute direction a souvent compliqué la tâche de ceux qui avaient été embauchés pour diriger les opérations sur le terrain.

Comme ses prédécesseurs, Klopas a dû travailler sous le regard attentif des hommes de confiance de Joey Saputo. Mais jamais, affirme-t-il, s’est-il fait imposer une ligne de parti.

« Je ne peux parler que pour moi-même, mais il n’y a pas eu d’ingérence des patrons au niveau des décisions tactiques. Dès le moment où j’ai présenté un plan à Joey pour bâtir l’équipe, on m’a laissé faire mon travail. Même dans les moments difficiles, j’appréciais leur support parce que ces gars-là voulaient gagner. Si on croyait qu’un joueur pouvait nous aider, Joey était prêt à faire des pieds et des mains pour aller le chercher. Est-ce que ça fonctionnait toujours? Bien sûr que non, c’est impossible. Et bien sûr que ce n’est pas moi qui avait ultimement le dernier mot dans ce genre de discussion. Mais jamais on ne m’a dit de faire jouer tel joueur ou d’en laisser un autre sur le banc et jamais on a interféré quant à mes choix tactiques. Les décisions soccer, c’est moi qui les prenais. »

Klopas a dû gérer une autre situation délicate. Dès son arrivée dans le giron de l’Impact, on lui a expliqué ce que représentait Mauro Biello pour le passé, le présent et l’avenir du club. En d’autres mots, il savait qu’il faisait son travail avec son successeur perché au-dessus de son épaule.

« Ça a été mis au clair dès le départ et je n’avais pas de problème avec ça parce que je trouvais que c’était un bel atout d’être entouré d’un gars de la place. J’ai toujours eu l’impression que Mauro et moi formions une belle équipe. Il était un travailleur acharné. Je crois lui avoir appris certains trucs, mais l’inverse est assurément vrai. »

Klopas est arrivé à Montréal avec un adjoint de son choix, Niko Kounenakis, qui a été remercié un an plus tard et remplacé par Enzo Concina. Avec le recul, Klopas admet que le départ d’un visage familier l’a contrarié.

« Ça a été un peu plus difficile pour moi avec Enzo. Ça m’a pris du temps à le connaître et à le comprendre, mais on a quand même réussi à bien travailler ensemble. C’était un passionné qui apportait des idées différentes. »

Parce que Bernier n’était pas Drogba…

Aux yeux de nombreux partisans, Klopas sera toujours reconnu comme l’entraîneur qui a tenté d’enterrer Patrice Bernier. Sous les ordres de l’ancien international américain, le Québécois a obtenu 20 départs en 2014, mais seulement trois l’année suivante. Dès que la tendance s’est installée, pas une semaine n’a passé sans que l’entraîneur ne soit questionné sur le traitement qu’il réservait à son capitaine.

« Je n’avais rien contre Patrice, répète-t-il encore aujourd’hui. Après ma première année, on devait améliorer l’équipe et on a fait des changements que tout le monde jugeait nécessaires. La direction qu’on a décidé de prendre faisait l’unanimité. J’ai essayé de traiter Patrice de la façon la plus respectueuse possible. C’est avec cet objectif en tête que j’en ai fait mon capitaine. Mais dans ma tête, ça ne garantissait pas sa place dans le onze de départ. Le rôle de l’entraîneur est de titulariser les joueurs qui peuvent le faire gagner. »

Bernier a hérité d’un rôle accru dès l’arrivée en poste de Biello et a contribué activement à la poussée de l’Impact en séries éliminatoires, marquant notamment des buts mémorables contre Toronto et Columbus. Encore cette année, le numéro 8 s’avère, en dépit des blessures répétitives, un élément clé des succès du Bleu-blanc-noir en milieu de terrain. Mais malgré ces constats, Klopas demeure sur ses positions.

« J’ai toujours communiqué avec lui, j’ai toujours été très clair. Je lui avais expliqué qu’il devait accepter un rôle différent au point où il était rendu dans sa carrière. À 36-37 ans (sic), il n’était pas comme Drogba à 36-37 ans. Mais c’est vrai que ça a été difficile à gérer. »

Durant son règne, Klopas a souvent été critiqué pour la gestion de son effectif. La confiance aveugle qu’il vouait à certains joueurs était remise en question au même titre que son obstination à en ignorer d’autres qui ne faisaient visiblement pas partie de ses plans. Quand Biello, dès son entrée en poste, s’est mis à insister sur l’importance d’impliquer chacun de ses joueurs dans les succès de l’équipe, le contraste avec l’attitude de son prédécesseur n’a échappé à personne.

Mais malgré cette tache à son dossier, Klopas dit se faire une fierté d’avoir traité ses joueurs avec intégrité.

« Un entraîneur qui doit gérer une vingtaine de joueurs ne fera jamais l’unanimité. Je n’étais pas ici pour rendre tout le monde heureux. Mais je peux vous dire que j’ai été honnête et transparent avec chacun de mes gars et pour cette raison, je suis en paix avec moi-même. Si certains veulent laisser croire le contraire, c’est de la foutaise. Est-ce que j’ai fait le bonheur de tout le monde? Non. Mais j’ai toujours agi en fonction de ce que je croyais être les meilleurs intérêts du club. »